Une employée licenciée nous dévoile les entrailles de la Fed

Le grand obstacle pour améliorer la supervision bancaire est la culture même de la Fed.

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Federal Reserve Bank of New York Credit Friscocall (Creative Commons)

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Une employée licenciée nous dévoile les entrailles de la Fed

Publié le 28 novembre 2014
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Segarra était devenue un problème pour ses chefs à cause de ses rapports sur Goldman et en raison de ses réactions à l’encontre du management de la Fed de New York.

Par Marc Garrigasait

Federal Reserve Bank of New York Credit Friscocall (Creative Commons)

Carmen Segarra était une spécialiste de la Réserve fédérale (Fed) de New-York pour les aspects légaux et le respect des normes. Son travail consistait à réviser et contrôler les banques quant à la légalité des opérations réalisées. Une grande partie du travail de la Fed de New-York concerne, évidemment, l’analyse de la grande banque d’investissement. Dans leurs bureaux de New-York, Goldman Sachs, JP Morgan, Morgan Stanley ou Merril Lynch créent une grande partie de leurs produits sur mesure pour d’autres institutions financières, entreprises ou organismes. À cette fin, la Fed de ladite ville a embauché Carmen Segarra, historienne sortie de Harvard et avocate ayant étudié à la Sorbonne à Paris, et à l’Université Cornell.

Carmen parle quatre langues et a travaillé durant treize ans dans le secteur financier, à la Bank Of America, Citigroup et la Société Générale à New-York. Elle a, de plus, travaillé comme cadre supérieur auprès de l’Association nationale des avocats hispaniques. En juin 2011, elle a été embauchée par la Fed de New-York où, durant un an, elle s’est assurée du respect des normes légales chez Goldman Sachs. De son profil LinkedIn, on peut déduire qu’elle a travaillé sur site, c’est-à-dire physiquement dans les bureaux de Goldman. La Fed a engagé des experts légaux pour préparer les changements normatifs de la nouvelle loi Dodd-Frank et mieux contrôler les banques appelées « too big to fail ».

Carmen a eu l’audace d’affronter Goldman Sachs et la Fed et a été licenciée sept mois à peine après son engagement, en 2012. Tout semble indiquer qu’elle mettait continuellement ses chefs dans l’embarras, en dénonçant de manière continue le non-respect répété, selon elle, de la législation par Goldman Sachs, en particulier en ce qui concerne les conflits d’intérêts. Elle a été licenciée pour avoir refusé d’adoucir le ton d’un rapport sévère sur les conflits d’intérêts au sein de la banque.

Dans une interview accordée à Propublica.org, on lui pose la question essentielle : la banque est-elle remplie de conflits d’intérêts ? Ce à quoi elle répond « malheureusement, oui ». Carmen déclare que la Fed ne manque pas de moyens, mais que « les problèmes sont le manque de colonne vertébrale, de transparence, de rigueur et de persévérance, pas de moyens ».

Après son renvoi, elle a porté plainte contre la Fed et, lors du jugement, la surprise a été d’apprendre que Carmen Segarra avait enregistré ses supérieurs lors de ses discussions au sujet de Goldman. Les enregistrements ont été publiés dans Propublica.org. Segarra a enregistré 48 heures de réunions et de conversations avec ses supérieurs et collègues de la Fed de New-York. Dans ces enregistrements, on peut vérifier comment la culture existante au sein de la Fed reflète l’aversion à affronter quelqu’un d’aussi puissant que peut l’être Goldman.

Segarra était devenu un problème pour ses chefs, en premier lieu, à cause de ses rapports sur Goldman et, en second lieu, pour ses opinions agressives à l’encontre du fonctionnement de la supervision au sein de la Fed de New-York. Dans ces enregistrements, on peut entendre comment l’affrontement définitif avec son supérieur a été probablement la clé de son licenciement. Lors d’une réunion tendue de 40 minutes enregistrée lors de la semaine précédant son renvoi, le chef de Segarra essayait à plusieurs reprises de la convaincre de changer sa conclusion selon laquelle Goldman manque à la politique des conflits d’intérêts. Segarra proposait que les plus hauts responsables de la Fed de New-York examinent son rapport et qu’elle accepterait de le révoquer s’ils ne l’avalisaient pas. Son supérieur, Michael Silva, a empêché ce rapport de circuler au sein de la Fed.

