Par Philippe Fabry.
Récemment est paru un article sur Contrepoints présentant les résultats des recherches de David Le Bris sur les résultats économiques comparés de l’usage du droit civil et du droit coutumier (assimilé au système de common law anglo-saxon). Je voudrais dire d’abord combien l’historien que je suis est heureux de constater que même en France, l’emploi des idées autrichiennes comme outil analytique dans l’étude de l’Histoire fait son chemin, et féliciter David Le Bris pour ses travaux.
En tant qu’historien du droit, je dois dire que son assimilation du système des pays de droit coutumier à celui des pays de common law ne m’a pas choqué, même si certains points de l’article doivent être nuancés : l’interdiction d’enseigner le droit romain à Paris ne venait pas d’un rejet « nordiste » du droit romain, mais de la crainte ecclésiastique de voir les étudiants déserter les études de théologie à Paris lorsque l’étude du droit devint à la mode ; l’université la plus proche de Paris enseignant le droit romain fut donc située à Orléans, mais elle fut très prisée et féconde.
En outre, pour ce qui était des études de droit, elles consistèrent toujours, au nord comme au sud, en une étude du corpus iuris civilis, les compilations justiniennes. Par conséquent, tous les juristes de France, méridionaux ou septentrionaux, avaient un bagage intellectuel romain ; leurs outils conceptuels étaient les mêmes et seul le système de reddition de la justice différait quelque peu.
Cependant, ces nuances n’invalident nullement le parallèle entre pays de droit coutumier et pays de common law, et les résultats obtenus par David Le Bris méritent donc toute notre attention. La principale conclusion de l’article auquel je réagis était, en substance, la suivante : le test comparatif entre droit civil et common law ne permet pas de vérifier les méfaits supposés du droit civil, et montrent au contraire un effet faible, mais positif, de ce dernier.
Hayek avait-il donc tort, et avec lui de grands penseurs libéraux du droit, comme Bruno Leoni ?
Il ne me semble pas, et c’est pour proposer une solution à l’interrogation soulevée par les résultats de David Le Bris que j’ai souhaité réagir par le présent article.
La place du juge
L’idée portée par la théorie law and finance est qu’en laissant beaucoup plus de place aux juges dans la décision d’un litige, la common law protégerait mieux les acteurs privés et leurs intérêts, tandis que le code favoriserait l’intervention de l’État dans l’activité économique ; c’est cette idée qui n’est pas confirmée par l’observation de la France d’Ancien Régime. Pourquoi ?
Il m’apparaît que la solution est dans la mauvaise appréhension de ce qu’est le droit codifié, et donc de ses effets. Contrairement à l’idée présentée par la théorie law and finance, un droit codifié ne favorise pas nécessairement l’intervention de l’État et, dans la France d’Ancien Régime, ce fut même le contraire.
En effet, comme il a été dit, le droit romain était un droit codifié sous l’empereur Justinien, au VIe siècle, et redécouvert en Occident au XIe siècle. Ce droit utilisé par la suite durant des centaines d’années comme système juridique dans le sud de la France n’était donc pas du tout le produit d’une activité législative du pouvoir royal, mais celui d’un ancien pouvoir vieux d’un demi-millénaire, et adopté massivement par des populations qui y voyaient l’alternative rationnelle à des systèmes judiciaires médiévaux fondés sur l’ordalie et la preuve irrationnelle, et donc totalement aléatoires et impropres à rendre la justice des contrats.
L’emploi du droit romain en pays de droit écrit fut donc spontané, au sens courant comme au sens hayékien du terme, et surtout, par sa cohérence, son efficacité et sa qualité intellectuelle, fut non un facteur favorisant l’immixtion du pouvoir étatique royal dans les relations entre individus, mais au contraire une barrière à cette intervention royale : puisqu’il y avait un système de droit complet, répondant à l’essentiel des besoins juridiques, spontanément adopté par les populations et à la valeur reconnue par tous les praticiens du droit, le roi n’avait guère de prétexte à intervenir.
Il faut par conséquent bien distinguer un système de droit codifié comme celui de la France d’Ancien Régime, qui est plutôt un système de « codification préalable » dans lequel une population fait sienne un corpus juridique clef en main, avec le système de droit codifié actuel, dans lequel les codes sont des produits de l’État et, en tant que tels, peuvent être remaniés continuellement par lui : ainsi du Code du travail, de la Consommation, etc. Même le Code civil, aujourd’hui, est régulièrement bricolé, alors que sa simple adoption fut un casse-tête, résultant de siècles d’efforts de la monarchie pour tenter de mettre sur pied une uniformisation du droit du royaume, et qui ne fut finalement réalisée que par la poigne de fer de Napoléon…
Et encore ce Code civil des Français était-il, largement, non pas une compilation plus ou moins ordonnée de législation, comme le sont les multiples codes français actuels, mais un exposé synthétique d’un ordre juridique français qui s’était construit, durant des siècles, assez spontanément (les grandes ordonnances royales, comme celles du chancelier d’Aguesseau sur les donations, les testaments, le faux et les substitutions fidéicommissaires n’étaient pas des exemples de constructivisme législatif mais des tentatives de synthèse) par émulsion du droit romain et du droit coutumier.
