Par Jacques Garello.
On peut sans doute s’inquiéter de la situation de l’économie grecque, qui n’a jamais été très flamboyante, en revanche la conjoncture du Japon devrait inquiéter non seulement les Japonais, mais tous ses partenaires mondiaux. Voici en effet un pays qui est à nouveau en récession, et où l’inflation s’est ouvertement déclarée. Responsable : le premier ministre Shinzo Abe et sa politique « originale ».
Abenomics : hara kiri économique
Tout commence en 2008. Comme la plupart des pays de l’OCDE le Japon est confronté à la crise : perte de 1% du PIB, puis en 2009, récession encore plus brutale : perte de 4,50 %. Jusque là, le sort du Japon n’est pas original, les chiffres sont les mêmes en Allemagne par exemple. Mais les Allemands ne sont pas keynésiens et n’aiment pas jouer avec la monnaie (leur histoire nationale leur fait craindre le pire). Tandis que les Japonais ont un « magicien » (comme Draghi) : Shinzo Abe. Certes Ben Bernanke à la tête de la Fed avait accéléré le « quantitative easing », c’est-à-dire l’injection massive de monnaie dans l’économie américaine en vue de relancer l’économie, mais Abe va plus loin et défie les lois de la pesanteur économique : la Banque du Japon est poussée à doubler la masse monétaire en un an ! Défier les lois de la pesanteur, cela peut se faire, en sachant que l’on va retomber tôt ou tard, c’est maintenant. C’était suicidaire, les Japonais disent hara kiri. Ainsi naît l’abenomics, l’économie à la façon Abe, forme échevelée du keynésianisme, à comparer avec la reaganomics, forme échevelée de classicisme, qui avait à partir de 1980 valu plus de vingt ans de croissance ininterrompue aux États-Unis.
Premiers succès
Des économistes toujours en quête d’innovations ont applaudi à l’expérience et l’ont expliquée sur-le-champ. Le miracle abéien se produit en 2010 : 4,7 % de croissance du PIB. On fait remarquer que si la dette publique japonaise est élevée, elle est surtout portée par les Japonais eux-mêmes, donc peu inquiétante. D’autre part, on estime que les Japonais sont prêts à faire des sacrifices en acceptant de payer trois points de plus de TVA (passant de 5 à 8 %). Mais on ne croit pas au risque d’inflation, parce que les crédits vont dynamiser les investissements des grandes entreprises (Toyota), du gouvernement, et la dépréciation du yen dopera les exportations. Voilà donc autant de raisons pour justifier les abenomics.
Quand on passe en revue les composantes de cette politique, on en conteste l’originalité, car ce sont exactement les mêmes arguments que l’on entend, à l’époque et aujourd’hui même : dépréciation de l’euro, investissements publics, lutte contre « la déflation ».
Seuls quelques économistes libéraux attardés ou monétaristes, comme nous-mêmes dans cette Lettre, avaient dénoncé la folie furieuse de l’Abenomics.
L’inflation, menace pour les structures japonaises ?
Quatre ans plus tard, le réveil est difficile. Dès 2011 la perte de PIB est de 0,5 %. Puis une faible croissance en 2012 et 2013 (1,8 % et 1,5 %) fait espérer la fin de crise. Hélas 2014 c’est croissance zéro, et les prévisions pour les années à venir sont négatives (sauf dans l’entourage de Shinzo Abe). Les Japonais sont en train de perdre leur pouvoir d’achat, avec une inflation ouverte de quelque 3 % dans un pays qui connaît traditionnellement une totale stabilité des prix, et des revenus stagnants, voire en diminution en 2014. Les consommateurs japonais demeurent cependant prudents, et leur demande a diminué au cours des derniers trimestres. Les tensions inflationnistes peuvent donc se stabiliser. Mais, en matière d’inflation, le drame commence lorsque les consommateurs font des anticipations inflationnistes et cherchent à dépenser leur argent tant qu’il a encore de la valeur.
Il n’y a plus de miracle à attendre. Et nul doute que l’émission de fausse monnaie entraînera, ici comme ailleurs, un dérèglement total de l’économie, à l’inverse de ce que l’on attend. C’est très regrettable dans un pays dont les structures de production sont réputées solides, et dont le taux de chômage demeure très faible, à 3 % actuellement. Une course est donc engagée entre les ravages de l’inflation et la flexibilité de l’économie.
