Par Francis Richard.
La semaine passée à l’ISEP, à Paris, dans ce VIe arrondissement que j’aime, l’Institut Coppet organisait un séminaire sur le thème : La renaissance du libéralisme classique au XXe siècle. Une histoire controversée.
Je fais partie de ceux qui ont besoin de respirer de temps en temps des bouffées d’oxygène libéral pour ne pas suffoquer dans un monde où l’étatisme sévit partout et fait merveille. Et puis je suis passionné d’histoire, notamment d’histoire des idées. C’est pourquoi je me suis rendu à ce séminaire, quittant les rives du Léman pour entendre autre chose que les habituelles antiennes à la servitude (plus ou moins) volontaire, et revoir des amis libéraux, dont j’apprécie la pluralité d’idées, ce qui est toujours enrichissant et rafraîchissant pour l’esprit.
Dans l’immédiat avant Seconde Guerre mondiale, alors que les idées totalitaires sont triomphantes, qu’il s’agisse du communisme, du fascisme ou du nazisme, et que le capitalisme semble en bout de course, Walter Lippmann, auteur de La cité libre, livre préfacé par André Maurois, décide de réunir des économistes et des penseurs qui croient encore au libéralisme, afin de le défendre.
Walter Lippmann est issu d’une famille juive aisée, qui passe ses vacances d’été en Europe. Il a fait Harvard. Il est journaliste à New Republic. Il a remporté deux fois le Pulitzer. On lui doit le sens figuré de stéréotype et la popularisation de l’expression guerre froide.
Ce colloque, organisé par Louis Rougier, à l’appel duquel 26 personnalités répondent, se tient à Paris du 26 août au 30 août 1938. L’assemblée est hétéroclite. S’agit-il de libéraux purs et durs ? Que nenni. Certes, parmi ces intellectuels il y a Friedrich Hayek – mais les interventions se font en français qu’il ne parle pas –, Ludwig von Mises, Raymond Aron, Marcel Bourgeois (qui a publié Socialisme de Mises), Jacques Rueff ou Étienne Mantoux, mais il y a Wilhelm Röpke et Alexandre Rüstow (pour lesquels les services publics doivent échapper à la concurrence et qui tiennent pour une économie sociale de marché), Robert Marjolin (favorable à une révolution constructive) ou André Piatier (qui fustige déjà l’évasion fiscale). Il n’est donc pas étonnant que le colloque s’achève sur des propositions mi-chèvre mi-chou, celles d’une mythique troisième voie entre laissez-faire et socialisme. Le plus amusant est que le nom donné alors à cette voie intermédiaire est néolibéralisme (sic), qui n’a donc pas du tout la même acception que le terme, qui sert à vilipender le libéralisme d’aujourd’hui qui aurait trahi le libéralisme classique…
Ce n’est qu’après-guerre que de ce colloque naîtront des courants divergents tels que l’ordolibéralisme en Allemagne, la démocratie chrétienne en Italie, le néoconservatisme aux États-Unis, lequel subordonne la liberté individuelle à des valeurs plus élevées telles que la religion ou la nation.
Parallèlement, en Europe, le flambeau du libéralisme classique est repris par La Société du Mont Pèlerin, fondée en 1947 à l’issue d’une conférence organisée en Suisse par Friedrich Hayek, à laquelle participent du 1er au 10 avril, 36 personnalités dont Milton Friedman, Ludwig von Mises et Karl Popper. Cinq d’entre eux obtiendront le prix Nobel…
Dans ses cours au Collège de France, de 1970 à 1984, Michel Foucault, ce génie, a un fil conducteur, la question de savoir pourquoi obéit-on alors que ce n’est pas dans notre intérêt. La société n’existe pas. Il n’existe que des intérêts particuliers. On a inventé le contrat social – qui l’a signé ? –, le droit naturel, la démocratie, la nature humaine universelle – quand on est homosexuel comme il l’est, que cela signifie-t-il nature humaine universelle ? Michel Foucault se rend compte que vouloir couler les citoyens dans le même moule est oppresseur et que le néolibéralisme est un moyen de lutter contre cette oppression. Les sociétés multiculturelles fonctionnent difficilement. Elles ne peuvent coexister que par le marché, par le désir de transactions… L’homo economicus est athée. Il dit au souverain, quel qu’il soit : tu ne dois pas m’imposer quoi que ce soit, parce que tu ne sais pas et que tu ne peux pas savoir… En fait, Michel Foucault, cet ancien communiste, puis ancien gaulliste, puis ancien gauchiste, comprend en profondeur les libéraux, mais peut-il franchir le pas ?
Rand Paul ou le réveil de l’Amérique
Par Benoit Malbranque, un jeune auteur de 22 ans, qui a déjà publié plusieurs livres – notamment Le socialisme en chemise brune (2012), Introduction à la méthodologie économique (2013), Les économistes bretons (2014) – et contribué à plusieurs ouvrages collectifs.
