Marchés financiers : un immense casino sans lien avec l’économie réelle ?

L’hypothèse d’efficience des marchés financiers est aussi vraie que le sont toutes les tautologies.

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Marchés financiers : un immense casino sans lien avec l’économie réelle ?

Publié le 8 décembre 2014
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Graphiquement, on peut représenter l’hypothèse d’efficience des marchés comme suit :

graphe risque rendement

Le point Rf, sur l’axe des ordonnées correspond au rendement du taux sans risque qui, par définition, présente un risque nul et le point Rm, sur la diagonale, pourrait être un portefeuille parfaitement diversifié d’actions. Ce que nous dit l’hypothèse d’efficience des marchés c’est que, parce que toutes l’information disponible est déjà intégrée dans les prix, il est impossible de concevoir un portefeuille qui offre un rendement à long terme plus élevé que celui de Rm sans augmenter le niveau de risque. En d’autres termes, nous sommes condamnés à nous déplacer sur cette diagonale : pour augmenter notre espérance de rendement, nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter de prendre plus de risques.

Remplacez le mot « risque » par « volatilité » (ou variance) et vous retrouvez la prédiction centrale de la Théorie Moderne du Portefeuille (Harry Markowitz et al.) : notre diagonale s’appelle alors Capital Allocation Line et elle représente tous les meilleurs ratios de Sharpe possibles. Remplacez « risque » par « bêta » et vous obtenez une description fidèle du non moins fameux Capital Asset Pricing Model (le MEDAF en français) dans lequel le bêta n’est rien d’autre que la pente de notre diagonale.

Or, voilà une bonne cinquantaine d’années que les prédictions de ces modèles sont régulièrement invalidées – ou, du moins, fortement remises en question – par nos observations. Typiquement, nous savons qu’un portefeuille d’actions formé des titres qui affichent les Price-to-Earnings ratios les plus faibles du marché génère à long terme un rendement ajusté du risque (un ratio de Sharpe ou un alpha de Jensen selon le cadre théorique dans lequel vous vous placez) significativement supérieur à celui de Rm. De là, un certain nombre d’observateurs issus du monde académique en ont conclu que l’hypothèse d’efficience des marchés ne résiste pas à l’épreuve des faits : à coup de psychologie comportementale et de biais cognitifs, ces vénérables chercheurs nous ont expliqué que les marchés financiers n’étaient, somme toute, qu’un immense casino sans lien avec l’économie réelle.

Il se trouve que, grâce à la magie des mathématiques, le Price-to-Earnings ratio (prix divisé par résultat net) n’est rien d’autre que l’inverse du Earnings Yield (résultat net divisé par prix). C’est-à-dire qu’une sélection de titres à faibles PE est aussi une sélection de titres à EP élevés. Or, il se trouve que ce ratio a une signification très précise : dans un modèle d’actualisation de cash-flows (un DCF) ou l’on escompte un résultat net constant ad vitam aeternam, le Earnings Yield est le taux d’escompte, le coût du capital ou encore le taux de rendement interne attendu d’un investissement à long terme dans l’action considérée. On peut, schématiquement, décomposer ce taux en deux : le taux sans risque (Rf) qui correspond au montant de rémunération minimum qu’exigent les investisseurs pour accepter de renoncer à la jouissance immédiate de leur capital1 et une prime de risque qui rémunère, comme son nom le suggère, les risques inhérents à chaque investissement.

En d’autres termes, une sélection de titres fondée sur le Earnings Yield n’est rien d’autre qu’une stratégie qui consiste à sélectionner les actions qui offrent les primes de risque les plus élevées du marché. C’est en tout point comparable à un portefeuille de High Yield2 dans le monde obligataire : remplacez « risque » par « spread de crédit » dans notre schéma et je puis vous assurer que tous nos points s’aligneront gracieusement sur la diagonale ; faites la même chose sur des actions avec le Earnings Yield et vous observerez exactement le même phénomène.

C’est-à-dire que l’hypothèse d’efficience des marchés financiers est aussi vraie que le sont toutes les tautologies et que nos vénérables chercheurs, perdus dans les méandres de leurs bibliothèques et l’instabilité de leurs matrices de covariance, ne regardent tout simplement pas la bonne mesure du risque, celle qui est effectivement valorisée par les marchés à chaque seconde : la prime de risque.


Sur le web.

Nb : un grand mystère de l’existence, c’est que Buffet a construit sa fortune en exploitant ce principe sans – manifestement – l’avoir compris.

