Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.
Le 28 septembre les Suisses seront amenés, à travers l’Initiative pour une Caisse Unique, à se prononcer sur une étatisation encore plus poussée du système de santé helvétique.
Les initiatives sur le sujet sont récurrentes, et l’augmentation continue des primes renforce les interrogations. Forcée par la loi à contracter une assurance-maladie et progressivement écrasée par le coût de celle-ci, la classe moyenne paraît prête à s’abandonner à n’importe quelle solution qui lui semble diminuer la facture.
Le précédent LAMal
Hélas, l’initiative n’arrangera rien sur ce point. Ramener les 61 différentes caisses qui existent en une seule entité sous l’égide de fonctionnaires d’État ne baissera pas d’un centime les coûts de la santé, ni ne diminuera les primes payées par la population. Cette réforme – marquante car décidée par scrutin populaire – ne fera que s’ajouter aux autres sans changer les mécanismes d’un système fondamentalement vicié.
En réussissant à imposer la LAMal [loi fédérale sur l’assurance-maladie] en 1996, la gauche eut l’intelligence de poser les jalons d’un système prétendument libre – plusieurs caisses maladie, « concurrence » entre elles – mais qui en était de fait aux antipodes : lesdites caisses ne doivent pas faire de bénéfices, sont limitées au territoire suisse, chacun a l’obligation de s’assurer et ne peut changer qu’à certains moments du calendrier, etc.
La LAMal est donc un système communiste vêtu des oripeaux du libre marché.
L’astuce fonctionne au-delà de toute espérance : chaque année, lorsque les coûts augmentent sans aucun contrôle, les assurés ne voient que la prime demandée par leurs interlocuteurs, les caisses « privées » d’assurance-maladie. Ils ne font aucun lien avec les gabegies hospitalières, et ne comptez pas sur les médias pour s’attarder sur cet aspect du problème. Alors, ils crient (et on les fait crier) : « La concurrence entre les caisses ne fonctionne pas ! C’est la faute au libéralisme ! La santé privée est un échec ! »
Mais y-a-t-il réellement de la concurrence entre les caisses ? Le système est-il libéral ? La santé est-elle privée ? Non, trois fois non !
À la concurrence près, le phénomène n’est pas sans rappeler l’aversion générale contre Billag, la société chargée de la collecte de la redevance. Ce n’est pas un hasard puisque les deux relèvent du même mécanisme. L’État facture très cher l’organisation d’un service et charge ensuite des sociétés privées du recoupement des factures. Celles-ci cristallisent ensuite sur elles l’animosité populaire.
Comme pour se justifier, nombre de citoyens pointent du doigt les dépenses des caisses en publicité ou en magazines internes. Pour beaucoup de gens c’est probablement du gâchis, mais les montants impliqués restent dérisoires.
Les frais de gestion des caisses-maladies ne représentent que 5% des coûts de la santé (ce qui donne un petit aperçu du gâchis dans les autres secteurs du système de santé).
Bien sûr, on peut proclamer – et les initiants ne s’en privent pas – que 5% n’est pas rien, surtout au vu des montants impliqués. Et puis, toute économie est bonne à prendre.
Admettons l’hypothèse, et supposons que par magie toutes les sociétés d’assurance-maladie disparaissent. Pour les besoins de l’exercice, ne lésinons pas, admettons aussi que le service désormais assuré par l’État soit rendu gratuitement. Qu’obtiendrions-nous alors ? Une baisse nette de 5% des primes d’assurance-maladie.
Une baisse qui serait donc annulée à cause de la hausse régulière des coûts de la santé après seulement deux ans…
Problème des coûts de santé
Le problème n’est pas et n’a jamais été la collecte des factures, mais bien les coûts de la santé eux-mêmes. Les primes n’en sont que le reflet.
Les primes (ligne noire) reflètent les coûts (ligne rouge), rien d’autre. Les variations ne sont dues qu’aux réserves obligatoires des caisses et à des ajustements réclamés lors de périodes politiquement sensibles comme des années électorales – dans les deux cas, des contraintes artificielles directement issues du monde politique.
Il y a de nombreuses façons de ruiner un pays, avec par exemple le salaire minimum, l’endettement illimité, la retraite par répartition… L’étatisation complète de la santé figure en bonne place dans cette liste. Pourtant, si l’initiative pour une caisse unique venait à être approuvée, ce ne serait même pas une catastrophe ; l’excuse des sociétés privées disparaîtrait pour de bon et montrerait enfin à tous la réalité des coûts en roue libre et le prélèvement des primes directement par la main rude de l’État.
