Grève des médecins : les syndicats tout-puissants

Pour Noël, tous les syndicats de médecins font la paix et s’unissent contre la loi de santé.

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Médecin consultation ordonnance (Crédits : Life Mental Health, licence CC BY 2.0)

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Grève des médecins : les syndicats tout-puissants

Publié le 22 décembre 2014
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Pour Noël, tous les syndicats de médecins font la paix et s’unissent contre la loi de santé. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper : à l’intérieur règnent des divisions profondes sciemment entretenues.

Par Phoebe Ann Moses

Médecin consultation ordonnance (Crédits Life Mental Health, licence Creative Commons)

La représentativité des syndicats ne se pose pas uniquement dans le monde des salariés, mais aussi dans le milieu des médecins libéraux. Les échanges entre le gouvernement et la profession ne peuvent passer que par ces syndicats, non représentatifs.

Pendant ces derniers mois, aucun des cinq syndicats de médecins n’a contesté ouvertement la loi à venir. Dans le rapport remis à Marisol Touraine, il était écrit noir sur blanc quelle position adoptait chacun de ces syndicats, preuve qu’ils avaient été consultés. Depuis quelques jours pourtant, tout à coup, ils ont tous de façon unanime fait savoir qu’ils déposaient un préavis de grève pour fin décembre et début janvier.

Tous. Mais pas tous au même rythme : en effet, si la plupart s’accordent sur leurs revendications, il y a certains sons discordants dans cet univers hétéroclite.

Par exemple, certains font entendre qu’ils ne remettent pas en question le tiers payant généralisé, alors que c’est le point crucial de cette loi, puisqu’il soumet le médecin au bon vouloir du financeur (en faillite, soit dit au passage…).

La loi va fonctionnariser les médecins, ce qui signifie, pour faire court, qu’ils devront obéir totalement aux consignes de la CPAM et des politiques. Finie, la liberté de prescrire, de s’installer où le souhaite le praticien. Même le nombre de patients sera plafonné. Pour le patient, finie la liberté de choix du médecin : il devra consulter là où la CPAM accepte de le rembourser, hors de ce circuit, pas de remboursement. Le médecin est appelé à devenir le simple exécutant de la Sécurité Sociale, ne prenant plus de décision par lui-même. Le médecin ne sera plus le protecteur de son patient, il obéira à la Sécurité Sociale.

Les établissements privés (sans qui, rappelons-le, le secteur public ne pourrait pas fonctionner, incapable d’absorber à lui tout seul la totalité de la demande de soins), sont sommés de faire disparaître les secteurs 2 s’ils veulent conserver leur « mission de service public » (par exemple, des services d’urgences privés). Le gouvernement met le couteau sous la gorge de tout médecin qui souhaite garder son indépendance et sa liberté.

Dorénavant, il ne faudra plus penser en termes de liberté de choix, mais d’économie : vous irez chez le praticien que la CPAM, s’accordant avec les mutuelles, a désigné pour vous. Ceux qui trouvent cela très bien y trouvent leur compte.

Mais quel médecin libéral pourrait se satisfaire d’une telle perspective ? Quel médecin n’attendrait pas de voir les syndicats défendre âprement la profession ?

Au lieu de ça, il semblerait que certains négocient en coulisses avant même la grève. En pourparlers avec Marisol Touraine, ils semblent même commencer à lui faire des propositions. Au grand dam des médecins eux-mêmes qui se sentent floués par ceux qui sont supposés les défendre mais qui sont en train de négocier une revalorisation de la consultation (ce que n’ont jamais revendiqué les médecins libéraux) contre une application du tiers payant généralisé (ce que les médecins refusent totalement). Ou qui négocient une obligation des médecins de secteur 2 à ne plus faire de dépassements d’honoraires (par la énième signature d’un contrat avec la CPAM, qui aimerait voir disparaître ce secteur et qui y parviendra en l’obligeant à aligner ses honoraires sur celui du secteur 1). Une contradiction totale avec la demande « de la base » qui a compris le danger d’un nouveau contrat avec l’État.

Un chiffre est révélateur : environ 90% des médecins ne savent pas ce qu’il y a dans la loi de santé. Il y a pourtant 5 syndicats, mais curieusement, le message ne semble pas être parvenu jusqu’aux cabinets des médecins alors qu’ils sont directement concernés.

Force est de constater que les médecins adhérant à un syndicat ne reçoivent que le message qu’on veut bien leur transmettre. D’autres, qui voudraient avoir une défense intransigeante de leur profession, se regroupent maintenant en associations.

