Par Michel Leter
Pour disposer d’une loi sur la liberté des universités, il n’est pas nécessaire de mettre au point un arsenal compliqué. Dans la mesure où l’article 1 de la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur proclame que « l’enseignement supérieur est libre » il suffirait d’abroger, l’article 4 de la loi Ferry du 18 mars 1880 qui avait vidé ce principe de sa portée en frappant d’interdiction les universités libres, ce qui peut être traduit par la proposition de loi suivante :
Liberté des universités
Proposition de loi
L’Article L731-14 du code de l’éducation est ainsi modifié :
I ― La première phrase du premier alinéa ainsi rédigée : « Les établissements d’enseignement supérieur privés ne peuvent en aucun cas prendre le titre d’universités. » est remplacée par la phrase suivante : « Les établissements d’enseignement supérieur privés peuvent prendre le titre d’université dès lors qu’ils réunissent au moins trois facultés, écoles ou instituts libres. ».
II ― La seconde phrase du premier alinéa ainsi rédigée : « Les certificats d’études qu’on y juge à propos de décerner aux élèves ne peuvent porter les titres de baccalauréat, de licence ou de doctorat. » est remplacée par la phrase suivante : « Les certificats d’études qu’on y juge à propos de décerner peuvent porter le titre de licence, de mastère ou de doctorat. »
III. ― Le second alinéa ainsi rédigé : « Le fait, pour le responsable d’un établissement de donner à celui-ci le titre d’université ou de faire décerner des certificats portant le titre de baccalauréat, de licence ou de doctorat, est puni de 30000 euros d’amende. » est supprimé.
― Source : Michel Leter, Lettre à Luc Ferry sur la liberté des universités, Les Belles Lettres, 2004
Cette abrogation aurait pour corollaire les mesures suivantes offrant une alternative libérale à l’autonomie des universités :
- La suppression du CNRS et rattachement de ses différentes unités aux universités.
- La privatisation des grandes écoles1.
- La Liberté pour les grandes écoles une fois privatisées de s’intégrer au tissu universitaire au sein de pôles comparables en taille et en moyens aux universités américaines.
- Le choix laissé aux universités publiques de voter la liberté ou de rester liées au système public sous la responsabilité des régions (à l’instar de l’Allemagne).
- Cette régionalisation aurait pour conséquence la suppression de la Direction de l’enseignement supérieur du ministère de l’Éducation nationale.
- La fin du monopole de la collation des grades : les diplômes sont délivrés par les universités et ce sont les standards internationaux qui déterminent leur valeur et non pas les certifications locales.
- L’abolition des privilèges de diplômes et d’écoles (ce qui signifie par exemple la fin du statut spécial des grandes écoles ou la suppression de l’agrégation).
- La capitalisation des universités. Les droits d’inscription n’étant qu’un élément du financement, les universités libres ne sont pas viables sans la constitution d’un capital qui permette de couvrir les coûts réels dans la durée. Plus ces fonds propres issus des dotations de personnes physiques et morales (endowment) sont élevés plus l’université a les moyens d’assurer un enseignement de haut niveau et développer des recherches émérites2. Elle voit ainsi la valeur des diplômes qu’elle délivre augmenter au fil des années.
Dès lors que la liberté des universités sera inscrite dans la loi, l’État devra veiller à ce qu’aucune entrave de nature administrative ne soit opposée à la dotation des universités, sans quoi les universités libres ne pourront se déployer et la liberté accordée demeurera formelle.
- Liberté des fondations. Le développement de puissantes fondations qui résultera de la libéralisation est essentiel au relèvement de nos institutions universitaires. Il permettra :
- de contribuer à la capitalisation des universités évoquée plus haut ;
- de doter les universités françaises de solides infrastructures correspondant aux standards internationaux (ex. : une bibliothèque universitaire digne de ce nom ne doit pas comporter quelques centaines de milliers de volumes mais plusieurs millions) ;
- de permettre aux étudiants les plus pauvres de couvrir les droits d’inscription élevés par un système de bourses (actuellement les universités publiques opèrent une sélection par le manque d’argent : les universités libres, au contraire, par leurs ressources, seront un formidable vecteur de mobilité sociale) ;
- de favoriser la diversité ethnique et culturelle sur les campus.
