Par Siham Mengad
Un article de Libre Afrique
Assassinats, attentats, prises d’otages, une partie du monde arabe est ensanglantée en ce début de siècle par des crises politiques et des guerres civiles meurtrières. De la Syrie à l’Algérie, en passant par l’Irak et l’Égypte, les fanatiques religieux utilisent la violence pour promouvoir leur idéologie et se faire connaître de l’opinion publique. Comment peut-on appréhender les causes à l’origine de la recrudescence de cette violence et de cet intégrisme religieux ?
Depuis 2011, le monde arabe est secoué par des révoltes populaires qui suivent toujours leurs cours. Un « printemps » qui recadre la réflexion sur la démocratisation dans cette région du monde. À vrai dire, il n’y a pas, pour le moment, de changement de régime dans le monde arabe mais un changement au sein de l’ancien régime. Les deux modèles de transformation profonde, la Tunisie et l’Égypte, indiquent que l’exécutif du régime autoritaire a été renversé mais pas le régime.
Pendant la période post coloniale, l’État arabe a échoué dans sa mission de développement : la faillite des politiques économiques, l’effondrement des projets de construction de la nation, le déclin des régimes nationalistes arabes et la corruption sans précédent des élites au pouvoir, tout cela a mis le projet de modernité arabe dans l’impasse. L’absence d’amélioration dans le bien-être social et le renforcement des disparités sociales, ont conduit les peuples arabes à céder à la résignation et au fatalisme quant à la possibilité de réaliser la démocratie, la justice sociale, et l’implication dans le processus de prise de décision, et surtout à la dignité. Cet échec d’un projet de modernité arabe, dans une région du monde où les ajournements des transitions l’ont bien montré, démontre que la tradition démocratique est encore très peu ancrée, pour ne pas dire inexistante.
Dans une autre mesure, à partir de 2008, la situation dans le monde arabe a été aggravée par la crise économique et la montée du prix des produits de première nécessité. Son impact a été suffisant pour aggraver une situation qui était déjà très difficile. Par exemple, en Tunisie, en 2009, sur 70.000 jeunes arrivés sur le marché du travail, 30.000 – soit plus de 40% – n’avaient pas trouvé d’emploi et s’ajoutaient à ceux qui, dans une proportion comparable, n’en avaient pas trouvé l’année précédente. Cette jeunesse était d’autant plus en désarroi qu’elle était devenue de plus en plus urbaine.
Tout cela a plongé la région arabe dans la misère et la pauvreté. Ce qui a laissé le champ libre à la consolidation de nouveaux acteurs socio-économiques au sein de la société arabe, à savoir les mouvements islamistes. Le retour du religieux apparaît comme l’une des manifestations majeures de ce qu’il est convenu d’appeler la crise politique dans le monde arabe. Le religieux apparaît bel et bien comme une donnée constitutive des luttes récurrentes pour l’hégémonie, mais surtout un refuge ou une alternative à la classe politique corrompue et rentière. Les révoltes populaires arabes rassemblaient la très grande majorité de la population contre les déviances du régime en place.
Si les jeunes sont une proie facile au radicalisme de toutes sortes, la difficulté des conditions de vie, ajoutée au désespoir et la pression sociale, expliquent en partie cette adhésion montante, ainsi que l’échec cuisant des différents régimes politiques arabes, le désespoir et la résignation que suscite l’état actuel du monde arabe sur la scène internationale.
En effet, trois ans après le « printemps arabe », le bilan s’avère lourd de conséquences. L’atmosphère politique nuisible doublée d’un contexte d’insécurité interne (assassinats politiques, répressions sanglantes des manifestations), mais aussi externe (heurts meurtriers avec des groupes djihadistes aux frontières, violences et menaces terroristes, présentées comme le nouvel épicentre du jihadisme en Afrique et moyen orient), signeront très rapidement la faillite de l’État arabe. La montée en puissance de l’Islam politique s’avère une conséquence logique. La quête d’un « État islamique » a représenté une demande constante de nombreux groupes islamistes radicaux.
Face à la croissance brutale de l’insécurité publique, jadis maîtrisée par les dictatures policières, le rejet ne tarde pas. Unis en apparence face aux anciens pouvoirs, opposants ambigus mais estimables, les mouvements islamistes eux-mêmes apparaissent de plus en plus divisés entre gestionnaires pragmatiques et religieux plus intransigeants, et défiés par la progression sur leurs flancs de partis et organisations salafistes, qu’ils sont conduits à réprimer.
L’échec d’une gouvernance islamiste peu préparée, inexpérimentée et vraisemblablement inapte à gouverner au regard de la conjoncture exceptionnelle de l’après révolution, s’avère une réalité. L’ingérence étrangère est courante. Et puisque la communauté internationale n’a ni les moyens, ni la volonté d’intervenir partout, il peut en résulter un interventionnisme à géométrie variable qui conduit au reproche du « deux poids deux mesures ».
Le déroulement des opérations en Libye a effrité l’engagement des pays arabes, et a accentué les critiques des médias arabes et confirmé ces réticences. Le principe de la « responsabilité de protéger » constitue une avancée des pays occidentaux, les conditions des interventions en Afghanistan et en Irak ont rendu les opinions publiques arabes extrêmement réservées à l’égard de toute intervention extérieure.
