Par Jean-François Gagné.
Le cadre d’analyse actuel en stratégie reste structuré par deux concepts apparus dans les années 1980 : les stratégies génériques de Porter et le développement des low cost dans de nombreuses industries. Porter a posé l’existence de trois stratégies possibles : domination par les coûts (en milieu de marché), sophistication (haut de marché) et épuration (généralement appelé low cost, bas de marché).
Chaque stratégie possède sa cohérence, ses chances de succès et selon Porter, doit maîtriser ses caractéristiques propres pour continuer à être performante. Le low cost, identifié par Porter comme l’une des trois stratégies possibles, s’est largement développé et occupe désormais un espace important dans de nombreuses industries : la distribution, l’aérien, l’automobile ou encore la banque. On assiste depuis plusieurs années dans différentes industries où les low cost se sont implantés à une redistribution de l’espace stratégique, à cause de mouvements convergents des acteurs traditionnels vers les low cost et des low cost vers les acteurs traditionnels.
L’exemple symptomatique est celui de Ryanair, low cost à succès dans l’aérien, qui a décidé de faire évoluer son modèle et de quitter les aéroports secondaires qui correspondaient au modèle pur du low cost (notamment avec des temps d’opérations très courts dans ces aéroports, permettant une maximisation du temps de vol utile sur l’avion et le jeu de subventions perçues des collectivités).
Ryanair se trouve contraint de déplacer son modèle pour deux raisons : d’une part, parce que Air France est venue le concurrencer sur le court et le moyen-courrier en développant Hop, et d’autre part parce que Easyjet, le principal concurrent d’origine de Ryanair, s’est déplacé depuis longtemps vers un modèle hybride entre low cost et transporteur traditionnel avec un succès significatif sur les dernières années (2010-2014) : son taux de croissance ces deux dernières années a été bien supérieur à celui de Ryanair.
On retrouve les mêmes mouvements dans la grande distribution française : l’arrivée des hard-discounters a été initialement mal appréciée par les acteurs traditionnels qui ont répondu, pour contenir la croissance forte des parts de marché des premiers, tardivement, mais avec succès sur les prix et aussi en empruntant aux méthodes de gestion plus rationnelle en back-office des hard-discounters. De leurs côtés, certains hard-discounters, face à la riposte des acteurs traditionnels, font à leur tour évoluer leurs modèles en empruntant aux acteurs traditionnels : utilisation des marques nationales, promotions, corners boulangerie…
Cette hybridation des modèles traduit des déplacements des acteurs dans l’espace de marché et elle va entraîner une concurrence plus forte entre ces groupes stratégiques. Loin d’être plus étanche entre ces groupes d’acteurs, le marché va apparaître comme flou et incertain, notamment en termes de positionnement respectif. La question qui agite et continuera à agiter ces différents acteurs est celle des conséquences de cette hybridation et des moyens pour trouver le meilleur chemin entre les différentes alternatives qui seront offertes. Autrement dit, quoi faire ?
Deux conséquences sont probables :
- Compétition plus frontale amenant des pressions sur les marges et les prix de vente et déclenchant des réflexions sur l’utilisation optimale des capacités.
- Incertitude des acteurs sur leurs mouvements amenant des innovations et de la différenciation entre les offres, suivie d’une légitimation au sein de l’industrie du modèle qui aura le mieux réussi.
Que faire pour les acteurs concernés ?
- Suivre les évolutions des offres des concurrents, analyser leur pricing et déterminer la marge sur les offres : il faudra notamment savoir basculer de façon rapide sur le modèle qui s’avérera gagnant entre les différentes formules testées par les uns et les autres.
- Réévaluer régulièrement la structure de l’offre qu’on propose en termes de lisibilité et de cohérence : une méthode comme celle des courbes de valeur révélant le niveau offert sur le marché sur son offre et celle des concurrents, attribut par attribut de l’offre, peut s’avérer utile.
Pourquoi dire low cost, quand on peut dire bas-coût ?
C’est déjà fait. D’ailleurs, pour moi, la stratégie gagnante est une combinaison des trois :
– low cost sur ce qui n’est pas important pour le consommateur ;
– sophistication pour son attente majeure ;
– domination par les coûts, puisque vous offrez l’essentiel du bien ou du service (sophistication) pour un prix inférieur aux concurrents (permis par le low-cost).
L’important est de bien identifier ce qui est important pour le consommateur. Par exemple, j’ai répondu à un sondage pour un éditeur de logiciel de comptabilité, Cegid, qui montre bien qu’ils n’ont aucune idée de ce que moi, expert-comptable, je veux. Ils me parlent de sécurité, de pouvoir utiliser le logiciel de n’importe où, alors que ce que je veux, c’est un logiciel rapide d’utilisation et qui gère correctement tous les imprimés et portails déclaratifs pondus par l’Etat chaque année (et ce n’est pas une mince affaire). La sécurité je m’en fiche, j’ai des sauvegardes pour ca, et pouvoir utiliser de n’importe ou aussi, puisque je ne travaille pratiquement qu’à distance. Internet et le téléphone portable, c’est le pied.
Un autre éditeur, Quadratus, petite start-up aixoise, a compris, et est devenu premier du marché en offrant une seule chose : la rapîdité d’utilisation, avec des raccourcis dans tous les sens qui ont divisé par deux mon temps de saisie comptable. Puis, leur fortune faite, ils ont revendu leur boîte au géant Cegid… qui même après l’avoir racheté, n’a toujours pas compris…