Un des points conflictuels que défendait Segarra était une opération entre Goldman Sachs et Banco Santander où la banque cantabre « parquait » une partie de ses actions Banco Santander Brasil, qui restait Goldman, ce qui réduisait les besoins de capitaux de Santander, pour les racheter une autre fois plus tard. Segarra ne considérait pas cette opération valide. Sans être illégale, une opération de vente avec accord de rachat entre Goldman et Santander était une opération évidemment artificielle qui réduisait la solvabilité de Santander.

Après la crise de 2008, où les banques centrales elles-mêmes ont reconnu a posteriori que le système bancaire avait été au bord de l’effondrement, et suite aux pressions du congrès, la Fed a chargé le professeur de la Columbia David Beim de faire une enquête sur le fonctionnement de la Fed, sans aucune restriction en échange de ne pas la rendre publique, et ses conclusions ont surpris jusqu’à ce dernier. Le grand obstacle pour améliorer la supervision bancaire était la culture même de l’institution. Ses salariés étaient devenus trop frileux face au risque et montraient une attitude excessivement déférente envers les grandes banques. Les décisions se prenaient sous forme de consensus, ce qui entretenait une attitude conservatrice et d’évitement de grands affrontements. Beim a proposé que la Fed engage des experts qui n’auraient pas les craintes des salariés et que, de plus, elle les encourage à communiquer leurs points de vue avec l’objectif de modifier la culture existante.

Cette culture parmi les grands régulateurs a sans doute été également déterminante dans le cas Madoff alors qu’un expert financier avait alerté à plusieurs reprises la SEC de la fraude pyramidale, sans qu’on en fasse aucun cas.

La Fed a commencé à engager des experts externes, parmi ceux-ci Carmen Segarra, qui a été renvoyée après sept mois.

Bien sûr, Carmen Segarra n’est pas d’origine espagnole, mais hispanique, de Porto Rico.


Traduit de l’espagnol.

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  • La solution n’est pas la régulation mais le responsabilisation des établissements.
    Toutes ces banques peuvent faire ce qu’elles veulent mais si elles perdent, personne ne viendra à leur secours.
    Les règles du jeu doivent être posées dès le début et s’y tenir.
    Plus de bailout !
    Enfin, c’est aux actionnaires de sanctionner les dirigeants qui se comporteraient comme des voyous.

    • Vous savez bien que la plupart des actionnaires (et parfois le C.A.) ne sont pas au courant des « malhonnêtetés » (pour ne pas dire plus) de G.S. qui figurent au bilan sous des formes tout-à-fait acceptables. Je retiens de la crise de 2008, le fait que bien peu de responsables ont été trainés en justice (Sauf Kerviel qui ne peut être seul responsable!)
      Mais il est clair que des « anciens » de GS occupent des places qui font peur, dans l’Union Européenne: un M. Monti, un M.Draghi (son successeur, pour l’Europe chez G.S.), l’aide de G.S. à la Grèce pour faire passer ses « faux chiffres » et entrer dans LU.E. et l’ €! Les conflits d’intérêt sont donc patents et je serais curieux de voir le contenu des communications entre B.C.E. et G.S., encore actuellement. J’espère que l’U.E. ne va pas tarder à engager cette dame C. Segura pour surveiller les décisions de la B.C.E.!
      D’autre part, l’U.E. qui parait fort pressée de signer (certains commissaires, en tout cas: « Faites gaffe! Mr J.C. Juncker!) le traité économique trans-atlantique, tient pourtant dans l’histoire racontée dans l’article, un sérieux argument de méfiance sur l’appréciation U.S. de la conformité des futurs marchés, nous emmenant dans une autre soumission après la dépendance militaire. (Ceci dit en n’étant ni Français ni anti-U.S.A. viscéral comme eux.)

  • Quelques banques abusent certainement du monopole monétaire qui leur permet de transférer sans risque la responsabilité de leurs actes sur l’ensemble de la population, à l’instar des politiciens avec l’argent des impôts et les dettes publiques.

