Par Magali Pernin.
« Nous avons pris un engagement sans équivoque et ferme : rien ne sera fait qui pourrait réduire ou compromettre la protection de l’environnement, la santé, la sécurité, les consommateurs ou d’autres objectifs de politique publique poursuivis par les organismes de réglementation de l’UE ou des États-Unis. »
Ce sont là les dernières déclarations d’Ignacio Garcia Bercero, négociateur en chef du partenariat transatlantique pour l’UE. Ainsi, au sortir du septième cycle de négociations, qui s’est tenu à Chevy Chase, dans le Maryland, aux États-Unis, du 29 septembre au 3 octobre, la Commission européenne se veut rassurante.
Je vous propose de faire le point sur les événements de cet été. La revue de presse du printemps est disponible en cliquant ici.
Le manque de transparence
L’Italie, qui préside l’Union européenne (UE) pour six mois depuis le 1er juillet, a pris l’initiative d’une lettre, qu’elle a adressée aux 27 autres États européens, le 20 août dernier, leur demandant d‘accepter que soit rendu public le mandat donné à la Commission européenne. Pourtant, encore aujourd’hui, certains États européens continuent de refuser la divulgation du texte, pourtant largement diffusé officieusement.
Tout juste entré en fonction, le nouveau secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, Matthias Fekl, a lui aussi exigé la publication du mandat de négociation. Il réitère ainsi une action déjà menée par ses prédécesseurs, Fleur Pellerin et Nicole Bricq, sans succès.
Le 17 septembre, lors de son passage devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, il a annoncé qu’une « de [ses] toutes premières décisions a été d’écrire à la Commission européenne, au nom de la France, de faire toute la transparence sur les mandats de négociations ». Un courrier qui ne servira pas à grand-chose, la décision de publication ne relevant pas de la Commission, comme cette dernière l’a déjà précisé en 2012 suite aux demandes de Nicole Bricq.
Durant cette même audition, Fekl s’est engagé à faire des points réguliers sur les avancées des discussions devant cette commission des Affaires économiques.
Un peu plus tôt, dans deux courriers transmis le 29 juillet 2014 au Conseil de l’Union européenne et à la Commission, la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a demandé aux institutions d’accroître la transparence relative aux négociations en cours entre l’UE et les USA en publiant davantage de documents. À cet égard, je vous conseille la lecture de l’article, très complet, du site europaforum.public.lu.
Concernant le mandat de négociation, la Médiatrice estime « qu’il n’est pas immédiatement évident de voir de quelle manière sa divulgation porterait atteinte à la protection de l’un des intérêts publics ou privés ».
Concernant les documents directement liés aux discussions entre les négociateurs, elle suggère la mise en place d’un registre public des documents relatifs au TTIP et demande des explications à la Commission quant aux accusions d’inégalité de transparence selon l’auteur des demandes.
L’initiative de la Médiatrice prend ainsi le relais d’un arrêt de la Cour de Justice de l’UE du 3 juillet 2014. Cet arrêt fait suite à un recours déposé par une eurodéputée néerlandaise libérale (ALDE) suite au refus de la Commission européenne de lui transmettre l’intégralité des documents relatifs aux négociations entre l’UE et les USA sur l’accord dit TFTP-SWIFT.
Les dispositions de cet arrêt peuvent largement être transposées à l’ensemble des accords commerciaux actuellement négociés par la Commission, notamment l’accord général négocié avec les États-Unis : le TTIP.
La CJUE est venue rappeler à la Commission ses obligations en matière de transparence : les négociateurs doivent permettre un large accès du grand public à tous les documents du TTIP, et ne censurer que les paragraphes qui pourraient affecter les importantes stratégies de négociation et qui ne sont pas déjà connues par l’autre partie aux négociations.
Dans une réponse en date du 30 septembre 2014, le Conseil indique ne pas donner suite aux demandes de la Médiatrice européenne. Il estime en effet que :
- aucune plainte relative à une mauvaise administration en matière de transparence des négociations transatlantiques n’a été enregistrée,
- il n’existe aucune obligation dans le règlement 1049/2001 exigeant la publication des documents non législatifs.
Une initiative citoyenne européenne rejetée
Ce début d’année a été marquée par le rejet par la Commission européenne de l’initiative citoyenne déposée 250 organisations réclamant plus de démocratie concernant la négociation du traité transatlantique. Motif du refus : la « proposition d’initiative citoyenne est manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités ». Dans un article publié le 22 septembre dans La Tribune, Hervé Guyader rappelle que si la décision de rejet « est parfaitement justifiée et, finalement très opportune », la méthode politique reste désastreuse.
