L’enfer est pavé de bonnes intentions (17) : la place de la culture dans notre société

La transmission de la culture est-elle aliénante ou constitue-t-elle la construction patiente d’un chemin vers la liberté ?

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L’enfer est pavé de bonnes intentions (17) : la place de la culture dans notre société

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 26 septembre 2014
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Par Johan Rivalland.

déshéritésEntreprise salutaire que la sortie de l’ouvrage que nous présentons aujourd’hui, la culture étant un autre domaine où l’enfer est, depuis longtemps, pavé de bonnes intentions et les conséquences des orientations prises en la matière loin d’aboutir à une situation paradisiaque. Des statistiques officielles, citées par l’auteur, montrent qu’un jeune Français sur cinq est en situation d’illettrisme. Un échec qui s’explique par le refus de transmettre érigé en modèle par une génération, au prétexte que chaque enfant devrait produire son propre savoir.

« Tous ceux qui enseignent sont suspects ; tous ceux qui transmettent sont coupables ».

Dans ce contexte, la jeunesse « désemparée, déséquilibrée, revient plus souvent au dernier mode d’expression qui reste toujours disponible pour celui qui n’a plus de mots pour parler : la violence ». D’où l’explication du titre : « Nous voulions dénoncer les héritages ; nous avons fait des déshérités ».

Il s’agirait donc d’éduquer en favorisant la spontanéité de l’élève. Évoquant un triste « fait divers », hélas devenu un peu trop classique et ayant causé la mort d’un jeune de 15 ans à la frontière imaginaire entre deux cités, François Xavier Bellamy écrit : « Lorsque nous n’arrivons plus à faire vivre une culture commune, la société se dissout dans un retour à l’état de nature qui ressemble fort à cet » ensauvagement du monde » dont se font l’écho médias et politiques ».

La crise de transmission : les origines

L’auteur nous invite ainsi à remonter aux causes premières de cette crise, qui ne sont ni liées à nos institutions, ni aux perturbations économiques, ni aux progrès technologiques, selon lui, mais à la culture elle-même. Et ces causes remontent à plusieurs siècles, dont il choisit d’isoler trois moments importants, à travers trois auteurs emblématiques de la critique radicale de la transmission, choisissant de ne pas revenir sur l’histoire de la pédagogie,  ni sur la discussion sur les méthodes éducatives. Ainsi, selon François-Xavier Bellamy : « La crise de la culture – de l’éducation, de la famille, des autorités traditionnellement investies de la responsabilité sociale de la transmission – n’est pas un échec, contrairement à ce que nous pourrions penser superficiellement. Elle est au contraire le résultat d’un travail réfléchi, durable, explicite ».

Descartes : la transmission, faille de la raison

C’est donc de l’intuition se référant à l’incertitude et la relativité du savoir et de l’importance de l’examen intérieur, de ses propres découvertes, que procèdent les méditations métaphysiques et le doute fondateur (« se défaire de toutes les opinions reçues auparavant… »), afin de retrouver un esprit libre, considérant que les anciennes opinions « sont le dépôt des aléas de l’histoire et de la coutume, le résultat des hésitations et des turbulences de la culture ». La culture étant, finalement, une déformation de notre nature, l’individu devrait être l’unique auteur de son savoir.

Ce qui est gênant dans cette construction dont nous avons hérité, est que tout ceci semble s’appliquer au cas spécifique de Descartes lui-même, incomparablement instruit, savant exceptionnel et auteur du XVIIesiècle, exigeant et désireux de prendre du recul par rapport à toute l’instruction qu’il a reçue. Une démarche, somme toute, très personnelle.

En quoi cela pourrait-il s’appliquer à l’immense majorité de ceux qui n’ont pas, naturellement, la chance de pouvoir accéder à la connaissance, à qui on n’a pas forcément su apporter le goût ou l’intérêt de l’accès à celle-ci ? L’esprit critique, pourquoi pas, autrement dit (et tant mieux !) mais pas sans la transmission préalable des connaissances ou de l’attrait de la raison, qui n’est pas forcément inné. Il me semble qu’on le vérifie mieux que jamais, à l’ère de l’éducation de masse et de l’internet accessible à tous. Que reste-t-il vraiment de l’esprit critique et de l’intérêt réel du plus grand nombre pour la connaissance ?

