Notaires : rendez l’argent !

Où et comment les notaires ont détourné à leur profit, pendant plus d’un siècle, au vu et au su des pouvoirs publics, l’argent revenant de droit à leurs clients.

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Notaires : rendez l’argent !

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 1 novembre 2014
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Par Vincent Le Coq.

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Dans une précédente tribune, nous contestions la somme hallucinante de 8 milliards réclamée par le CSN. Comme souvent, le fil du débat a rapidement dévié et s’est à un moment centré sur la question de la perception par les notaires des intérêts des fonds clients déposés au compte office.

Notre fidèle contradicteur, « Ami » ose soutenir en réponse à notre article que « c’est l’arrêté du 30 novembre 2000 qui consacre le monopole de la caisse des dépôts. » (post du 27 octobre 2014 à 8 h 57). Il s’agit à tout le moins, d’une singulière approximation, pour ne pas dire d’une véritable réécriture de l’histoire. Les notaires n’auraient pas versé les intérêts des sommes consignées pour le compte de leurs clients avant le décret (et non l’arrêté) du 30 novembre 2000 dans le seul but d’éviter d’introduire une distorsion dans la concurrence entre établissements financiers.

Il n’en est évidemment rien. La réalité est que, depuis 1890, pèsent sur les notaires deux obligations : ils doivent déposer les fonds de leurs clients à la CDC au terme d’un délai fixé par le décret de verser à ces mêmes clients les intérêts de ces placements. Cette double obligation est, dans son expression comme dans sa mise en œuvre, d’une particulière rusticité.

Pourtant, les notaires se sont soustraits à l’obligation de dépôt à la CDC pour percevoir eux-mêmes les intérêts nés des sommes placées. Ils ont tout simplement pendant plus d’un siècle pris l’argent des autres.

 

Petite histoire d’un siphonnage

Au commencement, les notaires plaçaient dans leur coffre-fort des sacs d’or portant chacun une étiquette au nom du client plus un sac portant le leur. Mais ça, c’était avant.

Une note de la Direction civile du 12 janvier 1946 rappelle que :

« Juridiquement, en vertu des principes mêmes du droit civil (comprendre en application du droit commun fixé en 1804), (le notaire) devrait tenir compte de ces intérêts au client […] en fait le tarif est sur ce point resté inappliqué. » (note de la Direction civile, 12 janvier 1946).

Les notaires n’étant pas nécessairement juristes (jusqu’en 1972 on succédait à papa sans être astreint de faire des études de droit et parfois des études tout court), le pouvoir réglementaire a pris soin d’expliquer à leur attention les conséquences nécessaires du code Napoléon.

 

Du décret de 1890 au décret de 1945

L’article 2 du décret du 30 janvier 1890 dispose que :

« Les notaires ne peuvent conserver durant plus de six mois les sommes qu’ils détiennent pour le compte de tiers, à quelque titre que ce soit.
Toute somme qui, avant l’expiration de ce délai, n’a pas été remise aux ayants droits sera versée par le notaire à la Caisse des dépôts et consignations. »

Une note de la direction civile du ministère de la Justice apporte cette précision que « les fonds déposés à la Caisse des Consignations en vertu des décrets de 1890, donnent lieu à la perception des intérêts d’usage, au profit du client. » (note de la direction civile du ministère de la Justice, 7 février 1932)

Le député Émile Bender constate pourtant vingt ans après son adoption que « le décret du 2 février 1890 […] est resté lettre morte. C’est au point que plus des 4/5èmes des notaires font moins de deux versements à la Caisse. » (rapport fait au nom de la Sous-Commission de la Réforme du Notariat, sur les questions relatives aux dépôts de sommes d’argent, de titres, de valeurs et à leur garantie.)

Le rapport d’Émile Bender est ferme dans le ton, clair quant au fond :

« Les dépôts de sommes ou valeurs sont l’origine d’une sorte de « confusion des patrimoines » redoutable pour les notaires, comme pour la fortune publique. Les derniers dépôts reçus courent trop souvent le risque de masquer le déficit déjà créé par la dilapidation des premiers ou par un prix d’achat excessif. Leur entrée opportune évite au notaire de faire appel au crédit et lui donne, parfois pendant des années, toutes les apparences de la solvabilité […] Ces périls, dont la chronique judiciaire fait foi, dont la constatation est si peu nouvelle qu’elle provoquait déjà les avertissements de Dufaure. » (rapport fait au nom de la Sous-Commission de la Réforme du Notariat, sur les questions relatives aux dépôts de sommes d’argent, de titres, de valeurs et à leur garantie.) L’avertissement de Dufaure datait de 1876…

 

Le décret de 1931

Plutôt que d’imposer aux notaires le respect du décret de 1890, le gouvernement a opté pour l’adoption le 16 mars 1931 d’un nouveau décret. Il se borne à réitérer l’obligation initiale.

Le 18 avril 1939, la Caisse des Dépôts et Consignations attire l’attention du garde des Sceaux pour l’informer, sur la base d’ « un rapport de l’Inspection Générale des Finances concernant notamment un certain nombre de notaires de l’arrondissement de Toulouse qui paraissent ne pas se conformer aux dispositions du décret du 30 janvier 1890 » (lettre de la Caisse des Dépôts et Consignations au garde des Sceaux, 18 avril 1939).