Les objectifs ultimes de cette réforme globale (de ce que l’on pourrait baptiser une méta-réforme puisqu’elle permet de faire l’économie de toutes les autres) sont :
a) De parvenir comme aux États-Unis ou plus simplement comme en Belgique3 à avoir un secteur privé et public de force comparable permettant aux vertus de la concurrence de stimuler les uns et les autres pour le plus grand profit des étudiants et de leurs familles.
b) De sortir ainsi du cercle vicieux du projet de réforme et de la confrontation rituelle avec les étudiants qu’elle suscite. En effet, dès lors que les universités sortent du giron de l’État ─ tutelle politique qui est toujours celle d’un parti ─ elles réintègrent la sphère publique de la liberté du travail qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Ainsi le ministre de l’Éducation redevient un arbitre au lieu d’être cette cible face à laquelle il est encore aujourd’hui légitime, en raison du monopole, que les étudiants fassent corps.
Dans la mesure où nous ne pouvons pas compter sur la raison du législateur pour faire passer cette loi, il convient de regrouper les partisans de la liberté des universités au sein d’une association afin de faire campagne. Émile Boutmy, fondateur de l’école libre de sciences politiques qui sera nationalisée après-guerre, avec l’infortune que l’on sait (puisqu’elle ne forme plus que les cadres du parti unique) a toujours insisté sur le rôle des associations d’enseignement supérieur, d’autant que le cadre de la loi de 1901 ne pouvait pas encore être mis a profit. Comme le soulignait Émile Boutmy4 « il n’appartient pas plus à l’État de faire des essais et du nouveau en matière d’enseignement que de spéculer en matière de finances. Il n’y est pas propre ; il a je ne sais quelle roideur dans sa main ; c’est la rançon de sa force et de sa grandeur. L’initiative privée est hardie, active et souple. C’est l’honneur des pays libres que des associations spontanées se chargent de faire l’épreuve de toutes les idées nouvelles, et la vigueur morale d’un peuple se mesure à la part que chaque citoyen prend dans ces sortes de tentatives. » Pour Laboulaye (conteur à ses heures mais, surtout, juriste renommé, membre de l’Institut, professeur au Collège de France et auteur de nombreux ouvrages sur les États-Unis), ce désengagement de l’État doit conduire non pas à un appauvrissement de l’Université mais à la multiplication de ses moyens. Car, pour Laboulaye, la richesse d’un pays n’est pas fondée sur l’impôt mais sur le développement de la propriété5 : « La liberté, c’est le moyen de production, la propriété en espérance, et la propriété, c’est le fruit de la liberté, ou, si l’on veut, la liberté réalisée […] Quels sont les pays libres ? Ceux qui respectent la propriété. Quels sont les pays riches ? Ceux qui respectent la liberté. »
Les moyens attribuables à l’éducation sont donc proportionnels à la richesse des citoyens et non à la puissance de l’État. Pour Laboulaye, cette liberté de l’enseignement, Université comprise, est le plus sûr rempart contre le socialisme, idée qui présida également à la fondation de l’École libre de sciences politiques et d’HEC.
Contrairement aux libéraux classiques qui s’en tenaient à la défense des libertés privées, Laboulaye a compris l’importance des libertés sociales, au premier rang desquelles la liberté d’association qu’il tient pour une des clés de la modernisation de l’enseignement supérieur. Le déficit de démocratie participative en France résulte, à ses yeux, de l’absence de liberté associative. Il militera donc pour inscrire dans la loi un chapitre intitulé : « Titre II. Des associations formées dans un dessein d’enseignement supérieur ». Laboulaye justifie ainsi cette préoccupation6 :
Il est difficile de s’occuper de l’enseignement supérieur sans s’occuper en même temps des associations ; car il n’y a que des sociétés puissantes et permanentes qui soient en état de fonder de grands établissements […] En Amérique, ce sont des associations religieuses ou laïques qui couvrent le sol de la République d’universités nombreuses et riches qui répandent partout l’enseignement supérieur, et le rendent accessible au moindre citoyen, sans rien demander à l’État. Dans sa haine des corporations et de leurs abus, la Révolution a porté un coup terrible au droit d’association, elle a mis la France en poussière, et l’a livrée, sans défense, au pouvoir absolu. On revient aujourd’hui à des idées plus saines, on commence à comprendre que l’association est un des plus fermes remparts de la liberté. On sent également qu’il n’est possible de diminuer l’omnipotence de l’État qu’en facilitant le libre jeu des associations. Ce ne sont pas des individus isolés et impuissants, ce sont des sociétés libres et riches qui, seules, peuvent décharger l’État des fonctions qui ne lui appartiennent pas essentiellement. »