Rousseau : la transmission, pollution de la nature

Jean-Jacques Rousseau (Image libre de droits)Jean-Jacques Rousseau, quant à lui, combat l’idée que les sciences et les arts auraient une influence positive sur l’être humain. À l’inverse, ils seraient cause de son malheur et des perversions qui y conduisent, l’éloignant de la nature qui, seule, serait source de la sagesse, de la vertu et du bonheur. L’ignorance serait donc une heureuse chose, évitant d’aggraver la perversité naturelle de l’Homme.

Dès lors, la condamnation de l’école traditionnelle et de la transmission est en germe. Il en va ainsi pour Jean-Jacques Rousseau, l’idéalisation des sociétés primitives et le modèle du « bon sauvage ». De même que cette rupture avec la nature, y compris l’agriculture, est une mutilation (on perçoit, au passage, une forte parenté avec nos écologistes contemporains, tant ses raisonnements vont loin).

Son traité Émile ou de l’Éducation a exercé une influence majeure sur les orientations contemporaines de l’Éducation Nationale, jusque dans la volonté d’un certain ministre, par exemple, d’amoindrir au maximum l’influence des parents sur leurs enfants pour « les arracher à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel » et préférer l’idée que l’on doit laisser au maximum l’enfant construire lui-même son propre savoir. Une conception qui privilégie la spontanéité et exclut l’acte d’autorité. Une idée de la liberté radicalement différente de celle que d’autres peuvent avoir.

Dans cette vision, l’expérience compte plus que le langage, qui devra donc être réduit. « Je ne répéterai jamais assez que nous donnons trop de pouvoir aux mots » écrit Jean-Jacques Rousseau. L’expérience de l’enfant les remplace. De même, Rousseau exprime sa haine des livres, qui seraient une entrave à la liberté et sources de préjugés, ainsi que l’est la culture, facteur d’aliénation comme, nous suggère François-Xavier Bellamy, dans le cas contemporain de la dénonciation des « stéréotypes », qui en serait issue : « En ce sens, la technologie numérique serait, selon François-Xavier Bellamy, l’accomplissement de cette idée de transmission inutile, la disponibilité au savoir étant immédiate pour tous, sans besoin de mémorisation superflue. »

Pour conclure, Rousseau voit en Émile « un sauvage fait pour habiter les villes », qui « se considère sans égards aux autres […], n’exige rien de personne, et ne croit rien devoir à personne ». Des postulats qui permettent de mieux comprendre un certain nombre de faits d’aujourd’hui, sachant l’influence particulière qu’il a laissée.

Bourdieu : la transmission, faute contre la justice

bourdieur credits alicia gaudi (licence creative commons)C’est en sociologue que Pierre Bourdieu poursuit cette dénonciation de la transmission. Et c’est dans l’habitus et la transmission du capital culturel que se perpétue, selon lui, l’injustice de la reproduction sociale avec ses inégalités criantes. Or, « la culture dominante » d’une élite, à un moment donné, ne serait que purement arbitraire, évoluant selon des modes. Bourdieu opère ainsi, sans qu’il s’en réclame, un renforcement des théories de la lutte des classes, évoquant ces « Héritiers » au service desquels l’école traditionnelle renforçait les inégalités, maintenant de fait la domination des classes populaires par les élites.

L’école est accusée de produire de la sélection et donc de l’exclusion. Bourdieu développe ainsi toute une théorie de la violence scolaire (dont les notes), l’école, sous couvert de sélection égalitaire, reproduisant en réalité les rapports de domination arbitraires. Avec une arme du crime, ou un instrument essentiel : la culture.

