L’opposition entre innovation radicale et innovation incrémentale est un des classiques des théories de l’innovation. Tandis que l’innovation incrémentale consiste à améliorer les produits existants, l’innovation radicale consiste à inventer des nouvelles catégories de produits qui sont à la fois nouveaux pour le marché et pour l’entreprise. Le livre fondateur de Clayton Christensen Innovator’s dilemma qui, rappelons-le pour le regretter, n’a pas été traduit en français, montre comment les acteurs installés sur un marché profitent des innovations incrémentales mais sont le plus souvent marginalisés à la suite d’une innovation radicale. Par exemple, Kodak a très mal géré l’arrivée de la photo numérique.
Initialement, Christensen a posé le débat en termes de technologies, s’appuyant sur la fameuse courbe en S de progression d’une technologie (inventée par Richard Foster) pour montrer comment une technologie dépassait l’autre. Plusieurs chercheurs ont cependant montré que sa thèse ne s’appliquait pas toujours : il y a de nombreux exemples d’entreprises capables non seulement de survivre à une innovation radicale sur leur marché, mais d’en profiter (par exemple IBM). L’opposition radical-incrémental est donc intéressante, mais pas opérante pour comprendre la dynamique de réussite sur un marché entre acteurs en place et nouveaux entrants.
Plus tard, cependant, Christensen est revenu sur la question et a admis que la catégorisation doit plutôt se faire en termes de modèles d’affaire. Ce qui importe c’est de savoir si l’innovation entre en conflit avec le modèle d’affaire de l’entreprise ou pas. Certaines innovations, pourtant radicales, se conforment cependant assez bien au modèle d’affaire en place. C’est le cas de la téléphonie mobile pour les opérateurs télécom fixes : au fond, le modèle est très similaire et les compétences également, même si sur le plan technologique le saut est très important. C’est donc sans surprise que les opérateurs fixes ont réussi à devenir des acteurs du mobile. Si, en revanche, l’innovation radicale entre en conflit avec le modèle d’affaire actuel, alors le « dilemme » joue. C’est par exemple le cas des applications web comme Salesfore qui menacent un acteur comme SAP. SAP pourrait parfaitement créer une offre web, mais cela supposerait un modèle (en gros, abonnement mensuel de quelques dizaines d’euros) complètement différent de celui actuel (licence très élevée, prestations de développement et de maintenance, etc.).
En outre, certaines innovations de rupture ne sont pas des innovations radicales du tout, c’est le cas de Renault avec la Logan (voir mon billet sur la Renault Logan). La Logan correspond à un modèle d’affaire différent du modèle de Renault, tant est si bien que la voiture a été créée par une entité différente car il est difficile de faire coexister deux modèles sous un même toit. Renault a initialement eu du mal à gérer les deux, surtout sur le plan culturel en interne.
Christensen a donc adapté sa catégorisation et oppose donc désormais innovation continue et innovation de rupture. L’innovation continue (« sustaining ») se fait en conformité avec le modèle d’affaire de l’entreprise, qu’elle soit radicale ou non. L’innovation de rupture (« disruptive ») se fait en… rupture avec le modèle d’affaire de l’entreprise, là encore qu’elle soit radicale ou non.
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Sur le web.
Merci, toujours excellent les billets de Philippe Silberzahn. Rien de très original, mais toujours digne d’être dit