La leçon japonaise n’est pas très souvent évoquée en Europe. Elle devrait pourtant donner à réfléchir à ceux qui applaudissent à la politique de la Banque Centrale Européenne. Elle aussi est suicidaire.
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Problème: en 2010, Abe n’est pas encore au pouvoir
Exact, il n’y reviendra qu’en 2012. Le « miracle » de 2010 ne lui est pas dû.
bien vu !
Il ne faut pas être trop dur. Certes vu les résultats économiques de 2013 et surtout 2014 on peut dire que c’est pas flamboyant concernant les méthodes keynésiennes mais Shinzo Abe reste néanmoins une personnalité à applaudir car il essaye de faire ce que les dirigeants français et grecs ont un grand mal à faire : réformer.
En effet la grande oeuvre d’Abe pourrait être le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) qui fera du Japon, un pays plutôt fermé par rapport aux autres pays développés, un pays beaucoup plus ouvert à l’investissement ainsi qu’aux produits importés et des régulations similaires aux pays membres du TPP (USA, Australie,Nouvelle-Zélande, Chili, Mexique, Canada,Singapour..etc..), ce traité représentera une énorme réforme structurelle d’ampleur, surtout dans l’agriculture.
Donc Abe a certes choisi la facilité jusqu’à maintenant mais il a commencé à travailler sur la partie ambitieuse et difficile. Si le TPP est signé (prévu cette année, les pourparlers avec les USA ont été intenses mais très positifs vu l’importance de leurs liens commerciaux) Abe sera vu comme le plus grand réformateur de l’histoire du Japon, rien que ça !
« surtout dans l’agriculture… »
bravo, l’agriculture … le secteur qui supporte tout sauf l’ouverture des frontières !
la liquidation de l’agriculture japonaise fera surtout le bonheur des écologistes, qui y rameneront leur sacro sainte végétation naturelle. ont voit tout de suite pour qui travaille clinton et cie !
Et j’oubliais : le Japon fait face à une population très âgée et qui décline de plus en plus, donc une forte croissance est difficilement envisageable, ce serait déjà bien qu’il y ait de la croissance tout court à long terme d’ailleurs, ce que le TPP et des gains de productivité forts permettraient.
Sans oublier une dette représentant 245% du PIB qui, même si détenue principalement par des japonais, devra être remboursée tôt ou tard, surtout que la dette est de plus en plus achetée par des étrangers car les japonais étant de plus en plus vieux ils retirent leur épargne.
@SweepingWave: où avez vous vu que la dette japonaise était rachetée par des étrangers. La dette japonaise est détenue pour 94% par les ménages et les 6% restants se partagent entre des compagnies d’assurance japonaises et la Banque Postale du…Japon. En dépit de l’endettement, c’est plutôt l’inverse, les banques Japonaises (y compris la banque centrale) achètent de la dette, notamment Européenne.
Les japonais -et tout particulièrement les plus âgés- s’accrochent encore plus à l’épargne qu’avant, le problème étant que les jeunes générations (nombreux en contrats cours, voire vrais précaires…) ne peuvent épargner, le fossé s’agrandit entre salariés à vie et les autres (60/40 contre 80/20 il y a 25 ans)…
Abe a trop forcé sur la machine Keynesienne c’est sûr, mais ça aurait pu être payant si de vraies réformes structurelles (agriculture, emploi des femmes, négotiations sur le TPP…) avaient suivi rapidement.
Sur un autre plan, l’échec (partiel) d’Abe vient aussi de l’incohérence, le timing de la hausse de la TVA était très mauvais si on vise une hausse de pouvoir d’achat pour relancer la consommation, c’était absurde!
Il faut aussi garder à l’esprit que l’Etat intervient beaucoup moins que chez la plupart des pays européens (trois fois moins d’emplois publics qu’en France par exemple), que le fonds de pension nippon est colossal et que les grandes entreprises ont des avoirs financiers et non financiers démentiels (on parle de plus de 600% du PIB), l’Etat n’est pas en reste (avec environ 200% d’actifs). Si on rajoute à ça que le Japon est le plus gros détenteur de créances (devant la Chine qui elle est la plus grosse détentrice de devises) , bref, même si il y a de sérieux problèmes et des défis, je me fais plus de souci pour l’Europe et la France que pour le Japon. Cordialement 🙂
Eh ben bravo, écrire un tel pavé à partir d’une lecture incorrecte de mon post, c’est du joli !