Les syndicats défendraient-ils autre chose que la profession ? Eux qui ne doivent leur existence qu’à l’État et non au nombre de leurs adhérents. Comment continuent-ils à exister ? Grâce à l’argent public. Et qui distribue cet argent ? L’État. En résumé : peu importe que les syndicats ne soient pas financés par les cotisations des adhérents, ils n’en ont pas besoin : l’État les gâte déjà tellement.

Pourquoi iraient-ils défendre des intérêts contraires à celui qui les paye ? Ils vont donc faire des propositions qui les arrangent et qui arrangent l’État, mais qui ne reflètent pas ce que demandent les médecins.

Vous entendrez donc sur les ondes, en vrac : que les médecins ne sont « pas assez payés » : l’État dans sa grande mansuétude leur accordera peut-être une consultation à 25 ou 26 euros. Que « les gardes aux urgences sont trop fatigantes » : on respectera mieux le temps de travail. Que « la pénibilité au travail » devrait être comptabilisée pour le personnel médical qui travaille de nuit : on trouvera de quoi compenser.

Attention, ce ne seront pas là les revendications « des » médecins, mais celles des urgentistes, qui ont déposé leur préavis de grève pour le 22 Décembre, soit un jour avant le mot d’ordre des autres syndicats. Le porte-parole du syndicat des urgentistes est affilié à la CGT, le choix de la date n’étonnera donc que ceux qui ignorent cette collusion. Et leur sémillant président, Patrick Pelloux a bien assuré qu’ils ne s’opposaient pas du tout à la loi de santé. Évidemment, en tant qu’urgentistes du public, ils ne sont pas vraiment concernés par les modifications touchant les libéraux.

Rien dans ces revendications n’est réclamé par les médecins libéraux. Mais en prenant de l’avance sur les autres grévistes, ce syndicat s’assure d’avoir toute l’attention nécessaire pour faire passer son message, éteignant du même coup les autres, qui seront perçus uniquement comme des « suiveurs ».

En dévoyant les vraies raisons de la grève, on cherche à la discréditer. Et les médias sont toujours plus prompts à écouter les pleurs d’un urgentiste en baskets que d’un médecin libéral en mocassins à glands.

Les médecins sont des Saint-Bernard, qui ont décidément la vocation. Bercés par l’idée qu’ils sont déjà bienheureux de gagner plus que la moyenne de la population (il faudrait toutefois rapporter ce montant au nombre d’heures de travail effectuées…), qu’ils sont là pour les autres, qu’ils ne laisseront jamais personne sans soin, ils sont progressivement passés du statut de soigneur au statut de serviteur.

Ils vont bientôt passer au statut d’esclave.

Ils doivent se ressaisir et réaliser que ce n’est pas l’État qui soigne, ce sont les médecins. Ils n’ont pas encore compris qu’après les milliers de contrats signés avec la Sécurité Sociale, ils étaient toujours systématiquement perdants, qu’un contrat signé avec l’État n’est jamais au bénéfice d’un indépendant. Ils n’ont pas encore compris qu’il est plus que temps d’envisager une autre politique de la santé en reprenant leur liberté. Lorsque l’offre d’emploi est supérieure à la demande, c’est celui qui offre son travail qui a le pouvoir. Les médecins ont actuellement les conditions réunies pour faire valoir absolument tout ce qu’ils demandent. Mais les syndicats peuvent en décider autrement.

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  • Très bon article.

    Je rajouterais que seuls 20% environ des médecins sont syndiqués dans une myriade de syndicats de généralistes ou de spécialistes qui ne représentent qu’eux-mêmes.

    Nous verrons à terme en france, une bipolarisation entre un secteur très étatisé accessible à tous sous réserve des délais d’attente (un NHS à la française) et un secteur déconventionné accessible aux plus aisés, un système bicéphale dont la réalisation et l’avènement sera le fait de nos étatistes de gauche ou de droite, mis en place au nom de l’égalité et de l’accessibilité aux soins.

    • c’est normal d’être pas syndiqué lorsque vous avez la tête dans le guidon… Jusqu’à ce que vous vous faites attaquer par la sécu (et c’est une véritable guerre que l’on vous livre).
      1er réaction : l’incompréhension
      2ème réaction : il faut organiser sa défense !
      cela m’est arrivé : vous êtes alors content d’avoir un syndicat à vos cotés !
      résultat : abondant pure et simple des sommes délirantes demandées.
      mais certains, en burn out, se tue…

  • Pourquoi 63% plus ou moins de la population soutient le mouvement de contestation et pourtant tout le monde est d’accord semble-t-il avec la généralisation du tiers-payant?
    Sur BFM, ce matin il disait que la grève des urgentistes était contre le projet de Marisol, donc comme celui des médecin g, ensuite.