L’avancée des négociations
Comme indiqué plus avant, les négociateurs viennent tout juste de clôturer le septième cycle de discussions. Dans sa conférence de presse, le négociateur en chef européen nous apprend que « les négociations sont en train de passer doucement dans la phase textuelle ». Désormais, « les discussions sont basées sur des propositions de textes spécifiques ».
Au cours de ce cycle de négociations, l’accent a été mis sur le pilier réglementaire du futur accord. Tous les éléments de régulation ont été discutés, tant en termes de disciplines horizontales (cohérence réglementaire, Obstacle technique au commerce, Sanitaire et phytosanitaire). Les discussions ont également porté sur des secteurs spécifiques identifiés lors des cycles précédents tels que les produits pharmaceutiques, l’automobile, les produits chimiques, l’ingénierie, les matières premières, les douanes et la facilitation du commerce, les droits de propriété intellectuelle et enfin, les petites et moyennes entreprises.
Concernant les produits chimiques, la Commission européenne a récemment publié une note en réponse à des attaques formulées par des associations environnementales. Selon Karel de Gucht (commissaire en charge du commerce), les réglementations européennes et américaines sont si différentes qu’il n’est pas encore possible d’envisager une harmonisation et une reconnaissance mutuelle complètes. Le travail actuel ne porte que sur l’identification des règles d’évaluation et des étiquetages.
Pour finir, les négociations ont porté sur les services : « Les offres de services sont très complexes et techniques. Nos négociateurs ont consacré l’essentiel de la semaine à expliquer à l’autre partie, dans les moindres détails, tous les éléments de ces offres. »
Ignacio Garcia Bercero a précisé que l’approche européenne exclut tout engagement sur les services publics: « les gouvernements restent libres de décider à tout moment que certains services doivent être fournis par le secteur public ».
À noter que cette « liberté », si elle existe aujourd’hui dans le cadre des Traités européens, est souvent limitée par l’obligation qu’ont les services fournis par l’État de se mesurer à la concurrence d’autres entreprises privées. À cet égard, ce n’est pas le Traité transatlantique qui doit être surveillé, mais bien l’Accord sur le commerce des services (TISA), autre Traité en cours de négociation.
Fin juillet, le site Euractiv.fr nous informait que la Commission européenne entendait ajouter un chapitre sur l’économie numérique, « mais en laissant de côté les sujets trop sensibles, tels que la protection des données ». La fédération des entreprises européennes du secteur du numérique, DigitalEurope a demandé qu’un tel chapitre soit ouvert et a rencontré dans cette perspective les principaux négociateurs, le 16 juillet dernier.
Enfin, le 16 juillet, la Commission européenne a publié une note relative aux questions culturelles. Celle-ci rappelle toutes les dispositions qui ne sont pas inclues dans les négociations.
Le point controversé des tribunaux d’arbitrage
L’une des questions les plus controversées est celle des tribunaux d’arbitrage. Le 27 mars 2014, la Commission a lancé une consultation publique pour savoir si ce thème devait faire partie des négociations. La consultation s’est clôturée le 13 juillet et a suscité « près de 150 000 réponses », dont l’analyse ne devrait pas être terminée avant novembre, a indiqué M. Garcia Bercero.
Pour l’heure, une note de la Commission indique les principales statistiques liées aux réponses déposées. La plupart des contributions proviennent du Royaume-Uni (34,81%), d’Autriche (22,59%), d’Allemagne (21,76%), de France (6,55%) et de Belgique (6,29%). Seules 569 réponses proviennent d’organisations. Seul un petit nombre de réponses (738 répondants, représentant 0,5% du total) ont indiqué avoir déjà fait un investissement aux États-Unis.
Le compte-rendu du fond des contributions postées devrait être mis en ligne bientôt par la Commission européenne. Les nouveaux commissaires auront donc la charge de débattre de cette épineuse question avec les gouvernements nationaux et les eurodéputés, de plus en plus rétifs.
D’ores-et-déjà , face à une opinion publique très alertée, le gouvernement allemand a fait connaitre sa volonté de retirer le chapitre ISDS du Traité UE-Canada, conclu très récemment.
Pareillement, le groupe Socialistes et Démocrates (S&D) du Parlement européen, dont un de ses membres – Bernd Lange – est Président de la Commission du commerce international, a indiqué être vivement opposé au mécanisme de règlement des différends investisseur-État.
Doit-on prendre au sérieux ces déclarations gouvernementales et parlementaires ? Cela s’avère difficile. En effet, les institutions européennes ont récemment adopté un règlement relatif aux responsabilités financières État-UE en cas de différends État-investisseur. Un règlement qui devrait être particulièrement utile. Pour cause, les États ont donné mandat à la Commission de mettre en place des tribunaux d’arbitrage dans nombre d’accords actuellement négociés (Chine, Myanmar, Canada, Inde, Japon, Maroc, Singapour, Thaïlande, Vietnam et États-Unis).
