Par Francis Richard
Dans L’innovation destructrice, le philosophe et ancien ministre part d’un constat juste et aboutit par un raisonnement qui peut être séduisant, mais qui est biaisé, à des conclusions fausses.
Luc Ferry constate en effet que, du fait de la mondialisation, l’innovation est vitale pour les économies et que la France en soustrait les moyens financiers à ses entreprises et que, de toute façon, les Français en ont peur. Pourquoi les Français ont-ils peur de l’innovation ? Parce que, du moins dans un premier temps, toute innovation peut créer du chômage, des inégalités – ce qui n’a pourtant pas d’importance en soi du moment que la pauvreté recule –, et, même, de la décroissance.
Il constate que, du fait de la mondialisation, les relances keynésiennes par la consommation sont inopérantes et que les Français sont condamnés à innover sans fin, bref que Schumpeter et sa destruction créatrice ont raison contre Keynes et ses relances.
À partir de là Luc Ferry introduit dans sa démonstration deux éléments qui répondent à une logique perpétuelle. Il y aurait, selon lui, désormais, innovation pour l’innovation et, par conséquent, rupture incessante avec toutes les formes d’héritage, de patrimoine et de tradition. C’est pourquoi il préfère l’emploi de l’expression innovation destructrice à celle schumpetérienne de destruction créatrice. Le problème, toujours selon Luc Ferry serait que « nous ne savons ni quel monde nous construisons, ni pourquoi nous y allons » : « Il ne s’agit plus de viser la liberté et le bonheur, de travailler au progrès humain […], mais
«Cette logique perpétuelle serait le propre du capitalisme chimiquement pur, amoral, dénué de sens. Comme exemple, Luc Ferry donne celui-ci : « Qui peut croire sérieusement qu’on sera plus libre et plus heureux parce qu’on disposera d’une nouvelle version de son smartphone dans six mois ? Personne, mais nous l’achèterons tous [sauf moi]. Tel est le monde dans lequel nous sommes entrés. »
L’innovation destructrice (et son corollaire, la rupture incessante) ne serait pas le propre de l’économie. Elle s’étendrait à tout, notamment aux mœurs, à l’art moderne, dont Luc Ferry dit pis que pendre et qui aurait adopté cette logique perpétuelle, aux dépens du bon, du vrai, du beau.
Pour pouvoir redonner vie aux politiques nationales, c’est-à-dire, sous-entendu, redonner leurs chances aux relances keynésiennes, toujours selon Luc Ferry, il faudrait faire en sorte que la mondialisation n’ait plus de prise et, pour cela, il faudrait faire un détour par l’Europe pour retrouver des marges de manœuvres.
Le problème majeur de la démonstration de Luc Ferry est que les politiques nationales qu’il appelle de ses vœux ne marchent pas, mondialisation ou pas. En effet elles ne font que se traduire par la spoliation de certains au profit d’autres sans jamais créer la moindre richesse.
L’autre problème est que l’innovation pour l’innovation n’existe pas en réalité. Une innovation n’a de succès que si elle répond à un besoin. Prenons l’exemple du smartphone. Le smartphone que d’aucuns changeront à chaque évolution leur apportera de nouveaux degrés de liberté, qui diffèreront d’une personne à l’autre, parce que tous ceux qui le changeront, c’est-à-dire certains mais pas tous, n’en feront pas le même usage. En réalité, une innovation n’est pas obligatoirement adoptée par tous ceux auxquels elle s’adresse, au grand dam d’ailleurs des innovateurs. La sélection entre les innovations s’opère avec le temps et c’est le consommateur qui décide en dernier ressort, parfois de manière inattendue. L’innovateur qui échoue apprend alors davantage que s’il avait eu du succès avec son innovation. Prenons l’exemple des vidéos. En 2012, les ventes de DVD baissent. Celles de Blue Ray augmentent, mais elles restent très loin derrière et ne compensent pas la baisse des DVD. Celles des VoD (vidéos à la demande) augmentent considérablement. Mais l’ensemble de la vidéo, physique ou numérique, baisse tout de même par rapport à 2011. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie peut-être que les téléchargements pirates augmentent, mais peut-être, plus vraisemblablement, que les consommateurs n’ont plus le temps de regarder de films sur ces supports et qu’ils préfèrent passer leur temps autrement, en allant sur Internet, en faisant des jeux vidéo, en regardant une des nombreuses chaînes télé, et, pourquoi pas, en retrouvant les joies de la lecture…
Mondialisation ou pas, on innove depuis la nuit des temps parce que les hommes ont une intelligence différente de celle des autres êtres vivants et qu’ils la développent dans la mesure où ils sont libres de le faire. Ce faisant ils créent des richesses et de la prospérité.
Il ne faut pas demander au capitalisme d’autre sens que celui de donner à chacun les moyens d’exercer sa liberté et d’échanger une de ses créations, quelle qu’elle soit, contre une autre. C’est à chacun de donner un sens à sa vie et ce n’est certainement pas aux politiques nationales de le faire à sa place. Il en va de sa dignité d’être humain.
