Par Benoît Malbranque.
« À l’inverse de son père, Rand Paul n’est pas tant intéressé par la pédagogie. Ce qui l’intéresse, c’est la victoire. » — John Samples, Cato Institute
Pourquoi s’intéresser à un homme politique d’un pays autre que le nôtre, qui n’est d’ailleurs ni ministre ni secrétaire d’État, et quand, de l’avis unanime des commentateurs politiques français, il est un personnage insignifiant ? Eux, en effet, se désintéressent de Rand Paul, et quand il est mentionné ou étudié, c’est affublé du qualificatif de « libertaire », alors qu’il est en vérité libertarien — une erreur presque aussi grave que de dire qu’il est libraire.
Si nous nous intéressons à Rand Paul et qu’ils ne le font pas, c’est qu’ils ne voient pas ce que nous croyons voir : que cet homme est appelé à marquer l’histoire. Il est difficile de leur en vouloir, puisque seule l’étude rétrospective des faits historiques nous fait tirer aisément les bonnes leçons. Les grands personnages de l’histoire s’y illustrent devant nos yeux de spectateurs, et nous observons leurs actions dès le début, conscients que nous sommes du rôle historique qu’ils sont sur le point de jouer. Les faits mineurs sont écartés avec toute la nonchalance que nous fournit notre connaissance, même très superficielle, des événements historiques. Mais qu’en est-il de l’étude de l’histoire future, ou plutôt, de l’histoire en train de se faire ? Voilà que disparaît notre assurance ; voilà que nous devenons incapables de comprendre si oui ou non, à un moment historique donné, et du fait d’un événement historique donné, il est possible de dire que « l’histoire est à nouveau en mouvement », selon la phrase de Toynbee.
Comment justifier, dans ces conditions, que nous pensons que tel événement possède une importance considérable ? Comment faire entendre raison aux commentateurs, quand l’Histoire n’a pas apporté sa sanction finale sur nos anticipations ? Comment faire comprendre et rendre séduisante notre prédiction, que Rand Paul est amené à devenir un acteur majeur de la vie politique américaine future ?
La raison se trouve dans la vie de cet homme politique, dans son tempérament, et dans sa formidable ascension.
Une success story
Dans sa vie, d’abord, car par son nom, il se rattache à l’homme politique le plus influent du début de siècle, Ron Paul, celui qui se trouve à l’origine du mouvement du Tea Party, et qui a dicté au GOP une large partie de ses nouveaux principes.
Dans son tempérament aussi, car c’est un homme rebelle, provocateur, et anticonformiste, que nous avons sous les yeux. Or les héros de l’histoire sont ceux qui domptent le flot des événements et qui paraissent en dicter le rythme. Ainsi, si nager à contre-courant vous offre une belle place dans le Panthéon de l’Histoire, que les historiens se préparent à considérer avec attention le nom de ce sénateur américain, qui conduit un mouvement radical sur le point de changer l’Amérique.
La raison se trouve dans son parcours, enfin, car l’Amérique aime les success stories, et que l’ascension du jeune sénateur du Kentucky en est une à plus d’un titre. Tandis que son père commença par essuyer de nombreux échecs, consentant au sacrifice afin de diffuser les idées qu’il considérait bonnes pour l’Amérique, Rand Paul a su tout de suite profiter du vent nouveau pour l’emporter dès sa première élection, en 2010, et envoyer un signal fort. Deux ans plus tard, en participant à la campagne des primaires au côté de son père, il a déstabilisé le camp républicain en montrant que la frange libertarienne du parti pouvait recevoir les voix en masse et qu’elle était sur le point de devenir majoritaire. En soutenant Mitt Romney, il a montré aux cadres du parti qu’il était l’un des leurs et qu’il admettait le résultat du vote des primaires, pourtant entaché de tant d’irrégularités.
La défaite de Mitt Romney face à Barack Obama a tourné à l’avantage de Rand Paul, dont la stratégie était décidément parfaite : il est gagnant puisque c’est un modéré, Romney, qui échouait face aux démocrates ; il est encore gagnant puisqu’en le soutenant ouvertement, il ne pouvait pas être accusé d’avoir divisé son camp et causé la défaite du candidat du Parti républicain.