Le monde arabe ne peut être perçu comme un bloc monolithique, chaque pays possèdant ses propres spécificités, son héritage politique, ses données démographiques mais aussi son importance dans l’échiquier géostratégique de la région. Le sort diamétralement opposé des révolutions libyenne et syrienne étant la meilleure illustration de ce dernier point.
Le sort du « printemps arabe » sera sans doute fonction de la capacité de ses pays à s’approprier les enjeux de telles transformations socio-politiques dans la région arabe. Une évolution vers la démocratie sera inéluctable, cependant elle sera sans doute semée pendants plusieurs décennies de troubles majeurs.
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Sur le web.
[*] Siham Mengad est docteur en droit public.
« en cette fin de siècle » (lignes 1 et 2) ? Ne voulez-vous pas plutôt dire « en ce début de siècle » ?
Contrepoints >> C’est corrigé ! Merci.
Outre leur « religion », ayant toujours été le fer de lance pour couvrir les exactions des plus extrêmes d’entre eux, ceci depuis 14 siècles, le problème FONDAMENTAL (et jamais résolu) de ces peuples malheureux fut-est-restera leur démographie sans contrôle visible.
Ajoutons-y – chez beaucoup – le refus d’avancées des sciences et de la notion d’Etat de droit ?
Soit des marques profondément ancrées dans leur inconscient social ; ajoutant aux effets du sous-développement éducatif chez grand nombre de leurs femmes (souvent considérées tels des objets reproducteurs, analphabètes, quoiqu’en disent ces mêmes machos les couvrant de tissus-prisons).
QUI et QUOI permettrait vraiment d’inverser ces travers historiques qui perdurent ? Ne croyons pas à une inversion brutale du « régime » que vous invoquez. Cela nous pris des siècles pour qu’un virage s’effectue en Occident. Cela prendra des décennies dans toute la sphère soumise au joug arabophone (ces derniers couvrant et envahissant d’autres zones culturelles de notre planète … grâce à l’usage des technologies et méthodes qu’ils s’autorisent … tout en les refusant à leurs propres populations).
Contextes scabreux ; dirigeants souvent douteux ; solutions sans issues claires.
Là comme ailleurs, quelques % de fous ignares suffisent à y maintenir la violence, la peur et le refus d’un épanouissement individuel des gens de leurs peuples !
Pour la démographie incontrôlée ce n’est pas totalement vrai puisqu’en Tunisie, Liban, Iran, Turquie et Emirats Arabes Unis le nombre d’enfants est tombé à 2 enfants par femme ou en dessous.
SweepingWave, vous avez raison à propos de ces chiffres MOYENS : ceux de natalité // du taux net de croissance des populations // … Or, que représente la proportion de couples à +- deux enfants parmi la TOTALITE des pays arabophones ?
Intégrons-y donc certains aspects autres. Questionnons-nous ainsi : Auprès de quels milieux « les plus vulnérables » s’adressent les recruteurs d’actes de violence ? Là où la fertilité et la pauvreté dépassent ces moyennes.
Les E.A.U. et autres cités constituent une fraction à laquelle nous devrions ajouter :
Bangladesh = 166 miohab // Pakistan = 197 mio // Afghan = 32 mio // Egypte = 87 mio // Afrique arabisée = l’horreur des chiffres et situations ?? // Algérie = 40 mio // Maroc = 33 mio // etc.
Sans oublier les milieux d’immigrés installés en Occident, là où se constitue un terreau « travaillé » par les agitateurs.
Au-delà des pays de ces différents « Printemps » (sic), resteront nombre d’autres foyers potentiels où pointe cette violence ethnique – tribale – « religieuse » – etc., chacune sous des formes variées.
C’est cette perspective qui m’a valu d’invoquer la redoutable démographie … A+
Il faut juste différencier les anciennes générations, la mama qui pond 7 mômes avec les nouvelles (moudernes) qui font 2 ou 3 gosses.
Il ne m’a pas semblé que les pays occidentaux eurent besoin de quelque « contrôle démographique » que ce soit, en leur temps.
« L’ingérence étrangère est courante. Et puisque la communauté internationale n’a ni les moyens, ni la volonté d’intervenir partout, il peut en résulter un interventionnisme à géométrie variable qui conduit au reproche du « deux poids deux mesures ». »
La prétendue « communauté » internationale aux intérêts divergents devraient surtout s’abstenir d’intervenir à tort et à travers, et en particulier en fonction de leurs intérêts, qui ne sont pas ceux des populations des pays concernés. Cette communauté qui a largement contribué aux troubles présents, Libye, Irak, Centrafrique, ne sont que les plus récents.
Si les tunisiens ou les syriens veulent que leur pays soit gouverné par des islamistes rigoristes, c’est leur liberté et responsabilité, et nous n’avons aucun droit à intervenir. S’ils demandent de l’aide, et seulement si ils demandent de l’aide de l’étranger, alors nous pourrons leur apporter cette aide, mais pas n’importe laquelle et pas sans conditions.
Il leur faut du travail pour s’émanciper.
cordialement
« L’absence d’amélioration dans le bien-être social et le renforcement des disparités sociales, ont conduit les peuples arabes à céder à la résignation et au fatalisme quant à la possibilité de réaliser la démocratie, ###la justice sociale ###, et l’implication dans le processus de prise de décision, et surtout à la dignité. »
Ah non, vous ne pouvez pas employer ce mot sur Contrepoints.