Cette discordance entre la parole et le geste se retrouve également au sein de la nouvelle composition de la Commission européenne. Alors que le nouveau Président de la Commission Jean-Claude Juncker se dit opposé au maintien des dispositions ISDS dans l’accord transatlantique, la Commissaire en charge du commerce s’avère bien plus mesurée. Lors de son audition devant les eurodéputés, le site Romandie rapporte : « Cecilia Malmström est restée ambiguë sur l’inclusion de tribunaux d’arbitrage dans l’accord de libre-échange en cours de négociation avec les États-Unis. Je n’exclus pas que ça soit exclu de l’accord de libre-échange avec les États-Unis, a-t-elle déclaré, mais discutons-en, a-t-elle ajouté, jugeant toute décision prématurée. » Une déclaration qui se révèle contradictoire aux documents préparatoires fournis aux eurodéputés.
Pourtant, malgré l’opposition de toutes les institutions européennes, l’inquiétude des citoyens et une consultation en cours d’analyse, le compte-rendu du sixième cycle de négociations mentionne que les États-Unis et l’UE ont déjà échangé leur proposition de texte : « Pour les dispositions de règlement des différends, des discussions fondées sur des textes ont commencé étant donné que les deux parties ont déposé des dispositions textuelles. Comme dans d’autres domaines où les deux parties ont déposé des propositions, les deux parties ont produit un texte de support consolidé et tentent de parvenir à des propositions de compromis. »
Le rôle des Parlements
Une récente réponse ministérielle a confirmé le caractère vraisemblablement mixte du futur Traité et, de fait, la consultation obligatoire des Parlements nationaux pour les dispositions de compétences nationales :
« Le partenariat commercial transatlantique contiendra majoritairement des dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne (dispositions de nature commerciale, notamment), mais également des dispositions qui relèvent de la compétence des États membres, qui auront été négociées en leur nom. L’accord final sera bien un accord mixte, comme le sont la quasi-totalité des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne. »
Dès lors, conformément aux traités européens et à la Constitution, à l’issue de la négociation, le texte final devra être ratifié par les parlements nationaux des États membres et obtenir l’approbation du Parlement européen.
Dans un article du 11 septembre 2014, le site Contexte met en avant la frilosité des parlementaires français pour ces négociations, tandis que les entreprises les appelaient à soutenir le projet d’Accord.
Du côté du Parlement européen, le nouveau Président de la Commission du commerce international – Bernd Lange – a récemment mis en garde la Commission européenne sur son devoir de bien prendre en compte l’avis du Parlement européen : « Au final, c’est le Parlement qui décide des accords. Je recommande donc à la Commission européenne d’en tenir compte. »
À noter que c’est un parlementaire français, Gilles Pargneaux, qui a été nommé rapporteur du groupe Socialistes et Démocrates (S&D) pour le suivi des négociations transatlantiques.
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Bonjour.
Vous écrivez : …….. « L’accord final sera bien un accord mixte, comme le sont la quasi-totalité des accords de libre-échange conclus par l’Union européenne. Dès lors, conformément aux traités européens et à la Constitution, à l’issue de la négociation, le texte final devra être ratifié par les parlements nationaux des États membres et obtenir l’approbation du Parlement européen ».
J’ai deux questions :
1 – Le Parlements nationaux vont-ils voter sur tout le texte, ou sur les seuls passages relevant des compétences nationales ?
2 – Dans les deux cas, que se passera t-il si le Conseil Constitutionnel est saisi et qu’il censure tout ou partie du texte qui aura été voté par le Parlement français ?
Merci de votre réponse.
perso, je suis pas spécialiste mais normalement dans l’immense majorité des états de l’ue, quand un traité international est conclu, il faut que le parlement vote une loi d’assentiment qui ratifie le traité. je suis belge et pas francais. en belgique, la cour constitutionnelle peut vérifier la constitutionnalité du traité grâce à la loi d’assentiment. si le traité (ou une parti) est déclaré inconstitutionnelle, la belgique sur le plan international est tenu de respecter le traité mais pas dans l’ordre juridique interne. les cours et tribunaux nationaux ne sont pas tenu par le traité. il faut alors que la belgique modifie la constitution.
ce traité est il une bonne chose d’un point de vue libéral ??? le libre échange de manière générale est une bonne chose mais le manque de transparence et le fait que ce soit la commission qui négocie augmente le risque de capitalisme de connivence, que ce traité soit favorable aux grosses entreprises et que le concurrence soit faussée
Ce traité est effrayant sur le plan juridique, surtout pour la propriété intellectuelle américaine.
On va se recevoir les patent troll de tout les cabinet d’avocat américain…