    • Je crois qu’encore une fois, tout le monde est d’accord avec le tiers-payant quand il est sorti de son contexte, mais pas avec le tiers-payant tel qu’il devra être implémenté.
      Q1 : Etes-vous d’accord pour que personne ne doive avancer d’argent, surtout les plus fragiles, pour aller chez le médecin ?
      Q2 : Pensez-vous que ça vaille la peine de prendre 10% de plus du temps des médecins à faire de la paperasse et de faire administrer leur travail par la sécu (avec l’efficacité qu’on lui connaît) pour éviter d’avoir à faire l’avance de 23E quand vous allez chez le médecin ?
      Laquelle croyez-vous a été posée dans les sondages ?

  • Votre article me déconcerte. Il fait une bonne analyse de la situation et une analyse intéressante de l’échiquier syndical médical. Je suis médecin généraliste et depuis peu très impliqué au niveau d’un syndicat, la Fédération des Médecins de France. Je l’ai choisi justement parce que ce syndicat fait le constat de l’impuissance syndicale en raison de la division structurelle. Je pense que c’est la simplification et description statique de l’univers syndical qui me met à mal à la lecture de votre article. Notamment la description de l’absence de contestation syndicale initiale:
    1) la position d’un syndicat doit changer en fonction de l’évolution de posture du ministère. Le durcissement de la position syndicale peut être interprété comme une réaction à l’obstination ministérielle.
    2) il me semble qu’il y ait eu initialement des imprécisions, voir falsifications dans la communication ministérielle quant aux positionnements syndicaux. Pour plus de précision le président de la FMF, Monsieur Jean-Paul Hamon, se mettra certainement à votre disposition pour donner plus de précisions. Au besoin je vous communiquerai son adresse électronique.
    Cordialement
    Dr Hermann Neuffer, Bordeaux

  • « Le gouvernement met le couteau sous la gorge de tout médecin qui souhaite garder son indépendance et sa liberté. »
    C’est malheureusement tellement vrai…

    Cet article résume parfaitement les raisons de la colère, il mérite d’être partagé par le plus grand nombre.

  • Il me semble que entre le nombre d’heures de travail, le niveau de formation, le rôle social des médecins généralistes l’idée de les transformer tant soit peu en fonctionnaire est purement catastrophique.

    Les socialistes ne sont plus néfastes seulement pour l’économie mais carrément pour la santé publique. S’ils veulent réduire les dépenses, qu’ils écoutent les médecins. Je me demande s’il est utile de négocier quoi que ce soit avec une profession libérale d’une façon générale (nouvelle mode socialiste), que ce soit des patrons, des médecins des indépendants … Il suffit d’aller voir sur le terrain jusqu’où il ne faut pas aller trop loin et ce qui est globalement bon ou globalement néfaste.

  • Décidément j’adore ce que vous écrivez. Féroce et particulièrement éclairant, cet article ne fait pas dans la dentelle pour dire les choses telles qu’elles sont, sans pour autant tomber dans la provocation gratuite. C’est juste. Merci pour vos articles.

  • Comme dans l’Ednat et la magistrature, les syndicats ne sont finalement que les courroies de distribution de la grande révolution nationale-socialiste à venir.

    Les Anglais auront désormais une bonne raison de ne plus s’installer en France : le système de santé français sera aussi pourri que le leur.

  • « Médecins libéraux » est un oxymore assez comique dans un pays où l’état finance directement 77% de la demande de produits et services médicaux… Si l’on inclut en outre les complémentaires santé obligatoires auxquelles les salariés  n’ont pas le choix de ne pas adhérer (leurs cotisations relevant dès lors plus de l’impôt que de la transaction librement consentie), c’est même 91 %  du chiffre d’affaire médical qui relève de fait de la commande publique.

    En pratique, les seuls médecins véritablement libéraux dans ce pays sont donc ceux ayant refusé le conventionnement avec l’assurance maladie. Autant dire qu’ils ne sont pas légions, ce qui tend à prouver que la soupe que leur sert la sécu n’a pas l’air si mauvaise.

    Les professionnels de santé ont à l’heure actuelle le pouvoir exorbitant de dépenser des masses considérables d’argent public (on parle de 180 G€/an !!), sans trop de contrôle de qui que ce soit, et en laissant une bonne partie dans leurs poches au passage. Il n’est pas du tout aberrant que le payeur, autrement dit l’état, ait davantage son mot à dire sur l’utilisation qui est faite de « son » argent.

    Bien sûr un système véritablement libéral serait préférable à un système étatisé mais puisque personne n’a l’air de vouloir remettre en cause le monopole de la sécurité sociale ni les divers numerus clausus je ne suis pas certain que davantage de fonctionnarisation ne soit pas in fine davantage dans l’intérêt du consommateur-payeur à qui on fait les poches en prélèvement direct sans trop lui demander son avis..