Ainsi, son parcours est sans faute, ses réalisations sont nombreuses, et sa filiation avec son père, à laquelle s’ajoutent ses choix stratégiques payants, lui donnent une légitimité hors du commun pour rassembler son camp en 2016. Cet homme apparaît finalement comme le mieux placé dans la course à la nomination du GOP, ce que de récents sondages viennent d’ailleurs confirmer. Selon une enquête menée par CNN, il serait le candidat préféré des électeurs républicains. Cela pourrait le conduire à affronter Hillary Clinton, la candidate pressentie pour le camp démocrate, pour prendre la route de la Maison Blanche.
Étant donnés les objectifs fort larges que nous nous sommes fixés, ce livre n’est pas à proprement parler une biographie de Rand Paul. Il est plutôt le récit d’un mouvement intellectuel et politique fondamental, crucial peut-être dans et pour l’histoire des États-Unis, un récit raconté du point de vue de son plus grand représentant actuel, Rand Paul, et de son prédécesseur, son père Ron.
Le séquencement et le propos général des différents chapitres se rapporteront à la personnalité de Rand Paul. Nous le verrons jeune, luttant pour ne pas succomber trop vite à l’appel de la politique, cette arène dans laquelle son père s’était jeté, mais qui le lui avait assez mal rendu. Nous le retrouverons à l’âge mur, sentant son destin l’appeler, et se présentant au poste de sénateur dans le Kentucky. Nous l’abandonnerons solidement élu, élevé au rang de leader du camp républicain, et promis au plus brillant des avenirs. Mais nous ne pouvons évoquer son enfance sans évoquer le travail de précurseur de son père à la tête de la droite libertarienne, ou de raconter son élection sans la rapprocher à l’émergence du Tea Party, à laquelle Rand Paul a tant contribué.
Tel est donc le sujet de ce livre : Rand Paul, chef de file d’une droite qui veut réveiller l’Amérique. Ce projet ambitieux, ou du moins je m’en flatte, est aussi profondément nouveau.
Une étude sans équivalent en français
À ce jour, non seulement Rand Paul et son père n’ont fait l’objet d’aucune étude de détail, mais le Tea Party lui-même a été peu compris, faute d’avoir été correctement suivi dans son avènement et correctement étudié dans ses principes fondamentaux. À en croire l’ensemble de la classe journalistique française, les membres du Tea Party sont des « populistes », des « ultra-conservateurs », des « isolationnistes », ou des « fondamentalistes chrétiens ». Comment les qualifier pourtant d’ « ultra-conservateurs », eux qui ne veulent justement à peu près rien conserver : ni impôt sur le revenu, ni assurance maladie universelle, ni éducation nationale ? Comment peut-on également confondre l’isolationnisme, qui prône la fermeture des frontières, le repli sur soi, le protectionnisme et la recherche de l’autosuffisance, avec le non-interventionnisme des libertariens, qui prône le libre-échange, le rapprochement des peuples et l’immigration libre ? Pourquoi seraient-ils nécessairement populistes ces hommes et ces femmes qui s’inquiètent d’un gouvernement américain devenu hors de contrôle, d’une dette atteignant 16 000 milliards de dollars, et de violations continuelles à la Constitution de leur pays ? N’y aurait-il pas enfin un grand paradoxe à qualifier de fondamentalistes chrétiens ces gens qui, de l’avis des mêmes journalistes, sont tous des idolâtres de la philosophe et romancière Ayn Rand, par ailleurs radicalement et vigoureusement athéiste ?
Les contre-vérités ont même trouvé leur place jusque dans les livres. Le plus typique est celui d’Aurélie Godet : Le Tea Party : portrait d’une Amérique désorientée, salué par le journal communiste L’Humanité comme une étude « « sérieuse, claire et documentée », qui enchaîne les erreurs factuelles et les déformations, volontaires on l’espère, des idées libertariennes. Ainsi le non-interventionnisme, par exemple, est-il toujours transformé en isolationnisme.