À rebours de ces pratiques, il préconise dans un premier temps une vision utilitariste, où l’école préparerait simplement à l’emploi, sans s’attacher aux artifices de la culture et de la connaissance.

Une continuité avec Rousseau. Et qui va déboucher sur l’apparition, après 1968, de ce que l’on appelle de manière péjorative le « pédagogisme », sorte d’experts en « sciences de l’éducation » qui vont influencer fortement l’enseignement, qu’ils vont contribuer à réformer à travers leurs méthodes positivistes, dont les enseignants vont devoir apprendre à adopter les techniques instrumentales, à leur corps défendant, les plongeant au passage, pour beaucoup, dans un profond désespoir.

Refonder la transmission

Face à cet état de décomposition et de déconstruction, François-Xavier Bellamy se veut volontariste et appelle, dans la seconde partie de son essai, à une refondation de la transmission. C’est ainsi qu’il pourfend l’idée-même de « bagage culturel » qu’il conviendrait d’avoir, le vocabulaire choisi étant révélateur de la place accordée à la culture : « Pour partir en voyage, il faut bien une valise (un bagage) ; mais tant qu’à faire, il vaut mieux qu’elle soit la plus légère possible. Le propre d’un bagage, c’est qu’il est encombrant, qu’il pèse, et qu’il gêne la liberté de mouvements […] À l’inverse, pense-t-on, il vaudrait mieux s’intéresser aux qualités essentielles de la personne – sa capacité de réflexion, sa sensibilité, son originalité. »

C’est ce qui a conduit l’IEP de Paris à supprimer l’épreuve de culture générale de son concours d’entrée en 2011, préférant valoriser, entre autres, dans le parcours du candidat « son engagement dans la vie associative, sportive, culturelle, politique ou syndicale ». Or, selon François-Xavier Bellamy, la culture n’est pas un « avoir » (un bagage dont on peut se séparer), mais un « être », qui permet d’accomplir notre personnalité et en devient inséparable.

Le cas de l’enfant sauvage découvert en 1797 dans le Tarn semble le démontrer joliment et remettre en cause les théories de Rousseau. Il permet, au contraire, d’observer que « l’homme sans culture semble étranger à sa propre humanité ». C’est un trait singulier de l’homme, qui n’est pas immédiatement humain et « a besoin de l’autre pour accomplir sa propre nature ».

Contrairement à l’animal, « l’homme est, par nature, son organisme, sa structure cérébrale, capable de parler : mais il faut encore qu’il apprenne. Il est capable de penser : mais sa pensée ne se développe que progressivement, là encore par le moyen de ce qui lui sera transmis. Bref, toutes ses prédispositions supposent, pour être actualisées, une éducation. […] L’homme est par nature un être nécessiteux ; et au premier rang des nécessités qui l’affectent, se trouve la culture. »

François-Xavier Bellamy en apporte différents exemples, pour s’appuyer ensuite sur la devise de Pindare, parfaitement évocatrice : « Deviens ce que tu es. »S’opposant aux idées de Rousseau, Bourdieu ou Barthes en la matière, il commence par montrer l’importance du langage qui, loin d’être une prison, un objet d’oppression ou d’aliénation, de nature « fasciste » selon Roland Barthes, est le point de passage de toute médiation, ce dans quoi peut naître la pensée, la conscience de soi et l’interaction avec les autres.

La « méthode globale », d’inspiration rousseauiste, procède de cette idée que l’apprentissage traditionnel serait considéré comme autoritaire et qu’il faut donc l’écarter. « Que peut bien vouloir dire la promesse d’une liberté « hors de la langue », d’une liberté affranchie de la culture ? » demande notre auteur. « Plus nous pourrons, notre vie durant, nous enrichir de ce que l’autre nous transmet, à travers cette culture dont nous héritons, plus nous serons capables de nous approcher de nous-mêmes afin de conquérir notre propre singularité » ajoute-t-il. Il n’y a donc pas lieu d’opposer culture et capacité à réfléchir, bien au contraire. Dans cette optique, il est donc absurde de faire du livre un ennemi à abattre, une cause d’aliénation qui détruirait la spontanéité si chère à Rousseau ou empêcherait de chercher le savoir en lui-même, si l’on se réfère à Descartes : « Combien de fois avons-nous entendu qu’il valait mieux épanouir sa personnalité par l’action, par la vraie vie, plutôt que de se perdre dans l’effort rébarbatif qu’impose la lecture ? Que quelques voyages valaient tous les ouvrages et qu’il valait mieux faire son expérience par soi-même au lieu de trouver dans les livres une existence par procuration ? »