    • Oui mais alors une fonctionnarisation complète… pas un ersatz de fonctionnarisation qui permet à l’état d’avoir des « fonctionnaires » sans leurs garantir ce qu’il donne aux autres fonctionnaires et qui laissent aux médecins les vrais inconvénients d’une profession libérale tout en leur en soustrayant tous les avantages.

      Par ailleurs, une bonne proportion des médecins demandent une vraie libéralisation et sont coincés par un système étatique, tout comme le « consommateur » de soins.

      Sinon vous merci pour vos leçons de libéralisme…

    • Votre raisonnement de l’oxymore du médecin libéral tiendrait debout si le médecin français évoluerait dans un contexte raisonnable et non pas absurde.
      Il y a une forte minorité de médecins qui songent au déconventionnement pour travailler en secteur libre. Le problème: le cadre légal et conventionnel est tel que c’est un modèle économiquement viable pour très, très peu de médecins.
      En cas de déconventionnement l’assurance maladie ne prend quasiment plus en charge les horaires des médecins:
      Pour le médecin de famille que je suis: cela ne me permettrait pas d’appliquer des honoraires correspondant aux soins nécessaires pour mes patient gravement malade (et c’est là que mes patients ont besoin de moi).
      Mes collègues spécialistes ayant besoin du plateau technique des cliniques (chirurgien, cardiologues, gastro-entérologues etc.) ont le droit d’utiliser ce plateau technique seulement s’ils sont conventionnés.
      Ce sont évidemment des subtilités pour lesquelles les syndicats ne prennent pas de preneurs dans les médias.
      Dr Hermann Neuffer, médecin généraliste, Bordeaux

    • entièrement d’accord avec vous ! Mais je vous signale qu’en disant cela sur ce site vous vous exposez à des réponses extrêmement agressives d’anarcho-capitalistes utopiques qui trainent par ici !

      J’ajouterais – en commentaire à l’article – que la petite pique sur « les établissements publics incapables d’absorber seuls la demande et ne pouvant fonctionner sans les établissements privés » est un marqueur idéologique très révélateur sur l’auteur (qui s’affirme dans sa présentation « détester la mauvaise foi et la malhonnêteté intellectuelle »…) ; remettons les choses en ordre : d’une part les établissements publics n’ont jamais demandé à assurer TOUTE l’activité hospitalière ; d’autre part ce sont les établissements privés qui ne pourraient exister sans un secteur public qui accueillent tous les patients (soit les patients les plus lourds, soit les cas sociaux ou complexes) permettant ainsi au privé de faire son marché et d’être rentable.

  • Dans le budget de notre ménage nous n’avons aucun plafond de dépense de santé pour notre famille. En revanche, comme contribuables ou cotisants, nous souhaitons évidemment une limite aux dépenses de santé des autres, dépendant d’un budget que nous co-finançons.

    Cette contradictions est irréductible. Il est clair que les ménages doivent récupérer et gérer eux-même leur budget de santé. Avec le concours d’assurances-santé concurrentielles, et si besoin l’aide d’un dispensaire local (ou d’un autre prestataire) financés par la générosité (ou une cotisation) locale.

    Comme de nombreux articles de Contrepoints l’on rappelé, l’assurance-santé existait avant-guerre, et les mutualités étaient bien mieux gérées et moins chères que la Sécu (créée sous l’Occupation).

    Les médecins libéraux doivent avoir la mémoire du grand mouvement de la Mutualité française. Et aussi des accords qu’ils signaient localement avec les société de secours ouvrières. Point besoin de l’Etat et de ses politiciens, pour organiser la santé privée et publique. Y a-t-il une Sécu dans les pays de l’OCDE les plus performants ?

    Le médecin défend sa profession en revendiquant la liberté médicale. Il peut aussi informer sa clientèle des vertus de la liberté assurancielle du patient !

  • Un commentaire : la petite pique sur « les établissements publics incapables d’absorber seuls la demande et ne pouvant fonctionner sans les établissements privés » est un marqueur idéologique très révélateur sur l’auteur (qui s’affirme dans sa présentation « détester la mauvaise foi et la malhonnêteté intellectuelle »…) ; remettons les choses en ordre : d’une part les établissements publics n’ont jamais demandé à assurer TOUTE l’activité hospitalière ; d’autre part ce sont les établissements privés qui ne pourraient exister sans un secteur public qui accueillent tous les patients (soit les patients les plus lourds, soit les cas sociaux ou complexes) permettant ainsi au privé de faire son marché et d’être rentable.

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