    Un des défauts du système monopolistique réside dans l’ambiguïté du rôle de la banque centrale, en même temps providence (prêteur en dernier ressort) et juge des banques, deux fonctions éminemment contradictoires. Le monopole monétaire empêche (temporairement) les marchés de sanctionner les institutions défaillantes, ce qui interdit la régulation de ce secteur économique. Et quand, de temps en temps, la sanction arrive malgré tout, c’est la catastrophe, parce que le monopole a dissimulé trop longtemps les difficultés. L’absence des marchés, c’est le règne de l’irresponsabilité, la pire situation imaginable en matière monétaire. Quand l’argent n’a plus de prix, conséquence inéluctable du monopole monétaire, chacun peut s’inquiéter.

    GS et d’autres feraient sans aucun doute moins les guignols s’ils mettaient en jeu leur propre monnaie. Mais alors, les Obèses ne pourraient plus se gaver d’argent gratuit. On comprend pourquoi les politiciens ne veulent pas le changer.

    • Si on croit l’article, il faut bien se dire que si un groupe comme G.S. qui n’hésite pas devant tous les moyens pour enrichir sa puissance, déjà incontrôlable et incontrôlée, on se demande qui décide de la politique de la « Fed »! Les confusions d’intérêts, entre autres, avec le pouvoir politique et sans doute plus, aux U.S.A. comme ailleurs, sans possibilité de sanctions, c’est dangereux!
      Alors la responsabilité des grosses banques internationales par leurs filiales multiples, je n’y crois pas plus qu’à leurs engagements solennels. Les différents gouvernements (surtout en France, où les transactions en cash sont désormais officiellement interdites mêmes pour des sommes encore modérées) auraient dû faire payer aux banques bien plus pour les prises de risques ratées et la mise en péril de 2008. Ce genre d’événement ne peut se répéter: les états ne s’en relèveraient pas et les banques pourraient être tenues de payer les créanciers privilégiés (fisc, sécurité sociale et personnel) quitte à utiliser les dépôts des clients, ce qui ne peut continuer à être garanti, vu que la somme perdue d’un côté (banque) ou de l’autre (impôts supplémentaires) ne feraient que renchérir la somme perdue. Il faut donc bien surveiller de près, contrôler les comptes et sanctionner sévèrement les banques qui jouent hors limites, avec l’argent qui n’est pas le leur! La responsabilité des banques ne suffit évidemment pas et après le « crack », on ne peut y croire, sans compter qu’il y a eu bien des changements depuis: réduction importante des personnels (donc augmentation des chômeurs à soutenir), informatisation et robotisation obligeant le client au « self-service » (d’où absence d’engagement de personnel, bénéfice en hausse sans baisse du coût des service), pertes par piratages des cartes de payement et de crédit et attaques violentes des D.A.B. parfois vides lors des weekends de congé, un personnel dont la mission n’est plus le conseil mais la vente commerciale pure des produits les plus bénéficiaires pour la banque sans adéquation personnalisée pour le client. Pour moi, les banquiers ont pris la place des vendeurs de voitures d’occasion au niveau de la fiabilité et du sens des « RESPONSABILITÉS »! Quant à engager leurs biens personnels, il existe tant de formules pour l’éviter …

  • ce qu’il faut ce n’est pas plus de réglementation mais plus de responsabilisations. il faut rendre les banques responsables. pour cela, il suffirait d’arrêter de les sauver de la faillite

  • « Carmen déclare que la Fed ne manque pas de moyens, mais que « les problèmes sont le manque de colonne vertébrale, de transparence, de rigueur et de persévérance, pas de moyens ». »

    Le problème est la politique.
    L’idée même de réglementation et de contrôle est stupide.
    Ce que Segarra a voulu dénoncer n’existait qu’à cause de la réglementation et de la dépense publique.
    Il est possible que la règle ait été violée dans l’esprit, mais aucune règle n’est pertinente.

    La seule règle doit être la liberté, donc la concurrence.
    À chaque institution financière de convaincre de la pertinence de ses politiques.

    Disposons que :
    1 – La banque centrale ne fixe rien, ne contrôle rien, elle se contente de gérer des comptes.
    2 – La quantité de monnaie ne fait l’objet d’aucune politique, qu’elle augmente exactement de 5% par an, directement transmis au gouvernement, et que cette règle est définitive; si le gouvernement veut dépenser plus que cela, il doit taxer.
    3 – Il n’y a pas de réglementation bancaire, Bâle ou autre, chacun peut s’instituer banque ou donner son avis sur la solidité des banques ou des dettes souveraines.
    4 – Il n’y a pas de dépôt mais des prêts des particuliers aux institutions bancaires, ce qui ne concerne pas l’État

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