Aussi, en attendant qu’une loi, depuis longtemps promise, assure, en le réglant, le droit d’association nous avons cru nécessaire de déclarer, par notre article 10, que les dispositions de l’article 291 du Code pénal ne seraient pas applicables aux associations formées, soit pour encourager, soit pour propager l’enseignement supérieur […]
Nous avons la chance, depuis 1901, de pouvoir exercer le droit d’association mais, en raison de la politique de terre brûlée fiscale d’un État (qui peut ainsi se vanter d’être le premier collectionneur de France et présenter le bilan nécessairement flatteur de la Fondation de France), les puissantes fondations qui sont à l’origine de l’essor des universités américaines nous font encore défaut. Toutefois, et c’est l’éternelle histoire de la poule et de l’Å“uf, si nous attendons que les conditions financières soient réunies, nous ne formerons jamais les responsables capables de les réunir… C’est pourquoi les universitaires (et plus seulement dans les facultés d’économie et de droit, qui sont les os qu’on laisse à ronger aux partisans de la liberté économique) doivent préparer l’alliance des entrepreneurs spoliés par l’État avec les universitaires dissidents.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille se satisfaire d’un appel des vertueux chercheurs aux politiques, de la vertu au vice. Nous n’avons pas l’hypocrisie de croire que l’Université est d’autant plus libre qu’elle est pauvre. Ce serait cautionner les prédateurs de la rue de Grenelle.
Car c’est bien, entre autres, les Turgot du vingt et unième siècle que la liberté universitaire doit faire surgir. Comment les entrepreneurs et chercheurs peuvent-ils encore tolérer des prélèvements obligatoires qui alimentent des « centres » et « laboratoires » dont la seule activité scientifique consiste à fournir les constructions théoriques destinées à légitimer la destruction des richesses ? N’est-il pas temps de restituer ne serait-ce qu’une part de ces prélèvements à une recherche indépendante dont l’objet serait de libérer le marché des idées, d’émanciper heuristiquement l’action humaine au lieu de s’occuper de son instrumentalisation sociologique, herméneutique et statistique ?
- À l’exception du Collège de France, de l’Institut et de l’École pratique des Hautes études, qui font partie du patrimoine et ne délivrent pas de formations diplômantes, les établissements d’enseignement sous tutelle directe du ministère de l’Éducation seront privatisés. Il s’agit du Centre National d’enseignement à distance (CNED), du Conservatoire national des arts-et-métiers (CNAM), des Écoles centrales de Paris, Lille, Lyon et de Nantes, de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), de l’École nationale des chartes, de l’École nationale supérieure d’arts et métiers (ENSAM), de l’École nationale supérieure des mines de Nancy, de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèque (ENSSIB), de l’École normale supérieure (ENS), de l’École normale supérieure de Cachan et de Lyon, de Sciences Po (IEP/FNSP), de l’Institut national des langues et civilisation orientales (INALCO) et de l’Institut supérieur de mécanique de Paris (SUPMECA).
L’École polytechnique, qui dépend du ministère de la Défense sera privatisée. L’Institut national de recherche pédagogique (INRP), le Centre national d’études pédagogiques (CIEP) seront placés sous l’égide d’une fondation libre.
Les autres organismes sous tutelle de l’ancien ministère seront privatisés. Il s’agit de l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (ADIT), de l’Agence nationale de l’innovation (ANVAR), du Bureau des longitudes, de l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides, du Centre d’études et de recherche sur les qualifications (CEREQ), du Centre national d’études spatiales (CNES), du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), du Muséum national d’histoire naturelle (MNHM), de l’Observatoire de Paris, de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP), du Palais de la découverte, et de l’Agence nationale de la recherche (ANR). ↩ - Le rayonnement universitaire n’est pas une science occulte. Si Harvard est première au classement de l’université Jiao Tong de Shangaï, c’est tout simplement, parce qu’elle ne bénéficie d’aucun privilège et que les efforts continuels de sa direction (les doyens américains sont essentiellement des fund raisers) lui permettent de maintenir l’endowment le plus important. ↩
- La Belgique compte quatre grandes universités dont deux privées qui ne sont pas toutes catholiques puisqu’à côté de l’université catholique de Louvain se tient l’université libre de Bruxelles fondée par des libres-penseurs. ↩
- Boutmy E., Quelques idées sur la création d’une faculté libre d’enseignement supérieur, Paris, imprimerie de A. Laîné, 1871, p.7. ↩
- Laboulaye E., Le Parti libéral, son programme et son avenir, Paris, Charpentier, 1863, p.ix. ↩
- Laboulaye E., Op. cit., p.20-21. ↩
On se souvient que la privatisation de la SS (mais c’est également vrai pour les retraites, le chômage, l’éducation nationale hors supérieur…) ne demande qu’un texte de loi de quelques lignes.