Loin de s’opposer à la liberté, le livre en constitue au contraire le chemin d’accès, nous forçant à sortir de nous-mêmes pour mieux être soi-même. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que les dictatures ont souvent entrepris de brûler les livres : « Pour aliéner un peuple, il faut lui faire regarder la culture comme une cause de dégénérescence. »

C’est par la grande déculturation que l’on perd la conscience de l’humanité et que l’on finit dans la barbarie. À titre personnel, je le pense et proclame depuis longtemps, car en suis convaincu : l’ignorance tue (et c’est la connaissance qui me l’a montré). Comme le souligne l’auteur, l’inverse est bien sûr également possible : « la culture, malheureusement, n’empêche pas toujours l’homme d’être humain ; mais l’inculture l’empêche d’être humain. »

Et l’on comprend pourquoi notre société tend à se dégrader et voit resurgir la barbarie, malgré la dénégation de certains.

Refuser l’indifférence

La violence est le fruit de l’indifférence qui, à l’instar de ce que l’on a constaté dans le cas de l’enfant sauvage, résulte du refus de transmettre la culture. On trouve, aussi bien chez Rousseau que Bourdieu ou Descartes, nous montre l’auteur, des manifestations assumées, chacun à sa manière, de leur négation de la différence. « Indifférence solitaire à autrui, indifférence relativiste au vrai et au faux, au bien et au mal » seraient les conditions nécessaires à la parfaite liberté.

François-Xavier Bellamy compare cela à une sorte de crise d’adolescence, dans cette société où règne aujourd’hui le fantasme de l’éternelle jeunesse et où nous serions effrayés par les choix et les responsabilités que suppose l’âge adulte. Il n’y a pas jusqu’à l’identité sexuelle, nous dit-il, que nous serions prêts à remettre en cause. D’où l’idée de déconstruction, en particulier de la culture, et la remise en cause de tous les stéréotypes.

À rebours de ces idées, François-Xavier Bellamy nous fait redécouvrir, à travers différents exemples, tout l’intérêt de la culture, grâce à laquelle seule nous pouvons percevoir les singularités de ce qui nous entoure. Il s’agit donc de retrouver le sens de la différence (qui n’implique pas l’inégalité), condition nécessaire à la recherche de la véritable liberté : « Aujourd’hui […] un individu sera considéré comme tolérant dans l’exacte mesure où il parviendra à faire comme si la différence n’existait pas. Par là, en réalité, nous ne valorisons pas la diversité, mais plutôt au contraire l’indifférence à la diversité. Ainsi, cette tolérance affichée ne désigne rien d’autre qu’une intolérance réelle à la différence que porte autrui, à la singularité qui marque chacune de nos personnes. »

À l’inverse, la culture conduit à « l’étonnement, l’émerveillement », là où « pour les fausses certitudes de l’ignorance inconsciente d’elle-même, tout restait uniforme et plat » et conduisait à être déshérité de ces facultés. Reste, nous dit l’auteur, la question du contenu de la culture. Avec des intentions fort louables certes, elle se veut universelle. Mais, à travers là encore quelques exemples, François-Xavier Bellamy nous montre que la portée universelle d’un enseignement ne peut être atteinte qu’à travers la présentation de figures singulières.

