La Suisse est-elle encore une démocratie ?

Les derniers changements constitutionnels en faveur du droit international vont-ils enfoncer les derniers clous du cercueil de la démocratie suisse ?

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La Suisse est-elle encore une démocratie ?

Publié le 14 août 2014
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Par Stéphane Montabert.

Suisse credits Romain Pittet (licence creative commons)

La Suisse a-t-elle changé de régime, demandais-je il y a quelques mois ? L’interrogation se posait face à la propension des autorités à utiliser l’excuse du « droit international » pour censurer une initiative avant même que celle-ci ne soit votée par le peuple souverain.

Cette façon cavalière de changer une question soumise au peuple n’est pas le seul angle attaque contre la démocratie helvétique. Le refus de mettre en œuvre des résultats de votations est ainsi monnaie courante dans le pays, depuis le rejet par le peuple de l’introduction de l’heure d’été en 1978.

Mais si la brèche a été ouverte depuis fort longtemps, elle s’élargit récemment de façon inquiétante. Renvoi des criminels étrangers, interdiction des minarets, internement à vie des délinquants extrêmement dangereux, autant de textes approuvés par le prétendu « souverain » mais ensuite battus en brèche, soit directement par la classe politique suisse au moment de définir des lois d’application, soit par le biais de tribunaux étrangers comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

Un long recul démocratique

La démocratie directe ne saurait être illimitée. Reste à savoir de quelle manière décider des sujets sur lesquels elle s’applique.

À la démocratie – comme à tout système politique – les libéraux opposent les droits inaliénables de l’individu. En plus d’être intelligible, cette limite « venue d’en bas » a l’avantage d’être défendable sur le plan éthique.

Ce n’est pas le chemin choisi par les autorités de ce pays. L’essentiel de sa classe politique estime au contraire que les contraintes à l’exercice de la démocratie viennent « d’en haut », à travers le droit international – l’ensemble des traités signés. Selon eux, la démocratie ne s’exerce plus que sur ce qui n’est pas déjà décidé à travers un accord diplomatique. Cette vision oppose donc de façon frontale la démocratie au droit international, l’un excluant l’autre.

Naturellement, il s’agit d’un extraordinaire recul de la démocratie puisque les accords internationaux ont tendance à se multiplier, de même que les règlements suite à l’adhésion à des organisations supra-nationales. Les souverainistes français dénoncent régulièrement que 80% des lois votées en France à l’Assemblée ne sont que la transposition en législation locale de décisions prises à Bruxelles, ce qui donne une idée de la marge de manœuvre laissée à une vraie démocratie en pareil cas.

Certes, la Suisse ne fait pas partie de l’Union Européenne, mais elle fait partie de l’Organisation des Nations Unies (ONU). De l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). De l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Du Conseil de l’Europe. De l’Espace Schengen. Et ainsi de suite.

Mieux encore, la plupart des organisations internationales issues de ces traités sont désormais dotées de tribunaux internes permettant, via la jurisprudence, de pousser toujours plus loin un accord diplomatique sans rien avoir à renégocier, à resigner, ou, dans le cas suisse, à revoter.

Les Suisses auraient-ils accepté la tutelle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’ils avaient su l’orientation « progressiste » de ses jugements en matière de renvoi de criminels ou d’incarcération des meurtriers ? La question est rhétorique puisqu’ils ont adhéré à la CEDH sans même un vote populaire…

Le Graal dans ce domaine est évidemment l’accord-cadre que M. Burkhalter prépare avec l’Union Européenne. Ne nous y trompons pas, il n’a qu’un unique but : permettre la reprise automatique des règlements européens par la Suisse sans que le peuple ne puisse formuler d’objection.

L’affaiblissement de la démocratie directe, préalable à l’émergence d’une classe politique classique

imgscan contrepoints 2013-2412 démocratie directeEn opposant le droit international à la démocratie directe, on comprend mieux l’extraordinaire boulimie des autorités helvétiques envers les traités internationaux de ces dernières années. En effet, chaque nouvel accord, chaque nouvelle adhésion diminuent le champ d’application des droits populaires. Autrement dit, plus le droit international progresse, plus la classe politique suisse a les coudées franches.

Poussons le raisonnement jusqu’au bout : si tous les sujets politiques sont peu ou prou rattachés au droit international imperméable au contrôle de la démocratie directe, alors il en sera fini de celle-ci. Les citoyens n’auront le loisir de s’exprimer que lors des échéances électorales comme dans la plupart des autres pays européens. Leur action sur la vie politique se limitera par ailleurs à commenter au café du commerce les nouvelles publiées dans les journaux. Durant l’ensemble de leur mandat, les élus auront carte blanche pour faire à peu près ce qu’ils veulent.

