Voici un extrait du livre à paraître aux Belles Lettres de Fabrice Copeau, Les Rentiers de la Gloire. Petite analyse de l’élu clientéliste, privilégié et adepte des passe-droits en tous genres…
Par Fabrice Copeau.
Un privilège, privata lex, est un statut particulier que nous attribue notre qualité. Un statut accordé non par ce qu’on fait, mais par ce qu’on est. On dit, pour parler des gens qui ont un revenu élevé, « les privilégiés ». Or, la notion de privilège, ce n’est pas ça. Un privilégié est quelqu’un qui bénéficie d’un avantage payé par quelqu’un d’autre. Un privilège suppose quelqu’un pour en jouir et quelqu’un pour le payer. Cécile, mieux que personne, l’a compris. Et que rien ne vaut le privilège masqué derrière le droit.
Cécile est haut fonctionnaire, ancienne administratrice du Sénat. Mais elle n’a jamais vraiment exercé sa profession. Personne ne peut échapper à l’attrait du pouvoir et aux projecteurs de la célébrité. Cécile est donc rapidement devenue une permanente de son parti, « secrétaire nationale à la francophonie » au sein de celui-ci. La voici très vite porte-parole dudit parti, puis porte-parole du candidat à la présidentielle issu de celui-ci. Elle ne pouvait donc qu’entrer au gouvernement. Secrétaire d’État en charge de la Consommation, du Commerce et de l’Artisanat.
En poste, elle reçoit les syndicats professionnels et les lobbyings de tous bords. Elle ferraille contre l’ouverture des commerces le dimanche, contre les véhicules avec chauffeurs, en leur imposant des contraintes débiles, contre la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité, contre l’ouverture à la concurrence des professions réglementées, les notaires en particulier. Elle prétend que c’est au nom de l’intérêt général que les privilèges leur sont accordés, et qu’ils sont par conséquent tout à fait légitimes. Toute comme du reste les privilèges de son corps d’origine. Comme le disait Bernanos, ce qui rend la médiocrité des élites si funeste, c’est la solidarité qui lie entre eux tous leurs membres, très privilégiés comme un peu moins privilégiés, dans la défense du prestige commun. Elle s’emploie aujourd’hui à mettre en pratique ces préceptes. C’est une cougar qui, au gré de ses rencontres, fait monter dans l’appareil du parti tel ou tel petit jeune, vigoureux et plein d’avenir.
Cécile est l’incarnation du Brille-Babil de la Ferme des Animaux de George Orwell ; un goret de petite taille, bien en chair, excellent orateur. Maître ès propagande. Il justifie les actions de ses camarades révolutionnaires en allant constamment parler aux animaux de la ferme. Lorsqu’il n’arrive plus à convaincre, il n’hésite pas à utiliser la menace voilée et l’intimidation. Au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire et de l’asservissement des animaux, Brille-Babil modifie subtilement, pendant la nuit, les Sept Commandements pour les rendre conformes aux décisions parfois arbitraires et contestables des cochons. De même, il influence la mémoire des animaux au sujet de la bataille de l’étable. Il légitime les privilèges des cochons de la révolution.
Et comme notre cochon, Cécile combine avec dextérité ces privilèges avec de multiples passe-droits, pour elle et pour les siens. Elle adore la sirène deux-tons de son chauffeur ; déteste se mêler à la foule, sauf bien sûr devant les journalistes ; renonce temporairement à ses vacances traditionnelles aux Maldives pour donner le change aux médias ; fait embaucher sa fille par l’ambassade de France à Madrid. « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres », disait déjà Orwell.
Le jeu de la politique est un jeu à somme négative. Le coût total pour la société est directement mesurable par l’ensemble des avantages visibles pour les privilégiés du système : lobbies, associations et entreprises subventionnées1. Et les électeurs eux-mêmes ne sont pas les derniers à blâmer : Cécile a bien compris qu’ils attendent de la politique des avantages tangibles (au détriment bien sûr des électeurs du camp adverse). La politique est une forme de la lutte des classes. Voter n’est pas dialoguer, c’est au contraire mettre fin au dialogue. C’est adopter le mode de résolution des conflits qui, comme la guerre, soumet les perdants à la volonté des vainqueurs.
—
- C’est ce que François Guillaumat et Georges Lane nomment la « loi de Bitur-Camember » : « Pour toute richesse volée et redistribuée par les hommes de l’État, une richesse équivalente devra être détournée de la production réelle pour être pseudo-investie dans la lutte pour ce butin, c’est-à-dire dans les démarches, l’intrigue, la propagande, la corruption et la violence nécessaires pour affronter la rivalité des autres prétendants : de sorte que la quasi-totalité des avantages de l’action politique doivent être dissipés en coûts subis pour les obtenir. » ↩
Pour en arriver à oser dire qu’un privilège s’inscrit dans l’intérêt général, il faut que la pensée en ait vu, en faisant le tour du cerveau de l’intéressée, des vertes et des pas mûres !
@Jesrad , ces gens là n’en sont plus à une contorsion de cerveau près … leur pensée est complètement faussée, ce qu’ils vivent et leur opinion d’eux mêmes (de gauche , appartenant au « Camp du Bien » ) est tellement en opposition qu’ils sont totalement schizophrènes … je parle des meilleurs d’entre eux , parce que les autres sont de cyniques manipulateurs . Je les plains tous , ils sont perdus , bien plus que nous en fait .
Pour rester dans Orwell, c’est tout simplement ce qu’on appelle la doublepensée en novlangue.