Par Frédéric Sautet
Un article de Trop Libre
L’intérêt pour le sujet remonte aux économistes classiques du XVIIIème et XIXème siècles. L’entrepreneur apparait régulièrement dans les écrits de l’école française depuis Richard Cantillon jusqu’à Yves Guyot en passant par Jean-Baptiste Say. Ce dernier propose une théorie du marché élaborée où l’entrepreneur joue un rôle central dans la production. Les économistes « classiques » de Turgot à Marshall définissent le marché comme un processus dynamique entrepreneurial.
Cette notion du marché disparaît cependant dans les décennies qui séparent la révolution marginale en économie (dans les années 1870) de l’acceptation de la concurrence pure et parfaite (à la fin des années 1920). Les prémices de ce changement se trouvent dans les travaux d’Augustin Cournot, de Léon Walras ou encore de William S. Jevons. Ces auteurs mettent en avant l’idée que les prix sont des paramètres et que l’analyse du marché est en fait l’étude d’une situation d’équilibre, comme en physique. En équilibre, il n’y a point de besoin d’agent source de changement, car tout changement réel est exclu de cette description mécanique du monde.
L’adhésion en masse de la profession au paradigme de la concurrence pure et parfaite (et de ses dérivés comme la concurrence monopolistique) va faire changer les choses. Dès lors, les économistes de l’école autrichienne, en particulier Joseph Schumpeter et Ludwig von Mises, sont presque les seuls à s’intéresser à l’entrepreneur. Il faudra cependant attendre le travail d’Israël Kirzner en 1973 pour la publication d’un traitement complet du rôle de l’entrepreneur dans le marché et dans la production.
Pour l’école autrichienne, l’entrepreneur n’est pas un individu particulier, mais une fonction présente dans chaque acteur. La meilleure façon de comprendre cette fonction est de prendre un exemple. Supposons que Robinson Crusoé, seul sur son île, aille pêcher tous les jours. La pêche est une activité importante dans son existence. Un jour, alors qu’il se promène sur l’île, il remarque des vignes vierges qu’il pense pouvoir utiliser pour fabriquer un filet. Il se met ainsi à l’œuvre et part, quelques heures plus tard, à la pêche avec un filet qui lui permet de pêcher dix fois plus de poissons qu’avec son ancienne méthode (sur une même période).
Dans cet exemple, beaucoup peuvent penser que l’activité entrepreneuriale consiste en la fabrication du filet (tout comme beaucoup pensent que l’entrepreneur est celui qui lance une petite entreprise). Cependant, quelque chose de supplémentaire était nécessaire à la fabrication du filet : la découverte que les vignes vierges pouvaient être utilisées dans ce but. Sans la découverte de cette idée, le filet n’aurait jamais été fabriqué.
En effet pour l’école autrichienne, l’activité entrepreneuriale n’est pas l’action de lancer une nouvelle entreprise ou de faire de la R&D. L’activité entrepreneuriale est la réalisation que les ressources existantes pourraient être employées d’une façon différente pour mieux satisfaire les besoins humains. Cette réalisation ne dépend pas du résultat d’une production, elle est la condition nécessaire à toute production. Sans l’idée originelle, sans la découverte de départ, aucune production n’est possible. Cette découverte est donc l’essence de l’activité entrepreneuriale qui consiste à introduire de l’information nouvelle (c’est-à-dire qui n’était pas connue jusqu’à présent) dans un système économique.
Les découvertes entrepreneuriales ne sont pas faites par hasard. Dans l’exemple de Robinson, la pratique de la pêche a inspiré, si l’on peut dire, sa découverte. Dans le jargon de Kirzner, c’est parce que Robinson est pêcheur que son esprit est « alerte ». C’est parce qu’il pratique la pêche qu’en trouvant les vignes vierges il a eu l’idée de les utiliser pour faire un filet. Il est aussi possible qu’il ait eu l’idée d’utiliser des vignes vierges pour fabriquer un filet avant de les trouver sur l’île. Dans tous les cas, l’important est l’idée de départ : l’utilisation nouvelle de ressources présentes.
Dans l’exemple ci-dessus, il s’avère que les quelques heures de travail qui permettent à Robinson de fabriquer un filet multiplient sa productivité par dix. La découverte est très rentable. Il est important de comprendre que l’accroissement de sa productivité n’est pas fondamentalement dû au capital utilisé par Robinson, que ce soit sa force de travail, le temps passé à la fabrication, ou les vignes vierges elles-mêmes. Cet accroissement est entièrement dû à sa découverte, à l’idée nouvelle concernant l’utilisation des vignes vierges. Cet accroissement de sa productivité est en fait un profit entrepreneurial. Cela veut aussi dire que la productivité du capital n’est pas une propriété intrinsèque des facteurs de production (qu’il suffirait donc d’accumuler), elle est toujours le résultat d’une découverte entrepreneuriale.
Dans le contexte social du marché, l’entrepreneur est guidé par le profit monétaire, c’est-à-dire par la différence entre le coût des ressources (y compris le coût d’opportunité du capital utilisé) et le prix de sa production. L’activité entrepreneuriale consiste à capturer des profits monétaires qui étaient restés inaperçus jusqu’alors. Le profit joue aussi un rôle incitatif. De la même façon que Robinson découvrit l’usage rentable des vignes vierges, un entrepreneur aura tendance à découvrir ce qui lui permet de réaliser un profit monétaire.
De surcroît, l’activité entrepreneuriale possède des vertus sociales. Elle tend notamment à améliorer la coordination des plans individuels sur le marché et contribue ainsi à réaliser l’harmonie des intérêts (bien entendus) mutuels. Au final, la fonction entrepreneuriale est indispensable à l’accroissement de la productivité des facteurs de production, c’est à dire, elle est l’élément fondamental de la croissance économique.
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