— Luc Ferry, L’innovation destructrice, Plon, 2014, 140 pages.
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Sur le web.
L’innovation détruit surtout le pouvoir des constructivistes. Si Ferry plonge dans un luddisme aussi profond, c’est vraiment qu’il s’est s’est complètement déconnecté de la réalité, sous réserve qu’il y ait déjà seulement un peu été relié.
Elle donne aussi des moyens de contrôle inimaginable aux constructivistes, mais évaluer si la liberté avance plus vite que les moyens de contrôles, chacun est juge.
« déconnecté de la réalité, sous réserve qu’il y ait déjà seulement un peu été relié. »
Ferry connecté à la réalité.
J’ai bien ri.
Gratuit tout autant que faux : « Une innovation n’a de succès que si elle répond à un besoin ».
Un exemple d’innovation ne correspondant pas à un besoin ?
Un exemple « d’innovation » qui corresponde à vos besoins ?
Une innovation a du succès si les gens comprennent aussi son utilité. Le pain de mie en tranches, l’aspirateur sans sac, le smartphone tactile (pour moi celui-là) mettent du temps à percer si la personne ne comprend pas son intérêt.
« Comme exemple, Luc Ferry donne celui-ci : « Qui peut croire sérieusement qu’on sera plus libre et plus heureux parce qu’on disposera d’une nouvelle version de son smartphone dans six mois ? Personne, mais nous l’achèterons tous [sauf moi]. »
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Qui peut croire sérieusement qu’on sera plus contraint et plus malheureux avec une nouvelle version de son smartphone ? Ou mieux : qui peut sérieusement croire qu’on sera plus libre et plus heureux avec l’économie dirigée par l’Etat ?
Et non, les gens n’achèterons pas « tous » le dernier smartphone, il faut que Luc il sorte de sa bulle et qu’il fréquente plus le bon peuple. Il y en a même pleins qui n’achètent pas de smartphone du tout parce qu’ils préfèrent un téléphone qui tient la charge une semaine et non pas un jour !
« Qui peut croire sérieusement qu’on sera plus libre et plus heureux parce qu’on disposera d’une nouvelle version de son smartphone dans six mois ? Personne, mais nous l’achèterons tous [sauf moi]. Tel est le monde dans lequel nous sommes entrés. »
Sans parler du caractère infantile de cet exemple, et du fait qu’il est plutôt mal choisi (le passage d’un smartphone à la mouture suivante n’est pas vraiment un symbole de l’innovation la plus débridée), voilà une citation qui en dit long sur la dissonance cognitive moyenne de l’intello anti-libéral.
Si tout le monde sauf toi change de smartphone, Luc, c’est peut-être, au hasard, parce que tout le monde a envie de le faire, et que ça fait un peu plaisir à tout le monde, non ?
Ah ben non, la sentence tombe : PERSONNE ne croit qu’il va acheter un smartphone parce qu’il en a envie ou, on ose à peine l’imaginer, parce que ça va le rendre heureux, ne serait-ce que le temps de découvrir ce nouvel objet !
IMPOSSIBLE ! nous dit le Professeur Ferry. Et si vous lui opposez cet argument, il ne manquera pas de partir dans une digression philosophique sur le mode tirage de nouille « Mouiiii, voyez, mais ça dépend de ce qu’on entend par bonheur et progrès… »
On est presque surpris qu’il n’embraye pas immédiatement sur le « consumérisme », cette horrible dérive du capitalisme qui augmente continument le niveau de vie de la planète entière année après année ! (J’imagine que c’est dans la suite du livre).
Bref, du travail bâclé, du Luc Ferry standard.
Il y a quelques années, j’ai assisté à une conférence de Luc, je me suis ennuyée, pourtant j’y avais mis quelques espoirs.
Comment on peut penser construire un système où il n’y a aucune création de richesse, qu’est ce qui c’est passé dans sa tête pour qu’il pense ainsi, comprends pas.
J’ajouterais, un système dans lequel ont interdit par la violence la création de richesse.
luc ferry semble habitué au sophisme: http://www.thierry-guinhut-litteratures.com/article-luc-ferry-de-l-amour-une-philosophie-pour-le-xxi-siecle-109232641.html
« que les consommateurs n’ont plus le temps de regarder de films sur ces supports et qu’ils préfèrent passer leur temps autrement, en allant sur Internet, en faisant des jeux vidéo, en regardant une des nombreuses chaînes télé, et, pourquoi pas, en retrouvant les joies de la lecture… »
Lire Contrepoints pour s’enrichir,
Lire Luc Ferry pour rigoler….
Et voilà donc un énième prophète de l’effondrement à venir du capitalisme : Luc Ferry…
Article extrêmement intéressant: tant pour les thèses de Ferry que celles de son contradicteur.
Tous deux mettent le doigt sur le concept fondamental du bonheur humain: les besoins.