Alors reprenons, puisque j’ai raison : Comme je l’ai dit, les japonais détiennent la grande majorité de la dette japonaise (mais vous avez probablement manqué cette partie, ce qui a tout foutu en l’air) mais la vérité est que cela CHANGE.
Comme je l’ai dit les japonais retirent massivement ce qui leur reste d’épargne (l’inverse complet de ce que vous avez affirmé) car ils sont très nombreux à partir à la retraite et donc à retirer ce qu’ils ont épargné.
Le taux d’épargne était proche de 30% dans les années 80 mais ce taux a chuté à 3% il y a quelques années justement en raison de cela, il est peut-être négatif maintenant ou le sera bientôt.
Par conséquent le gouvernement japonais a de plus en plus de mal à financer sa dette avec l’épargne japonaise et commence à emprunter, lentement mais sûrement, aux étrangers pour financer la dette. Le problème : les étrangers n’acceptent pas une dette si élevée aussi facile et demandent des taux d’intérêt autrement plus élevés.
Hors, si le Japon ne veut pas être étranglé par la dette à l’avenir, vu qu’il empruntera de plus en plus aux étrangers en raison de la démographie déclinante et vieillissante du pays, il va devoir essayer de maîtriser sa dette…D’où cette hausse de TVA effectuée et cette recherche de croissance car le Japon a un fort besoin de revenus afin d’avoir moins à emprunter et ne pas plonger dans une crise de la dette à la grecque.
Bigre, si je m’attendais à autant d’agressivité, sur un site comme celui-ci!!?
– je n’ai pas manqué le fait que vous affirmiez que la dette japonaise était japonaise. J’émettais un sérieux doute sur l’achat de la dette japonaise par des investisseurs étrangers.
– sur les actifs financiers et non financiers de l’état nippon, je maintiens mes chiffres: 200% du PIB. Et pour les grandes entreprises, oui, dans les 600% du PIB, chiffre qui d’ailleurs doit être à peu près le même aux USA
– pour le taux d’épargne, vos chiffres sont à revoir, il était de 1,8% l’an dernier – 0,4 en 2013 !!- contre 15% au début des années 80, et vite en dessous de la barre des 5% avant la fin des années 90.
– emploi public au Japon: moins de 7%. (6,7 source OCDE)
– Par clientélisme et électoralisme, il est vrai que des dépenses inutiles ont été financées au Japon mais ramener les investissements d’infrastructures à de l’improductif et de surcroit comparer ce type de dépenses secondaires qui font que le Japon dispose d’une qualité des infrastructures collectives sans équivalent dans le monde aux dépenses primaires qui tournent autour du social et de l’administratif ne me parait guère pertinent.
Agressivité ❓ Non. Juste réactif. Des fils sont 1000 fois plus animés que celui-ci 😉
C’ est la grosse lacune de l’ article d’ occulter le cash des puissantes stés nipponnes comme Canon qui achète récemment une sté suédoise
Et pour compléter le tableau, suite à l’accident de Fukushima, toutes les centrales nucléaires sont à l’arrêt, ce qui veut dire que le japon doit trouver un moyen pour financer les importation de matière premières nécessaire à la production d’électricité… ou réformer le secteur nucléaire et c’est là que l’on tombe sur le véritable os…. Après la guerre, l’administration américaine s’est appuyée sur les grandes familles pour encadrer la reconstruction et sur les mafieux (yakuza) pour faire barrage aux communistes… Et chaque fois que l’on creuse un peu on finis par tomber sur l’un ou l’autre de ces clans familiaux et leurs associés mafieux, c’est symptomatique si vous vous intéressez à la politique japonaise… Quand il a fallu gérer la crise bancaires des années 90, comme aucune famille ou mafieux ne voulait perdre de l’argent, les banques se sont rachetées entres elles, ils ont mis les dettes dans un pots commun…. Là ils ont poussé le système jusqu’au bout et ils sont dos au mur…
Concernant le fait que le Japon intervienne beaucoup moins que chez nous je ne pense pas. Moins de fonctionnaire probablement mais c’est compensé par des dépenses publiques massives dans l’immobilier et les infrastructures, avec beaucoup de routes vers nulle part dont le seul but était de donner du travail mais sans aucune utiilité derrière, du pur travail improductif donc.