Déjà le 13 avril 1923, le directeur général de la CDC avait informé le garde des Sceaux que l’obligation posée en 1890 n’est toujours pas respectée.

« La vérification, par l’Inspection des Finances, du service du Receveur particulier des finances de St Julien en Genevois a permis de constater que les notaires […] de l’arrondissement n’effectuent pas à la Caisse des dépôts et consignations les dépôts de fonds réglementaires. » (lettre du directeur général de la CDC au garde des Sceaux, 13 avril 1923)

Le 6 décembre 1929, une question parlementaire était posée par M. Franklin-Bouillon au ministre de la Justice qui répondait que « les notaires ne peuvent conserver pendant plus de six mois les sommes qu’ils détiennent pour le compte de tiers, à quelque titre que ce soit » (question écrite n° 6532 de M. Franklin-Bouillon).

 

Le décret de 1941

Vichy ici s’inscrit, avec le décret du 16 juin 1941, dans la continuité de la République en reprenant l’exigence des décrets de 1931 et 1890.

Sur la base de la loi du même jour, le Conseil régional des notaires du ressort de la Cour d’appel de Paris se réunit pour la première fois le 23 novembre 1942. Sa première préoccupation est de tenter d’obtenir du régime de Vichy ce que la République a toujours refusé à la profession en matière de consignation.

« La troisième (résolution) vise à ce que les pouvoirs publics déterminent par un texte la possibilité pour les notaires d’effectuer des dépôts dans les Caisses Régionales soumises au contrôle de la CAISSE NATIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE » (lettre du Procureur général près la Cour d’appel de Paris au garde des Sceaux, 12 janvier 1943).

Le but unique des notaires est ici d’obtenir des pouvoirs publics le droit de se soustraire à leurs obligations pour continuer à s’approprier des sommes qui ne leur appartiennent pas.

 

Du décret du 19 décembre 1945 au décret du 30 novembre 2000

Le régime de Vichy prend fin. La légalité républicaine est rétablie. Mais l’élusion de leurs obligations par les notaires perdure.

Le décret du 19 décembre 1945

Le décret de 1945 réduit le délai de la consignation des fonds clients à la CDC de 6 mois à 3 mois.

Une note de la direction civile du 12 janvier 1946 dresse un état de la situation :

« Les fonds appartenant aux clients restent déposés entre les mains du notaire tant que l’affaire n’est pas terminée […] Pendant ce temps, le notaire confie en pratique les fonds, soit à la Banque, soit à la Caisse des Dépôts, mais dans ce dernier cas, à un compte de consignation libre.
Il touche donc pour lui-même l’intérêt bonifié par ces établissements (0,50 % à la Caisse des dépôts).
[…] (la mesure tendant à réduire de six à trois mois le délai imparti aux notaires pour consigner les fonds appartenant à la clientèle) a pour effet pratique de diminuer les profits accessoires et occultes des études d’une manière qui, pour certains offices, est sensible » (note de la direction civile, 12 janvier 1946).

Comment mieux écrire que les notaires s’accaparent traditionnellement leurs clients au vu et au su des pouvoirs publics ?

Un rapport établi en 1953 par un Inspecteur des finances à la suite de sa vérification du service de la caisse de la CDC de la trésorerie générale de l’Hérault en avril 1952 révèle notamment que l’obligation de comptes dépôts n’est pas ou peu respectée :

« Quelques notaires ne possèdent pas de compte de dépôts obligatoire […] d’autres, tout en s’étant fait ouvrir un compte, n’y font que de rares dépôts » (rapport n° 195-52, de M. Chafanel, Inspecteur des Finances, 22 mai 1953, p. 3.).

La situation est identique à Toulouse, puisqu’un rapport du Procureur général au garde des Sceaux du 28 avril 1953 déplore de nombreux manquements de la part des notaires à leurs obligations.

« Certains notaires (n’ont) pas, dans les établissements autorisés pour recevoir leurs dépôts de fonds, un compte spécial pour leurs dépôts strictement personnels et confondent ainsi dans un même compte des fonds de provenance différente » (rapport du Procureur général près la Cour d’appel de Toulouse au garde des Sceaux, 28 avril 1953).

Le décret du 30 novembre 2000

Et ainsi de suite… jusqu’au décret du 30 novembre 2000 qui dispose que les notaires ne peuvent conserver dans leur étude, pendant plus de deux jours ouvrables une somme (actuellement fixée à 3000 euros).

Émile Bender avait constaté quatre-vingt-dix ans auparavant, que « dans bien des villes les chambres de discipline pourraient même sans inconvénient réduire ce délai à 48 heures. » (rapport fait au nom de la Sous-Commission de la Réforme du notariat sur les questions relatives aux dépôts de sommes d’argent, de titres, de valeurs et à leur garantie.)

1804-2000. Près de deux siècles pour rédiger un décret qui tient en une ligne. On ne saurait ici reprocher au pouvoir réglementaire un activisme désordonné ni un excès de précipitation.

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