Le seul défaut de ce scénario serait de déplacer le curseur vers plus de collectivisme, en accordant de surcroît encore une fois confiance et pouvoir à ceux qui sont à l’origine de ce système impossible. Les socialistes n’en font pas mystère, la caisse unique n’est qu’un préalable à l’indexation des primes sur le revenu, c’est-à-dire la transformation de l’assurance en impôt – un impôt qui comme en France aura tôt fait de ruiner la classe moyenne et le reste. Avec la Sécu française, même un employé au salaire minimum du SMIC doit encore payer 37,5% de son salaire réel. Sécu qui traîne une dette en milliards d’euros…
Nous n’en sommes pas encore là heureusement, mais l’acceptation d’une caisse unique serait assurément un mauvais signal. L’initiative principale de la gauche sur ce sujet remonte à 2007 et visait à instaurer à la fois la caisse unique et l’impôt sur la santé ; elle fut rejetée sèchement avec plus de 70% de non. Les socialistes et leurs alliés n’ont absolument pas changé d’avis mais tentent simplement aujourd’hui une tactique en deux temps. Nous verrons si le peuple suisse marche dans la combine.
De quoi le système de santé suisse a-t-il besoin ? D’une meilleure gestion, de plus de concurrence, de plus d’ouverture, de plus de flexibilité – en un mot, de plus de liberté. Liberté laissée à chacun de contracter une assurance selon les modalités qui lui conviennent, de se constituer un capital-santé pour ses vieux jours, de se faire soigner à l’étranger, d’accepter ou non un réseau de soin, de mettre la franchise aussi haut ou bas qu’il ou elle le souhaite et non selon des paliers rigides, etc. Tant de modèles sont envisageables !
L’État aurait naturellement un rôle à jouer dans un marché ouvert : non seulement la surveillance du sérieux de tous les acteurs à travers diverses accréditations, mais aussi la gestion des cas les plus lourds et les plus particuliers (maladies orphelines par exemple) dont la rareté et le coût mettent à mal les modèles mutualistes classiques.
Sur des sujets sensibles comme la santé, les Suisses ont souvent peur de la liberté et de la responsabilité qu’elle implique, tant pour eux que pour leurs voisins. Ils rejetteront sans doute l’initiative pour une caisse unique mais continueront à se rassurer dans un système à peine supérieur qui étrangle petit à petit la classe moyenne.
Entre un système collectiviste, étatisé et ruineux, et un système ouvert, léger et flexible faisant appel à la responsabilité individuelle, il faudra pourtant bien trancher un jour.
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Sur le web.
N’y a-t-il pas d’initiative dans le tuyau pour virer le LAMAL ?
Il y a bien eu une initiative populaire « pour la suppression de l’obligation de s’assurer contre la maladie » en 2004 mais elle a été si peu soutenue par les partis politiques en place que la récolte de signature n’a pas abouti.
La plus grande part de l’échiquier politique s’accommode fort bien de la LAMal.
Oui, mais pour combien de temps, avec la croissance élevée des coûts ?
Entièrement d’accord.
A noter qu’une concurrence imparfaite existe quand même entre les caisses, et que cela n’a pourtant pas convaincu la majorité des Suisses à opter pour la moins chère, alors qu’on observe une différence de prix du simple au double, pour des remboursements théoriquement équivalents!
Que les Suisses qui veulent une caisse unique passent chez Assura, et laissent ceux qui veulent payer plus rester dans les caisses plus chères. De toute manière, la caisse unique ne sera pas moins chère ou plus performante qu’Assura.
En plus, la plupart des cantons redistribuent l’impôt sous forme d’aide à payer l’assurance maladie, les classes défavorisées et même une partie de la classe moyenne touchent déjà des aides étatiques, c’est assez évident qu’une caisse unique ne baissera pas les coûts pour eux.
Mais comme l’a très bien dit l’article, le problème est dans l’augmentation du coût des soins, et celle-ci est causée bien plus par l’interventionnisme de l’Etat sur la santé que par les campagnes de publicité des caisses.
D’ailleurs, il n’y a qu’à voir le prix très bas des assurances maladies complémentaires qui sont déjà plus dans un libre marché, pour comprendre que si on avait également un libre marché pour la base, on ferait chuter les prix.
En 2013, on payait à Genève, canton le plus cher de Suisse, 218 CHF pour la franchise maximale de 2500 CHF. Ce n’est pas excessif sans être bon marché. Ce qui est excessif, ce sont les tarifs médicaux. Tout se tient, loyer chers, bien entendus répercutés…
Le catalogue de l’assurance de base, n’est-il pas trop fourni?
Et quelle est la part exacte de l’état de Vaud dans le financement des hôpitaux ? 50 % ?
@ MichelC
Il ne devrait y avoir ni de catalogue de base défini par des lois, ni d’obligation de contracter. Tout au plus, si on veut vraiment faire dans le socialisme, l’aide sociale pour ceux qui se retrouveraient dans l’impossibilité financière de se soigner.
A Neuchâtel, la gestion étatique des hôpitaux donne les résultats habituels: on en vient à vouloir éviter l’hôpital le plus possible. (Bon, cela fait un effet dissuasif, mais je préférerais qu’il se fasse sur le porte-monnaie, que sur les prestations…)
Vu comment cela tourne, coûts incontrôlables, l’obligation de contracter devrait être supprimée. Tout au plus une participation de l’état pour l’infrastructure, mais tout le reste doit être payé par le consommateur.