Donc ce n’est pas le même type de dépense mais ça reste de la forte dépense.
Concernant les actifs du Japon il faudra me renseigner mais ces chiffres m’ont l’air trop gros pour être vrais, il y a forcément un couac…Un peu comme les russes quand on dit qu’ils ont encore 400 milliards de $ de réserves, mais en oubliant que près de 200 milliards ne peuvent pas être dépensés car liés aux retraites et autres actifs non vendables dans l’immédiat.
Je me permettrai de faire quelques correctifs à vos affirmations. La dette japonaise, détenue essentiellement par les Japonais (fonds de pension, comptes d’épargne en bons du trésor, etc en grande partie gérés par Japan Post) n’est pas cessible. les droits de succession sont tels que cette dette s’évanouira dans une génération tout au plus … Deuxième constat, je discute régulièrement avec des Japonais (anglophones) et ils détestent Shinzo Abe parce qu’il a osé bousculer l’immobilisme incroyable de ce pays attaché à des traditions séculaires … et pourtant ils ont encore voté pour lui à l’automne dernier ! Enfin, la chute du yen sur les marchés était un des objectifs de Abe. La chute des cours du pétrole et du gaz naturel (naviguez dans la baie de Tokyo, ce que j’ai fait il y a trois semaines, il y a d’immenses navires avec 4 sphères de gaz naturel liquéfié qui attendent de décharger) va certainement être favorable à la reprise économique. Enfin, les Japonais se sont finalement rendu compte qu’ils étaient des privilégiés dans le monde avec une TVA à 5 % et inexistante sur les produits alimentaires. Allez demander au gouvernement français de réduire la TVA à ne serait-ce que 8 %, l’Etat serait immédiatement en faillite !
Maintenant en ce qui concerne l’article lui-même, j’ai noté ceci « Quatre ans plus tard, le réveil est difficile. Dès 2011 la perte de PIB est de 0,5 %. Puis une faible croissance en 2012 et 2013 (1,8 % et 1,5 %) « , on se demande si le grand tremblement de terre du Kanto du 11 mars 2011 n’a pas tout simplement été occulté par les analystes pour tenter d’enfoncer encore plus Shinzo Abe pour lequel j’ai un profond respect …
(Depuis Ogasawara Village)
Il commence à se murmurer dans les milieux autorisés à penser (merci Coluche) que le QE de SuperMariole risque de rencontrer quelques menues difficultés. Oh, rien de grave pour l’instant, mais outre l’hypothèque que la fragmentation des achats entre les diverses banques centrales nationales fait légitimement peser sur l’avenir de l’euro, sans parler du raz-le-bol de plus en plus palpable chez les Allemands et les autres pays correctement gérés, quelques institutions financières européennes hésiteraient à jouer le jeu de ce qui n’est rien d’autre qu’un financement direct par la banque centrale des Etats obèses impécunieux et assoiffés de fric gratuit. En effet, troquer les bons publics soi-disant sans risque mais surtout légalement sans contrepartie d’équilibre de bilan, contre des actifs risqués nécessitant des montagnes de capitaux propres, ne séduirait finalement pas grand monde, surtout en l’absence de clientèle privée pour acheter de nouveaux crédits, même à prix soldé (taux faibles). L’hésitation est d’autant plus forte que les taux faibles entraînent à la baisse les profits des institutions financières. Profitabilité en chute libre, hausse inconsidérée du risque (légal) : dans ces conditions, que viendraient-elles faire dans cette galère ? Ramer sans doute, mais vers quel avenir ? Alors, si le QE ne rencontre pas le succès escompté, que restera-t-il de la crédibilité de la banque centrale et de ses engagements à sauver l’euro à tout prix ? Si jamais sauver l’euro à tout prix devient aux yeux des investisseurs sauver l’euro n’importe comment, ça va danser la gigue sur les marchés depuis longtemps surévalués, tout là-haut, en orbite haute. On se demande comment les boucliers thermiques des portefeuilles des investisseurs résisteront à la prochaine rentrée dans l’atmosphère.
Eh oui, la monnaie est comme l’eau : indispensable à la vie mais son excès tue aussi sûrement que son absence, jusque et y compris une banque centrale piégée par ses promesses d’ivrogne.