Pire encore, tandis qu’un sondage conduit par le journal USA Today et l’institut de sondage Gallup montrait dès avril 2010 que le profil type des soutiens du Tea Party, tant en termes d’âge, de race, et de sexe, que de niveau d’études ou de niveau de revenu, était très similaire à l’Amérique dans son ensemble, Mme Godet ose nous les présenter comme des « hommes blancs en colère », reprenant le stéréotype raciste d’une partie de la gauche américaine.
Alors que le Tea Party se met en ordre de marche pour influer sur les prochaines élections, il m’a paru qu’il était temps de remplacer ces fadaises partisanes par une exposition vraiment rigoureuse de ce nouveau mouvement politique, ainsi que de l’homme qui le représente aujourd’hui : Rand Paul. Bon connaisseur de la vie politique américaine, mais aussi des idées libertariennes, y compris celles de l’« École autrichienne d’économie », qui sont à la base de leurs convictions économiques, je me suis senti bien placé pour effectuer ce travail. J’ai d’abord cru que ne pas être américain me disqualifiait pour écrire sur la politique américaine : j’ai plus tard compris que cela était au contraire le plus grand des avantages pour avoir un avis neuf, détaché des querelles de clocher, et donc digne de confiance. J’ose donc me targuer d’offrir ici un aperçu véridique de ce qu’est la droite américaine d’aujourd’hui, en même temps qu’une étude biographie intéressante, à défaut d’être exhaustive, pour comprendre la politique américaine du futur.
- Benoit Malbranque, Rand Paul ou le réveil de l’Amérique, Institut Coppet, 2014, 212 pages. Téléchargez le livre en format pdf sur le site de l’Institut Coppet.
Il ne vaut pas son père… C’est dommage.
+1
Au moins l’autorité morale de son père aura une bonne influence sur sa politique si jamais il est élu.
Franchement, ce complexe de la perfection ne rend service a personne. Les gauchistes sont unis car ils prennent n’importe qui, aussi taré et extrémiste soit-il et ne tirent presque jamais sur leur propre camp.
Les libéraux aspirent a meilleur, mais parfois j’ai l’impression qu’il y a une recherche de poux qui fait que les libéraux sont éternellement divisé, même quand le choix est assez bon. Ça rend service à la gauche et ce qui rend service à la gaucbe est souvent au détriment des gens du peuple.
Exactement, pitoyable.
Rand Paul a fait ce qu’il fallait pour être éligible, ce que son père n’était pas. Les principes c’est beau, le pouvoir d’appliquer ses idées c’est encore mieux 😉
D’ailleurs il est le seul à vraiment faire l’effort d’aller voir les Afro-Américains pour les convaincre de se rallier au GOP et à lui, il en avait besoin 🙂
Son père était un politocard sans tripes.
Le gros problème de Rand Paul est qu’il n’a aucune chance de conquérir le vote Latino (il s’est affiché contre le DREAM act qui permettrait la régularisation des sans papiers latinos).
Rand Paul = aucune chance en 2016.
(Ah, et aussi celui des vieux : ils ne voteront jamais pour quelqu’un dont le plan doublerait leurs dépenses de santé).
Ni les latinos ni les afro-américains ne sont des électorats stratégiques pour les républicains, et ce sont des électorats qui ont toujours voté largement démocrate.
Le réservoir de votes pour le GOP se situe clairement du coté de l’électorat blanc, les classes populaires blanches en particulier, qui se sont fortement abstenues en 2012 (davantage que les noirs)
Et ce n’est certainement pas en soutenant l’immigration massive de mexicains pauvres sans avenir aux USA que le prochain candidat républicain mobilisera l’électorat blanc.
La solution pour le GOP est de se tourner vers une plate-forme populiste et social-conservatrice : arrêt de l’immigration, abolition de la discrimination positive, protectionnisme industriel, Main street plutôt que Wall Street et les 1%, politique étrangère isolationniste.