Le problème de la participation de l’Etat pour l’infrastructure est qu’elle est schizophrène (je me base ici sur la situation genevoise, celle que je connais le mieux):on a d’une part un Etat qui crache au bassinet pour couvrir les coûts de l’hôpital (qui pour tout arranger est également universitaire, ce qui permet élégamment d’exploser les coûts avec la bonne excuse de celui qui fait son devoir de formation), et d’autre part, on cherche à avoir un hôpital « rentable », qui va donc facturer autant qu’il le peut. L’hôpital étant public, il serait judicieux, en considérant les coûts de la santé comme un tout à limiter le plus possible. Au lieu de ça, on camoufle le coût en le reportant sur les caisses maladies. Du coup, le coût total [part des impôts consacrée à la santé] + [coûts des primes d’assurance maladie] beaucoup plus élevé. Or c’est bien ce total qu’il faudrait limité, et pas un des deux aspects au détriment de l’autre…
J’ai escamoté un bout, désolé: « L’hôpital étant public, il serait judicieux, en considérant les coûts de la santé comme un tout à limiter le plus possible », *de limiter le coût global plutôt que de chercher la rentabilité*.
En tout cas, si chacun devait payer l’intégralité de la prime, vu les niveaux, beaucoup auraient à mettre un dentier dans la bouche. Que ce soit payé par prime ou par pourcentage des revenus.
je me relis et suis horrifié par les innombrables phôtes commises. Doigts gourds, clavier farceur, cerveau toujours en vacances, toutes mes excuses aux lecteurs qui en souffrent
Cela arrive à tout le monde. La vue baisse avec l’âge par exemple…
« en pleine paix, il chante, et crac! un bourre-pif »
Pour éclairer nos amis suisses dans leur choix, faisons un point sur le coût de gestion de l’assurance santé en France, où un assureur public unique détient fermement le monopole du marché.
Le coût de gestion de l’assurance santé collectivisée, y compris les subventions et la prévention, représente plus de 10,1% du total des dépenses de santé corrigées des dépenses directes des ménages (dont 6,4% pour le financement officiel des caisses). Il faut savoir en outre qu’une part non négligeable du coût réel de la gestion des caisses a été opportunément dissimulée dans les comptes de soins, que ce soit à l’hôpital ou en ville, par transfert de responsabilité des caisses vers les professionnels.
Données officielles pour 2012 en dernière page de ce document :
http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/seriestat185.pdf
Le calcul détaillé des 10,1% est celui-ci : (5791+2660+14366)/(243011-17665), en millions d’euros, et celui-là pour les 6,4% : 14366/(243011-17665), toujours en millions d’euros.
La formation et la recherche sont exclues du calcul. il s’agit de dépenses publiques également mais généralement financées hors du circuit de l’assureur public.
On remarque que les frais de gestion ont augmenté moins vite que les dépenses depuis 2000. Bonne nouvelle ? Non malheureusement, car cela signifie qu’aucun effort de productivité n’a été réalisé, bien au contraire. En effet, pour l’assureur public monopolistique, rembourser 100 ou 1000 revient strictement au même. Autrement dit, l’assureur public coûte de plus en plus cher pour un service équivalent (qui en réalité se dégrade d’année en année). Sachant que dans le même temps, il a quand même réalisé d’importants gains de productivité, avec l’introduction de la carte vitale par exemple, cela signifie qu’il a gobé tous les gains de productivité à son profit, aux dépens des assurés. Et malgré ce tour de passe-passe qu’aurait apprécié Houdini, le déficit augmente, année après année.
On note que la distinction public / privé indiquée dans le tableau est abusive, puisque le secteur privé ne finance qu’un reste à charge du secteur public. Il ne s’agit donc pas réellement d’une assurance privée concurrentielle, au premier euro, mais d’une simple contribution complémentaire au financement du monopole de l’assurance santé. Cerise sur le gâteau collectiviste, une partie des recettes des assureurs complémentaires est immédiatement reversée à la caisse publique sous forme de taxes, au titre de la CMU par exemple, conduisant à afficher des ratios de charges artificiellement élevés pour les assureurs prétendument privés.
Pour terminer, n’oublions pas le coût du ministère de la santé n’apparaissant pas dans le tableau, qui est pourtant un parfait doublon avec l’assureur monopolistique. A quand la fusion, histoire de réaliser quelques menues économies ?
Sauf qu’en France, il n’existe pas une mais une multitude de caisses (CPAM, MSA, RSI…) et de régimes spéciaux (CNMSS, CPRPSNCF, CANSSM…). Et c’est bien là le problème.
A Hong-kong le système de santé ne dépense que 4.6% du PIB et il y existes des hopitaux public et privés en concurrence.A Singapour c’est5.7% et un compte épargne santé universel est instauré.En Israël il y existe 4 caisses privées en concurrence et les dépenses de santé sont de 8% du PIB …Donc les solutions existent…On pourrait aussi amélioré la compensation(réassurance obligatoire) et passer à un marché national et non cantonal.Couplé avec une part d’épargne santé par exemple…Je précise que ces 3 pays ont une espérance de vie supérieure à 80 ans…
@libre
Je suis extrêmement intéressé par des liens ou références concernant vos chiffres pour ces 3 pays. Il y avait eu un article sur contrepoints parlant de Singapour mais non référencé.