Vient de sortir en version numérique, avant que ne sorte la version papier, son dernier opus, Rand Paul ou le réveil de l’Amérique, téléchargeable sur le site de l’Institut Coppet depuis quelques jours.
Pour ceux qui l’ignorent, Rand Paul est le fils de Ron Paul, qui a participé aux dernières primaires républicaines des élections présidentielles américaines. Il pourrait faire un score, voire davantage, aux prochaines élections de 2016. D’où l’intérêt de ce livre qui prend les devants.
Damien Theillier, président-fondateur de l’Institut Coppet, présente le dernier intervenant, Michael Otis. Celui-ci est venu en France faire des études. Il y a deux ans, il ne parlait pas un mot de français… Il est intervenu dans la langue de Molière avec beaucoup d’aisance sur le sujet de la révolution de la liberté aux États-Unis.
Ludwig von Mises, d’origine juive, est né à Lemberg en 1881. En 1912, il publie sa Théorie de la monnaie et du crédit. Entre 1919 et 1934, il anime un séminaire privé à Vienne qui est une véritable centrale des idées libérales, et qui correspond à la première vague de renaissance du libéralisme classique au XXe siècle. Pendant cette période, il publie Socialisme (1922), où il démontre que sans prix de marché il est impossible de faire des calculs économiques cohérents.
Avec l’avènement des nazis en Allemagne, Mises part en Suisse où il enseigne à Genève à partir de 1934. Mais les pressions exercées par les nazis sont de plus en plus fortes sur les autorités helvétiques qui lui rappellent qu’il ne bénéfice que d’un permis de séjour annuel. Comme les aéroports sont surveillés, en juillet 1940, il quitte la Suisse en autocar par le sud de la France, traverse l’Espagne et arrive au Portugal. À Lisbonne il embarque pour New York, où il débarque en août 1940.
Ses débuts aux États-Unis sont très difficiles. Il n’y jouit pas de la reconnaissance qu’il peut avoir en Europe. Cependant, grâce à Lawrence Fertig et à Henry Hazzlit, il va pouvoir enseigner à l’Université de New York, avec le soutien du Volker Fund, puis de la Foundation for Economic Education. Avec le séminaire qu’il anime, la deuxième vague de renaissance du libéralisme au XXe siècle peut avoir lieu, entre 1945 et 1957. En 1949, il publie son maître ouvrage L’Action humaine.
Pendant ces années d’après-guerre un certain nombre de livres marquent la renaissance du libéralisme : La route vers la servitude de Friedrich Hayek (1944), La grève d’Ayn Rand (1957), Capitalime et liberté de Milton Friedman (1962).
La troisième vague de renaissance de libéralisme a lieu entre 1976 et 1989. Elle a été précédée de l’attribution du prix Nobel à Friedrich Hayek en 1974, de la création du Cato Institute la même année et de celle du Center for Libertarian Studies en 1976. Margaret Thatcher est au pouvoir entre 1979 et 1990, et Ronald Reagan entre 1981 et 1989.
Après la destruction du mur de Berlin, contre toute attente, les idées libérales régressent. Les États-Unis interviennent à l’extérieur : guerre du Golfe (1990-1991) et, après le 11 septembre 2001, guerre d’Afghanistan (2001), guerre d’Irak (2003). Les libertés individuelles sont gravement atteintes par le Patriot Act (2001).
Un médecin du Texas, Ron Paul, né en 1935, se singularise en rejetant le système de Bretton Woods adopté en 1971. Il est élu plusieurs fois à la Chambre des représentants, de 1976 à 1977, de 1979 à 1985, de 1997 à 2013. Il est surnommé Dr No pour s’être opposé aux violations de la Constitution américaine, aux interventions de l’État et aux impôts confiscatoires soumis au vote de la Chambre.
En 1988, il se présente aux élections présidentielles et obtient 400 000 voix. En 2007, il brigue l’investiture du Parti républicain aux élections présidentielles et participe aux primaires. En 2009, il fait partie de ceux qui lancent le Tea Party. Grâce à lui, l’influence des idées libérales ne cesse de grandir : l’expansion de l’État, en 2008, la plus grande crise depuis 1929, les sauvetages d’entreprises, apportent par leurs effets de ruine la preuve de leur justesse. La première vague de renaissance du libéralisme au XXIe siècle aurait-elle commencé ?
Depuis 2010, Rand, le fils de Ron Paul, élu sénateur du Kentucky, a pris le relais de son père. À les examiner de près, les idées du père et du fils semblent bien identiques, même si leurs stratégies diffèrent. Ron semble avoir privilégié la pédagogie, tandis que Rand vise la victoire. D’ici novembre 2016, il peut se passer bien des choses…
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