M. RICHARD omet toutefois de distinguer la nature des besoins.
Le besoin, comme le client, seraient rois. Et c’est vrai d’un point de vue économique. Mais l’économie est une bête aveugle. Son seul but : le plaisir ou l’intérêt. C’est l’hédonisme à l’état « pur ».
Or les véritables besoins, les besoins HUMAINS, sont ceux qui répondent à la nature humaine : manger, se loger, aimer ses proches, cultiver son intelligence en vue du vrai, forger sa volonté en vue du bien, contempler le Beau (pas l’urinoir de Duchamp …).
Simone Weil hier, Aristote avant-hier ne disaient pas autre chose.
Ce n’est pas parce que l’homo democraticus de base veut un téléphone portable que le téléphone portable, besoin économique, est un besoin humain. Sur ce point précis, M. FERRY est proche de la vérité.
Encore faut-il chercher celle-ci, sans se défiler en prétendant qu’elle n’existe pas…
« Il y aurait, selon lui, désormais, innovation pour l’innovation et, par conséquent, rupture incessante avec toutes les formes d’héritage, de patrimoine et de tradition. […]
Cette logique perpétuelle serait le propre du capitalisme chimiquement pur, amoral, dénué de sens. »
Mais c’est absolument faux !
La rupture avec l’héritage et le patrimoine est entièrement imposée par la contrainte étatique !
Sans l’Endoctrinement National, sans le mariage civil, sans le constructivisme socialiste que l’État nous impose depuis un siècle et demi, depuis la fin de la laïcité, où serions-nous ?
Certainement pas si étrangers à notre propre pays !
Il faut sortir de cette spirale qui, faisant assumer les forfaits du socialisme au libéralisme, permet à celui-là de se renforcer de ses propres méfaits !
Vous qui voulez un retour aux valeurs de subsidiarité, de société civile, d’État régalien, cessez donc d’accuser le libéralisme ! Le coupable est le socialisme, et vous ne faites que le renforcer !
Limitons l’État et les français retrouveront la liberté de perpétuer leur culture et leurs usages !
Si l’innovation pour l’innovation est si efficace, pourquoi certaines innovations font un bide complet?
Qui se souvient encore du DVD Audio?
Ou du SACD (Super Audio CD)?
Plus récent : qui possède une télé 3D? Qui connait quelqu’un qui en possède une?
Des tas d’innovations rencontrent un public réduit voire minuscule. Si l’innovation est réellement de la « pure innovation auto-justifiée », comment expliquer un tel phénomène?
Il faut apprendre la logique. Je ne dis pas ça pour vous vanner. Il faut apprendre la logique.
Il de découle pas de « l’innovation est efficace » que « toute innovation marche ». Tout simplement.
Il faut aussi apprendre à lire.
Certes.
Qu’est-ce que la science ?
La science, c’est les yeux bandés, chercher un chat noir dans une pièce obscure.
Qu’est-ce que la philosophie ?
La philosophie, c’est chercher les yeux bandés dans une pièce obscure un chat noir qui ne s’y trouve pas.
Qu’est-ce que le matérialisme dialectique ?
Le matérialisme dialectique, c’est chercher les yeux bandés dans une pièce obscure un chat noir qui ne s’y trouve pas et s’écrier tout d’un coup : « ça y est, je le tiens ! ».
L’innovation n’a pas toujours à voir avec le progrès, mais elle l’a souvent.
Et ce n’est pas un exemple simpliste (telle la cinquième génération de smartphone) qui montre certains aspect futiles de certaines innovations que l’on peut conclure qu’il y a destruction par l’innovation.
Ce qui est nouveau n’est pas nécessairement utile ni bienfaisant. Mais faute de création et d’innovation aucune des lacunes de nos connaissances actuelles ne saurait être comblée. Les générations futures ont encore bien du boulot sur la planche, tant mieux pour elles.
Luc Ferry, dont je n’ai pas lu ce livre, ferait-il une apologie de l’obscurantisme?
Vous avez remarqué?
Les critiques de la modernité et du progrès ne parlent QUE du smartphone.
Si ce qui est nouveau rencontre des utilisateurs, c’est que le besoins existe. Et personne n’est en droit de décider si telle inovation est mieux que telle autre.
C’est un peu comme si l’état se mettait à subvensionner certaines activités au dépend d’autre, ou de soutenir des activités en déclin en taxant des activités en plein essort : Ce serait complètement stupide, vous ne croyez pas ?
Monsieur Ferry se satisfait du Minitel .. Grand bien lui en fasse !
L’État faire ça ? Haha complètement irréaliste 🙂
Peut-on avoir réellement besoin de ce qui n’existe pas encore ? Si non, c’est bien l’innovation qui crée ce besoin.
Finalement la réponse est oui, pour preuve il n’existe pas en France d’homme politique à la hauteur de la tâche et il va falloir l’inventer, avis aux créateurs 😉
Oui.
Sinon c’est comme dire que l’automobile ne sert a rien car on avait déjà des chevaux.
Et après?
Donc on n’a besoin de rien sauf d’eau et de bouffe?
Vraiment n’importe quoi.
Comme d’hab.