Bien entendu, la démocratie directe sera morte bien avant que l’ensemble des lois du pays ne soit apparenté au « droit international ». Les initiatives édulcorées et le refus de prendre en compte l’avis des citoyens auront provoqué l’effondrement du taux de participation bien avant. Cet effet est déjà perceptible aujourd’hui. Pourquoi voter quand le résultat du scrutin n’est pas pris en compte ?

On peut émettre différentes hypothèses quant à cette dérive, mais selon moi elle relève d’une volonté délibérée. Un cap essentiel a été franchi avec la révision de la Constitution de 1999 introduisant en particulier l’article 5, alinéa 4, « La Confédération et les cantons respectent le droit international. » Cette nouvelle Constitution changea la face du pays sur de nombreux plans majeurs mais fut présentée au peuple comme un simple « toilettage » des textes précédents sans réels changement significatif, ni réel débat.

Les constitutions précédentes ne mentionnaient pas d’article équivalent. Était-ce à dire que la Suisse ne respectait alors pas le droit international ? Bien sûr que non. Mais l’article 5.4 de la Constitution actuelle mentionne clairement le droit international en sous-entendant lourdement le principe de subordination.

Cette modification a été beaucoup trop subtilement introduite pour être le fait du hasard.

Voter pour la vie ou la mort de la démocratie directe

Christoph Blocher, qui a comme à son habitude compris beaucoup de choses avant tout le monde, défraie la chronique récemment en annonçant une initiative pour restaurer la primauté du droit suisse sur le droit international. En fait, il ne s’agit que d’être logique et cohérent par rapport à ce que nous appelons la « démocratie directe ».

On notera que dans la classe politico-médiatique exprimant consternation ou mépris à son encontre, personne ne semble s’étonner que sur le sol helvétique le droit suisse soit progressivement devenu inférieur au droit international. Pour les adeptes du constructivisme international, ce mouvement est dans l’ordre des choses !

À l’opposé, la démocratie directe implique que la légitimité de l’État soit issue du peuple à travers la Constitution. Si la Constitution est la plus haute norme législative du pays, les accords diplomatiques que la Suisse signe sont naturellement subordonnés à la Constitution ; et si naturellement la Constitution entre en conflit avec ces traités, alors ils doivent être renégociés ou annulés. Il serait absurde de prétendre que les citoyens doivent voter pour accepter un traité mais ne peuvent ensuite plus voter pour l’abroger.

Si le droit international est jugé prioritaire vis-à-vis de la Constitution, alors la démocratie directe est effectivement morte. Il existe un domaine du droit – de plus en plus étendu – complètement hors d’atteinte du pouvoir politique des citoyens.

Depuis plusieurs années, la classe politique a choisi cette seconde option, mais de façon sournoise, sans oser l’avouer au grand jour. Nous n’en voyons les effets que ponctuellement alors que les droits populaires entrent de plus en plus fréquemment en conflit avec le consensus dominant dans la classe politique – et perdent la bataille.

L’initiative de l’UDC a le mérite de lever le voile sur les pratiques du Parlement et du Conseil Fédéral. Le sujet est mis sur la table sans détour. Au souverain de décider si le peuple suisse doit continuer à choisir lui-même son destin, ou ne peut plus s’exprimer que sur le champ de plus en plus étroit que les accords internationaux veulent bien lui laisser.

La campagne s’annonce très intéressante. Quelqu’un osera-t-il clamer que cette initiative est contraire au droit international ? Si tel est le cas, nous aurons la preuve finale que le coup d’État institutionnel a déjà eu lieu.


Sur le web.

Voir aussi sur Contrepoints La Suisse tranquille… mais armée et La neutralité de la Suisse et la guerre en Ukraine.

Voir les commentaires (18)

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  • « La Confédération et les cantons respectent le droit international. »
    Et si le droit international décide de tout, et bien la Confédération et les cantons n’existent même plus.

  • Quelqu’un osera-t-il clamer que cette initiative est contraire au droit international ?

    Il suffira d’affirmer, haut et fort, que l’initiative est conforme au droit international.
    Nous auron sans doute droit à un bon moment d’hilarité :mrgreen:

  • En Suisse c’est devenu une habitude surtout à gauche de brandir le droit international pour faire capoter des initiatives UDC ou soutenu par elle tel celles qui  » interdit aux pédophiles de pour voir travailler avec de enfants « ,  » pour le renvoie des criminels étrangers  » ou  » pour l’internement à vie des délinquants sexuellement dangereux et incurables « . Et la plupart de ces décérébrés de gauchistes doivent certainement même pas savoir le contenu de ce droit international qu’ils brandissent à longueur d’année pour protéger en premier les pédophiles avant les enfants.

    D.J

    • bonjour D.J ,ah !eh bien voilà une chose sensée à préciser ; il faut de temps à autre remettre le facteur sur le vélo ! en l’occurrence la meute de donneurs de leçons,béats de la sous-culture Lang .
      Ceci dit ; par les temps qui courent , j’aimerais joliment être citoyen Suisse !