Si personne ne fait d’effort pour l’électorat afro américain, c’est bien certain que les démocrates vont gagner, parce que ce sera un choix par défaut.
On ne me fera pas avaler que les afro américain déteste plus la liberté que des blancs contaminés au self-hating depuis des décennies.
Y a rien a perdre.
« Ni les latinos ni les afro-américains ne sont des électorats stratégiques  »
Désolés mais… si. Simplement par le poids (20% de l’électorat voire davantage). c’est exactement comme devoir courir un 100m en ayant 20 mêtres de plus à faire que l’adversaire.
Les républicains sérieux s’arrachent les cheveux sur ce problème.
Si en plus il a les vieux blancs (20% de l’électorat très souvent au medicare et à la Social Security) contre lui, c’est complètement injouable pour son profil. Et ce n’est pas l’argent des Koch ou des Adelson qui peut changer cette donne.
Que je parle avec des démocrates ou des républicains, ils me répètent tous la même chose : il n’y a aucun candidat crédible au parti républicain pour tenir le choc face à un poids lourd démocrate en 2016. La moitié sont démonétisés, les autres sont des clowns.
Il y a Marco Rubio chez les républicains.
Mais c’est inutile de faire comme si les républicains étaient des libéraux. Ils ne le sont pas. Ce sont des conservateurs plus ou moins pragmatiques/populistes
Pardonnez éventuellement mon ignorance. Quelle différence objective entre « non-interventionnisme » et « isolationnisme » et en quoi la seconde ne saurait-elle s’appliquer à Paul?
L’isolationnisme necessite une intervention étatique a mon sens. Je vois mal l’ensemble des individus d’une zone géographique donnée se couper du monde extérieur sans une action exogène
A votre sens soit, mais historiquement ce n’est pas vraiment le sens de ce mot, n’est-ce pas? L’isolationnisme est bien une dérivée de la doctrine Monroe, dont se rapproche fort – ttes proportions gardées – de la politique helvétique en Europe il me semble.
l’isolationnisme implique un protectionnisme économique ce qui implique une intervention de l’État sur le plan economique. Vous reduisez l’isolationnisme à sa dimension militaire et le non-interventionnisme de l’État sur ce domaine.
Un article de cette qualité m’étonne de la part de institut Copet. Il n’y a pas une phrase pour résumer une position qu’aurait pris Rand.
Le Tea Party n’est pas libertarien. Ni Michele Bachmann ni Sarah Palin ne sont libertariennes.
Cet article est d’un ridicule absolu et une relecture absurde d’événements. Rand Paul ne se présentera PAS en 2016, il ‘a aucune chance, il le sait et la loi ne l’autorise pas à se présenté comme sénateur et comme président en même temps. Peut-être en 2020 ou 24.
Et le coup du Tea Party comme mouvement intellectuel, c’est presque drôle.
Que les bourgeois français s’occupent de la politique française et pas de ce qu’ils ne comprennent pas.
C’ est tellement burlesque qu’ aux primaires de Juin en Virginie , Eric Cantor , figure proéminente des Républicains , s’ est fait virer par David Brat , professeur d’économie et candidat du Tea Party . Ceci ne présume pas de la suite pour autant évidemment . Le ridicule absolu concerna Cantor ce jour là .
« il le sait et la loi ne l’autorise pas à se présenté comme sénateur et comme président en même temps. »
Merci pour ce fou rire. Vous dites absolument n’importe quoi, vous êtes au courant que John McCain, candidat face à Obama en 2008, est sénateur au Congrès depuis 1987 ?
Bref, je pense que le ridicule vient plus de vous que de l’auteur.
Le Programme politique en quinze points du Tea Party mérite même une lecture .
Dans la même mouvance, on surveillera aussi le membre du Congrés représentant du Michigan d’origine palestinienne Justin Amash. Il est encore très jeune mais il a vraiment un profil intéressant qui pourrait justement « ouvrir » l’electorat libertarien vers les « minorités »