  1. Il semble que c’est aux scholastiques de l’école de Salamanque que revient l’honneur d’avoir théorisé cette notion – la valeur-temps de l’argent – pour la première fois au XVIe siècle.
  2. Titres notés en-deçà de Baa3 par Moody’s ou BBB- par Standard & Poor’s.
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  • Votre article est très intéressant, bien que je n’y apprenne pas grand chose (n’importe qui travaillant sur les marches étant déjà bien conscient de ce dont vous parlez), mais je m’étonne cependant de votre titre et de cette phrase : « ces vénérables chercheurs nous ont expliqué que les marchés financiers n’étaient, somme toute, qu’un immense casino sans lien avec l’économie réelle. »
    .
    Je ne vois pas en quoi la remise en question de l’efficience des marche aurait pour conséquence de transformer la bourse en casino, ou d’affirmer aussi péremptoirement qu’il n’y a pas de lien entre économie réelle et marches financiers.
    .
    Certes, le liens n’est pas linaire, certes les marchés ne sont pas efficient (pour la simple est bonne raison que toute l’information disponible n’est pas intégrée dans le prix) et oui les bulles spéculatives pervertissent le lien entre économie réelle et marché, mais ce lien ne se rompt jamais.

  • Le graphe est trompeur. En fait, on ne connait la véritable position des points qu’à l’échéance de l’investissement. L’efficience traite de l’estimation optimale, en termes de probabilités, de la position de ces points dans le futur à partir de l’information disponible aujourd’hui. Ca n’est pas un casino, où seul l’aléa pur, irréductible, écarte la réalisation effective de son espérance mathématique. C’est un environnement où la grande majorité des acteurs s’accordent à tout instant sur une estimation de l’espérance mathématique à cet instant, laquelle a une grande dynamique temporelle.

  • Risque est un mot d’origine arabe. En arabe « Rizq » signifie subsistance matérielle ou immatérielle.

  • Il ne faut pas oublier que les marchés financiers sont bourrés de contraintes règlementaires qui les empêchent d’être entièrement efficient, comme par exemple l’impossibilité pour la plupart des investisseurs institutionnels (dont les fonds mutuels) d’utiliser l’effet de levier et/ou de vendre à découvert, deux compostantes essentielles à l’atteinte de la frontière efficiente.

  • Paradoxalement, quand vous écoutez les invités d’une radio business qu’il est inutile de nommer, ils ont tous, tous, le même genre de discours : « compte tenu de toutes les informations dont je dispose sur les fondamentaux de l’économie réelle, le marché devrait être au point X, et il le sera bientôt (mais à une date indéterminable !), mais en attendant il est au point Y pour une raison irrationnelle… »
    Et tous vous disent qu’il faut faire un pari ; ou qu’il faut se prémunir contre tel ou tel risque en réduisant son exposition ou en se couvrant contre les conséquences…

  • A propos du mot « risque », je cite le blog d’Amin Maalour, rubrique les mots voyageurs:

    « Ce dernier mot [risque] mérite d’ailleurs qu’on s’y arrête un moment. Selon certaines sources, les diverses formes que l’on trouve dans les langues européennes – risque, risk, risiko, riesgo, rischio, etc. – auraient pour origine le mot arabe “rizq”, qui a justement le sens de “fortune”. La transmission du mot se serait produite en Méditerranée, à la fin du Moyen-âge, par l’intermédiaire des marchands et des armateurs, et il a longtemps gardé une connotation maritime. Au Liban, ce mot s’emploie parfois dans le sens de propriété; mais il est fréquent de l’entendre à propos des émigrés qui partent à la recherche de la fortune. La racine sémitique “r.z.q” se retrouve dans de nombreux mots, y compris dans deux épithètes divines, “ar-razeq” et “ar-razzaq“, qui signifient toutes deux, avec quelques nuances, “Celui qui prodigue la fortune”.

    Les origines arabes du mot “risque” ne sont donc pas invraisemblables. Cependant, on peut tout aussi bien plaider en faveur d’une origine latine – de resecum, “ce qui coupe”, terme employé pour les écueils en mer2; ou d’une origine grecque – de risikon, un terme que l’on trouve déjà dans l’Odyssée, qui est plutôt lié à l’idée de racine, mais qui aurait été parfois employé à l’époque byzantine dans le sens de “hasard”.

    Les filiations méditerranéennes sont difficiles à démêler, et il me paraît sage d’avouer, jusqu’à preuve du contraire, que l’on n’a aucune certitude…

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