Deux résultats historiques différents
On devine que les résultats des deux types de codifications sont radicalement différents : d’un côté on a une synthèse qui vient clarifier le droit sans le modifier en profondeur, ce qui produit un gain de temps et d’argent remarquable, identifié par David Le Bris à la fin de son article, et de l’autre, dans la pratique actuelle, les codes ne sont au fond qu’une classification d’un droit du législateur perpétuellement modifié, bricolé, arrangé, surajouté, marqué par l’inflation textuelle, avec tous les coûts qui peuvent en découler.
En résumé sous le vocable « droit codifié » apparaissent plusieurs réalités différentes et portant des visions radicalement différentes du rôle de l’État dans la création du droit :
Les visions les plus « libérales », puisque limitant fortement la capacité de l’État, et donc son arbitraire, à créer le droit, sont d’une part l’adoption spontanée d’un code étranger par une population, et en particulier ses professionnels de la justice qui en observent l’efficacité (cas de l’adoption du droit romain par le sud de la France) et d’autre part, à un degré moindre, l’intervention de l’État pour synthétiser des règles déjà existantes (et spontanément apparues) mais souffrant d’un manque d’uniformité et/ou de contradictions locales (cas de la rédaction du Code Napoléon).
La vision étatiste est dans la rédaction de codes réunissant principalement ou exclusivement des dispositions législatives, c’est-à-dire des règles juridiques produites par l’État lui-même.
Dans les deux premiers cas, et quoiqu’existent des textes écrits, l’on est face à un droit dont la légitimité est coutumière, étant le produit spontané de l’activité juridique d’une population.
Dans le deuxième cas, la légitimité du droit est législative, au mieux le droit n’est une émanation du peuple que par la fiction de la représentation démocratique, au pire la volonté unilatérale d’un tyran.
La vraie summa divisio n’est pas entre common law et droit codifié, elle est entre droit de légitimité coutumière, qu’il soit écrit ou non-écrit, et droit de légitimité législative.
En langage hayékien, le premier est un droit relevant de l’ordre spontané, le deuxième un droit relevant du rationalisme constructiviste. Au nord comme au sud, la France d’Ancien Régime a essentiellement connu les premiers, et lorsque le pouvoir royal a été assez puissant, sous la monarchie absolue, pour commencer à s’adonner au deuxième, elle l’a fait de manière relativement uniforme sur l’ensemble du territoire, ce qui explique que David Le Bris n’ait pas détecté de différence véritablement significative entre pays de droit écrit et pays de droit non-écrit.
Hayek et Leoni n’ont donc pas tort, bien au contraire.
Article très intéressant, mais compte tenu de l’opinion majoritaire, on ne peut qu’être pessimiste pour l’avenir du droit. Et en effet, « codifier » n’est pas inventer.
Comme l’auteur l’évoque à la fin de l’article, depuis peut-être la Révolution, le courant rousseauiste selon lequel le droit c’est le nombre (donc la force) a gagné les esprits. La démocratie c’est le pouvoir de la majorité, non pas de choisir les gouvernements, mais d’imposer sa volonté. Le constructivisme législatif est donc un danger permanent, mais hélas, il n’y a qu’à regarder la magistrature actuelle pour comprendre que, même quand la loi à appliquer est raisonnable, on trouve des juges pour en rajouter dans leur constructivisme.
C’est net aux USA, avec la création de soi-disant nouveaux droits, c’est net aussi en France, au niveau par exemple du droit pénal (ou pourtant les juges devraient être plus encadrés selon ma maxime »Nullum crimen, nulla pœna sine lege »). Philippe Nemo documente bien dans l’un de ses livres récents, l’application choquante et partisane des diverses lois contrôlant l’expression, surtout vis à vis des gens du Front national (que je n’aime pas, faut-il le dire). Les juges sont plus gauchistes que l’ensemble de la population, semble-t-il. Je me demande si ce n’est pas parce qu’il y a de plus en plus de femmes magistrats, si vous me pardonnez cette provocation.
Il est vrai que les « textes » des lois anciennes étaient , me semble-t-il, formulés selon un principe de recherche de la plus grande concision. Les lois votées de nos jours par des assemblées siégeant journellement, non seulement produisent une remarquable inflation de lois,conformément d’ailleurs à l’étatisme actuel, mais en outre avec des textes d’une no moins remarquable verbosité.
Que des « petits juges »non seulement aient la tentation d’en rajouter,mais,de plus aient ,avec un peu de mal à les interpréter,éprouvent le besoin de les mettre en leur langage,et de là, en leur idéologie, de que leur complication souvent obscure rend une pente facile,et nous voilà dans une fausse codification de plus en plus incertaine au gré des inclinations partisanes.
Se rappeler aussi que le code civil napoléonien fut remanié sous Mitterrand et par qui,s’il vous plait : par un seul homme !