  • Le Droit International Public, c’est un ensemble de règles de savoir-vivre définis par les Etats pour les Etats.
    Elle empêche ainsi la Suisse de renvoyer des criminels et délinquants dans le pays auquel correspondent leurs papiers d’identités sans son avis et sans l’informer. Si la Suisse veut pratiquer ces renvois, elle doit trouver des accords avec ces mêmes Etats, sans quoi, si les pays du monde entier l’imitait en s’essuyant les pieds sur le droit International, ce serait la zizanie totale.
    Je rajoute que la Suisse, en acceptant cette initiative, ne pourrait certainement pas conserver toutes ses Organisations Internationales ( ONU, BIT, OMS… ) en raison du déficit d’image dont elle souffrirait et de l’extrême liaison de ces organisations au Droit International et à la gouvernance mondiale.

    • « ne pourrait certainement pas conserver toutes ses Organisations Internationales ( ONU, BIT, OMS… ) en raison du déficit d’image dont elle souffrirait »
      Ha ha ha la bonne blague! L’ONU vraiment? La plupart des dictatures siegent a l’ONU depuis des annees et sont comme des poissons dans l’eau…

  • Si une majorité de Suisses ont refusé le changement d’ heure en 1978 Bravo ! le temps est Une des Valeurs Sacrées à laquelle il ne faut toucher qu ‘ exceptionnellement la plupart des pays qui sont soumis à ce changement fasciste sont décadents ils le méritent bien ….
    Si ce vote n’ a pas été respecté alors là je me suis planté sur ce pays soit disant démocratique !

    • @ noe

      La Suisse est loin d’être parfaite, les autorités politiques y sont expertes pour réussir à contourner la démocratie directe. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles rêvaient d’entrer dans l’UE, car elles auraient pu utiliser l’UE pour mettre fin à cette démocratie.

      Mais après là aussi, tant que le peuple suisse continue de voter pour les mêmes politiciens, il ne peut pas non plus venir s’en plaindre… 

      • Merci de la réponse . Un tout petit éclairage sur ce sujet du changement du temps
        Il s’ agit d’ un conditionnement mental à la soumission , en quelque sorte un cheval de Troie contre la démocratie du fait que
        – on ne peut s’ y soustraire
        – l’ acte de soumission est répété 2 / an
        C’ est d’ une tout autre importance que les effets physiologiques qui eux sont de courte durée
        Maintenant un pouvoir minoritaire a passé outre la volonté du peuple majoritaire
        en s’ y soumettant en 1980
        les Suisses ont mis le doigt entre poulie et courroie à présent ils y ont la main /

        • @ noe

          En Suisse, on vote 4 fois par an pour les votations fédérales, plus une fois tous les 4 ans pour les élections fédérales, sans compter toutes les votations et élections cantonales et communales.

          Pour l’heure d’été, si le référendum a abouti en 78, il a échoué en 82. La raison de ce changement tient du fait que l’Allemagne et l’Autriche avaient adopté l’heure d’été en 80, ce qui isolait complètement la Suisse par rapport au reste de l’Europe. Donc sur ce point, les politiciens n »ont pas du beaucoup schinder pour imposer leur vision.

          • Merci de rectifier ; Pour terminer brièvement sur le sujet , le temps est une valeur sacrée et universelle parce que elle n’ appartient à personne donc à tout le monde ce que hélas nombre de libéraux n’ ont pas compris c’ est que le droit de propriété ne se limite ni à l’ espace , ni au meuble .

            • Tout à fait. Le contrôle que l’Etat prétend exercer même sur la mesure du temps devrait donner des frissons d’effroi à quiconque comprend la pensée totalitaire sous-jacente.

  • Ils veulent mettre la CH au pas et ce par tous les moyens. Ceux que vous évoquez sont ceux que nous connaissons dans tous les pays occidentaux, depuis les US et la France jusqu’à vous.
    Il s’agit d’une guerre livrée contre les peuples occidentaux avec la complicité évidente des élites et des élus, dont les peuples commencent seulement à comprendre qu’ils sont seulement en apparence distincts les uns des autres sur ces sujets. Au point de se demander si en réalité ceux qui sont réellement éligibles à des postes de pouvoir ne sont pas déjà présélectionnés et les indésirables éliminés de la course.
    Il en va de même sur tout ce qui concerne les différentes « avancées » en matière de millefeuilles électoraux et pouvoirs subsidiaires. Je ne connais pas la réalité suisse, mais ici, il est clair qu’on a décidé de déshabiller les élus de premier rang pour transférer leur pouvoir au sein d’une multitude de syndicats et autres organismes dont les dirigeants non élus détiennent les vrais pouvoirs de décision et d’influence.
    Ce qui est insupportable, c’est que ceux qui poussent inlassablement pour cet agenda n’ont pas même le simple courage de dire vers quoi ils veulent nous entrainer.

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