La libération de l’économie française peut être achevée en quelques semaines de navettes parlementaires. Elle ne nécessite finalement qu’un gouvernement et une majorité légitimes, décidés à mettre fin, simplement, rapidement et efficacement, au socialisme étatique qui ruine le pays. S’ils ne le font pas, les partis politiques n’ont aucune excuse.
Excellent ! J’applaudis des mains et des pieds !
Je me porte officiellement volontaire. Comment procède-t-on ?
Michel dit de lui écrire et donne son email.
L’auteur devrait mieux se renseigner sur la situation en Belgique: j’ai des doutes que des lecteurs belges s’y retrouvent!
La Belgique n’a pas quatre mais 6 grandes universités (en nombre d’étudiants: 15000 et plus): KULeuven, UCL, UA (Antwerpen), ULB, UGent, ULg (Liège). Parmi celles-ci, 3 sont dites « libres » (>< d'état): KULeuven, UCL et ULB. Mais il serait plus juste de parler de "libre subventionné". Il y a des différences de cadre législatif entre la situation en Flandre (KULeuven) et en Wallonie-Bruxelles (UCL et ULB), mais on retrouve certaines constantes: près de 80% du budget de ces universités est constitué de subsides publics (dotation ou financement par les grands fonds publics type FNRS ou FWO), la partie proprement privée, quoiqu'en hausse, ne constitue que 20% maximum de leurs budgets. Par ailleurs, si les universités ont une autonomie de gestion, elles s'inscrivent dans un cadre légal assez précis, notamment en ce qui concerne les personnels payés (sauf cas particuliers) aux barèmes légaux fixés par le législateur.
« l’université libre de Bruxelles fondée par des libres-penseurs » juste lol. l’ulb n’a plus rien à voir avec celle de sa création. cette université (sauf solvay) est moins bonne que des univ comme l’ucl et en plus, cette université est controlé par des francs macons sectaires et anticléricales. en belgique, de manière générale, l’enseigement catholique est meilleur et permet à l’état de gagner des milliards (car il n’est qu’en partie subventionner et l’autre partie est financer par les parents)
Le texte garde toute sa pertinence même la copie est à revoir sur des points fort accessoires (financement et nombre d’universités belges)
La France pourrait effectivement être remise sur les rails avec quelques traits de plume, comme celui qui rendrait à l’Université une liberté dont elle n’a joui réellement qu’entre 1875 et 1880. Pour une analyse passionnante et approfondie de cette anomalie française, lire la Lettre à Luc Ferry du même auteur. Dix ans et pas une ride.
Même de simples traits de plume sont impensables tant que les Français feront de la dissonance cognitive (source de névrose individuelle et collective) et refuseront de guérir d’une maladie infantile, contractée à la fin du XVIII° siècle, qui a muté au milieu du XX° en une pathologie gériatrique. Le jacobinisme. Il est aggravé depuis trente ans par des doses létales d’égalitarisme et cette combinaison a métastasé l’appareil d’État. Elle a aussi mithridatisé la société contre le libéralisme, que les idéologues caricaturent en capitalisme sauvag. Ils propagent activement une autre pathologie: la double inculture, historique et économique, qui leur permet de persuader une population ignorante que demain on rase gratis et qu’on enrichit les pauvres en appauvrissant les riches.
Ce poison, néfaste pour la démocratie et la prospérité, a été fatal à l’Ecole. Elle est aux mains d’apprentis-sorciers qui ont, par ce biais, greffé en toute impunité leur surmoi marxiste sur la société française. Leur sucées est indéniable puisqu’on y compte désormais deux partis de gauche, dont un s’appelle la droite, les autres étant repoussés aux extrêmes, ce qui ne sert pas la démocratie.
succès bien sûr!!!