(C’était Badinter,n’est-ce pas ?)
Il est vrai aussi qu’alors qu’on disposait d’un sage outil émanant de siècles de civilisation,le principe rousseauiste de volonté du peuple remet fatalement le principe de la loi entre les mains de l’Etat(et des gens qui le composent à chaque époque.
Ce qui a donné le principe jacobin,et,finalement,relativiste,énoncé par Chirac et Neiertz, de la non-existence d’une « loi naturelle »,les seules lois étant,disaient-ils,celles votées par une Assemblée élue.
Cela n’a rien à voir avec les femmes mais avec le concours d’entrée à l’ENM qui est devenu un concours de type ENA.
Nombre d’étudiant entre à l’ENM directement depuis sc Po en n’ayant jamais foutu les pieds à la fac de droit.
Enfin, disons que si, ils vont un peu à la fac faire du droit administratif (quasiment inutile, les juges administratifs ayant leurs propres concours).
Et au concours, ils se retrouvent avec une épreuve de culture générale, une note de synthèse, une épreuve de droit pénal et une épreuve, au choix, de droit privé ou administratif.
Inutile de vous dire que les notes de droit administratif sont meilleures que celle de droit privé.
Merci à l’auteur pour cet enseignement remarquable.
Quid d’un rapport avec la « loi naturelle » (celle,en somme des lois non-écrites d’Antigone,celle-ci décrite par V.Neiertz comme en somme,une simple délinquante) ?
Article d’une très grande qualité et véritablement instructif.
J’aime lire la quantité de billets d’opinions que partage Contrepoints mais le site gagnerait à avoir d’avantage d’analyses de cette qualité.
Deux très intéressantes contributions à la réflexion intellectuelle qui fait le bonheur de notre site.Et qui démontrent qu’il n’est pas si simple de trancher. Merci!
J’étais tombé sur une étude de al Duke University qui affirmait que le système légale américain coutait au pays en moyenne 1,8% du PIB chaque année … Voilà la taille de la fraude. Il faut comprendre qu’en France les technocrates sont les fonctionnaires, ils tiennent l’état et l’assemblée ils font les lois et pillent le pays. AUx Etats Unis, ce sont les avocats. Ils possèdent l’état, le parlement et le système judiciaire. Ils votent donc les lois pour leur enrichissement personnel. Là ou en France le pillage passe par l’état (ce sont des fonctionnaires), aux Etats Unis, cela passe par le privé et le vote systématiques de lois qui permettent aux avocats de se saisir de tout. Par bien des aspects le système légal américain est une poubelle. Par exemple il n’existe aucun système de responsabilité. Par exemple, vous attaquez n’importe qui pour n’importe quoi et même si vous perdez, il n’y a pas de dommages et intérêts sauf si dans un deuxième temps on vous attaque pour cela. C’est assez pratique pour permettre aux avocats de développer leur business en toute impunité.
Nous vivons une époque ou les technocrates irresponsables se sont saisis des leviers de l’état t partout ils utilisent la loi pour piller les pays à leurs intérêts exclusifs. Les Etats Unis sont un système qui est je pense à bien des égards n’a rien à envier au pillage des énarques français.
La loi et son usage est au coeur du problème partout.
Les États-Unis ont probablement le pire système de santé qui soit parmi les pays développés. le budget de santé total est à 17% du PIB pour les USA . l’État américain a dépensé en 2009 en moyenne 3700$ par habitant. ce système de santé en plus ce système coute très cher et c’est en grande partie à cause des avocats. faire un procès pour pomper de l’argent à son médecin est un sport national. cette petite étude de 96 dont les résultats sont là http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8678157 explique le problème. SUr trois ans d’étude sur un seul campus medical du Michigan de 92 à 94, entre 28% et 35% du Chiffre d’affaire a été payé en dommages et intérêts. Pour comprendre le pillage des avocats, seul 12% de ces sommes là ont été versés aux plaignants …
Ces chiffres sont vieux et aujourd’hui encore le pillage organisé par les Avocats sur la médecine mais aussi et surtout toute l’économie US s’est encore accéléré. EN ce qui concerne la médecine. A ce surcout énorme, il y a une pratique qui s’est développée qui s’appelle la « defensive medecine ». C’est à dire que pour limiter la ruine que les avocats font peser sur la tête des médecins, ceux ci multiplient les actes inutiles et donc fait exploser le coût pour le client final. Ce que Bastiat dans la vitre cassée disait « ce qui ne se voit pas ».
Pour faire simple. EN france vous allez voir le médecin car vous avez mal à la tête. Il va vous renvoyer chez vous avec de l’aspirine et si ça ne passe pas, on fera des études supplémentaires … Dans 99% des cas, ça s’arrête la. Aux Etats Unis, si par malheur vous faites partie du 1% des cas, le médecin sera ruiné. DOnc il va vous prescrire pour 5000 dollars d’études diverses et variées à titre préventif. Bien entendu, c’est aussi son intérêt puisqu’au final il aura gagné plus d’argent sur votre dos dans 99% des cas !!!