Du plus particulier au général, plutôt que d’apprendre la règle générale sans référence préalable, en somme. Face aux bonnes intentions, un ouvrage crucial pour sortir des a priori destructeurs. Un ouvrage crucial, qui remonte aux sources du questionnement sur la transmission et les orientations retenues, afin de susciter le débat sur l’un des fondements essentiels de l’accès à la véritable liberté. Une urgence, dans le contexte actuel.

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  • L’humaIn transmet le savoir et sa génétique. C’est pour faire simple, une grosse boîte de Lego avec sa notice. Sans notice, votre boîte ne sert à rien.

  • Je pense que Bourdieu a raison. L’Education Nationale pour tous et pas seulement pour certains qui « ont pillier sur rue ». Le rôle de la transmission concerne l’ensemble des élèves. Apprendre à lire (comprendre), écrire (comprendre le sens )et compter (mentalement) évitera que l’élève ressemble à un animal.

  • Il faudrait beaucoup de temps, et de place, pour sinon réfuter, du moins nuancer l’opprobre jeté sur Rousseau quant à ses responsabilités dans la pédagogie « constructiviste ». Je me bornerai ici à rappeler l’énorme différence de contexte, en ce qui concerne la philosophie de l’éducation, entre le moment où Rousseau écrit  » l’Emile », et notre époque post-Jules Ferry (et aujourd’hui, anti-Julles Ferry, de fait sinon officiellement).
    Entretemps, est venue la révolution, cassant le modèle de conformité enfermant chaque individu dans l’un des trois « ordres », puis, surtout, la laïcité, très lentement d’ailleurs, il n’y a qu’à relire les débats à l’Assemblée Nationale autour de 1900, et se rappeler le poids qu’avait encore l’Eglise à cette époque.
    Ce à quoi Rousseau s’opposait, c’était à une chape de plomb éducative dont nous avons aujourd’hui perdu toute idée. Cette pesante mécanique était fondée à la fois sur un système de castes et sur une pensée unique dictée par l’Eglise (catholique en France, mais les Calvinistes Genevois n’étaient pas moins absolutistes, et ce n’est pas pour rien qu’ils ont plus mal reçu l’Emile que le Contrat Social).
    L’éducation était alors une mise en conformité minutieuse de l’enfant avec les normes de la caste à laquelle il était voué par naissance, et l’autorisation d’un soupçon de libertinage dans la caste aristocratique ne change pas le fond des choses : la liberté ne s’étendait pas aux choses importantes (entendre : politiques et religieuses). Dans ce cadre, l’enfant était en gros considéré comme une sorte de réceptacle dans lequel on pourrait verser du savoir, l’initiative et la curiosité étant (très consciemment) découragées.
    Cela pouvait fonctionner, cela a même fonctionné, pour nous donner de grands écrivains et savants (presque tous issus de l’aristocratie ou de la grande bourgeoisie, assez vite devenue indispensable aux nobles…) : il fallait « simplement » que l’intelligence soit grande, la situation familiale favorable, (les « humanités » ne sont pas menées loin quand il faut aller aux champs à dix ans) et les maîtres assez ouverts pour encourager la lecture critique une fois passés les apprentissages de base. On voit bien que cela ne pouvait concerner qu’une infime minorité, y compris dans l’aristocratie.
    Rousseau voulait juste desserrer le carcan de la pure mise en conformité, et si on peut lui reprocher d’avoir fait de ce réflexe de libération un système trop général, il faut aussi dire que c’était une étape indispensable dans l’évolution de la pensée éducative. La libération de l’influence des religions est en particulier capitale pour Rousseau ; c’est même pour cela qu’il a dans l’Emile inventé une religion, celle du « vicaire savoyard », pour qu’au moins il en existe une qui soit sans danger pour les hommes. Voilà qui est, hélas, bien d’actualité.
    Ne jetons donc pas tout Rousseau avec l’eau du bain pédagogiste d’aujourd’hui, qui n’a pas plus compris Rousseau qu’il n’a intégré la psychologie de l’apprentissage -de sorte qu’il n’est rien du tout.

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