La tradition de liberté des Suisses est-elle en danger ?

La Suisse est-elle un refuge de la dictature de la majorité ou de la liberté individuelle ?

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La tradition de liberté des Suisses est-elle en danger ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 16 mars 2015
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Par Francis Richard

Pierre Bessard - Credits Francis Richard (tous droits réservés)
Pierre Bessard, invité des Swiss Students for Liberty, à Fribourg – Credits : Francis Richard (tous droits réservés)

 

Hier soir, les Swiss Students For Liberty, antenne helvétique des Students For Liberty, recevaient à Fribourg Pierre Bessard, directeur de l’Institut Libéral. Après un bref mot d’introduction de Frédéric Jollien, coprésident de l’association invitante, l’orateur, alternant le français et l’allemand, ce qui est une gageure, prenait la parole sur le thème : La Suisse, refuge de la dictature de la majorité ou de la liberté individuelle ?

Au préalable, Pierre Bessard dit quelques mots sur l’Institut libéral, à l’auditoire composé exclusivement de jeunes femmes et de jeunes hommes, à l’exception notable de l’auteur qui signe ce billet… L’Institut libéral a été fondé en 1979. Il a « pour mission la réflexion et la recherche des idées de liberté » et « promeut la tradition et la culture suisses de liberté individuelle, de paix, d’ouverture et de diversité politique, et contribue au développement de la tradition intellectuelle libérale ». Très prochainement l’Institut sera présent à Berne, la capitale confédérale, où il ouvrira un espace d’accueil pour étudiants, où pourront avoir lieu des conférences et qui sera doté d’une bibliothèque d’ouvrages libéraux, souvent introuvables ailleurs.

Une longue tradition de liberté

La Suisse a une longue tradition de liberté. Les racines de cette tradition remontent au XIIIe siècle. Il s’est agi à l’époque de se défendre contre la tyrannie fiscale des Habsbourg et de la  remplacer par « une communauté volontaire liée par des règles communes minimales », d’organiser une défense mutuelle contre les agresseurs externes et d’instituer une justice impartiale basée sur les droits individuels de propriété.

Plus proche de nous, au XIXe siècle, la Suisse adopte la Constitution la plus libérale du continent, avec la liberté du commerce et des échanges, la liberté de mouvement et d’établissement et la liberté religieuse. Les penseurs libéraux suisses de l’époque sont, par exemple, Charles Monnard ou Frédéric-César de La Harpe, héritiers d’Emmanuel Kant, de Germaine de Staël ou de Benjamin Constant, disciples d’Alexis de Tocqueville. La philosophie de la liberté, bien sûr, n’a pas été inventée en Suisse. Elle fait partie de l’héritage culturel de l’humanité. Lao-Tseu, philosophe chinois du VIe siècle avant JC, ne peut-il pas être considéré comme un des premiers penseurs libéraux, lui qui dénonçait déjà les « méfaits de l’interventionnisme et d’une fiscalité excessive pour l’harmonie de la société » ?

La Suisse se distinguera également au XXe siècle en accueillant sur son sol la Société du Mont-Pèlerin, fondée en 1947 par Friedrich Hayek, économiste, juriste et philosophe, prix Nobel d’économie en 1974.

Dans la pensée libérale, la liberté est la valeur fondatrice, socle de toutes les autres. L’homme est capable de raisonner, il est doté d’un libre arbitre et il est responsable de ses actes. De même les règles morales, d’inspiration gréco-romaine et judéo-chrétienne, sont-elles les mêmes pour tous.

Dans la pensée libérale, l’être humain est propriétaire de lui-même et des fruits de son travail. La liberté des échanges, basée sur le respect des droits individuels, est par conséquent le contraire de la loi de la jungle. Elle permet la division du travail qui est à la base du développement des arts et des sciences.

Quel est le but du droit ? Il est de limiter les prérogatives de la majorité. Comment ? En fragmentant  les décisions politiques aux niveaux cantonal et communal, en réduisant l’État fédéral à un rôle subsidiaire, en limitant les activités de l’État, quel que soit son niveau, par des taux maximaux d’imposition et par le frein à l’endettement.

Dans cet esprit la démocratie directe est un droit de veto qui permet de limiter la démocratie représentative. Mais elle peut être aussi nuisible que l’activisme parlementaire ou gouvernemental quand elle prend la forme d’initiatives populaires interventionnistes comme ce fut récemment le cas avec l’initiative contre les minarets ou les résidences secondaires. À ce moment-là elle conduit à la centralisation et à la réglementation.

Une extension de la politisation érodant les libertés individuelles

Au cours des dernières décennies, sous l’influence des idées socialistes, la démocratisation ou règle de la majorité, c’est-à-dire en fait la politisation, s’est étendue de plus en plus à des questions qui relèvent de l’économie de marché ou de la sphère privée, telles que les conditions de travail, l’énergie, la santé ou l’agriculture, remettant ainsi en cause les droits individuels, érodant par là-même la liberté et gonflant le périmètre d’intervention de l’État.

Cette tendance à une intervention plus grande de l’État est une illustration de la loi d’Adolf Wagner qui prédisait l’extension des tâches de l’État, qui seraient toujours plus onéreuses. Cyril Parkinson, énonçait une autre loi, s’appuyant sur une formule mathématique et expliquant que les effectifs de l’administration ne peuvent qu’augmenter chaque année de 5% quelle que soit l’évolution de la quantité de travail qu’elle a à effectuer… Le fait est que, même en Suisse, les recettes de l’État augmentent de par l’évolution de l’économie et de la population et que le jeu consiste à ne pas les laisser sans emploi(s)…

Il existe pourtant des moyens efficaces de limiter l’État, dont certains ont déjà été évoqués plus haut :

  • Les freins institutionnels, tels que le frein à l’endettement, le frein aux dépenses publiques, la baisse automatique des taux d’imposition ;
  • La limite de la part de l’État dans le PIB à 12-15%, qui, selon la courbe de Richard Rahn, correspond aux pourcentages de dépenses publiques optimales ;
  • L’endiguement de l’activisme parlementaire en réduisant le nombre des sessions comme au Texas ou au Colorado, qui n’ont lieu qu’une année sur deux ;
  • L’endiguement de l’activisme gouvernemental en réduisant le nombre de conseillers fédéraux de 7 à 5 ;
  • La décentralisation ;
  • La culture politique de la liberté.

De par les questions posées par l’auditoire, il semble bien que la Suisse soit paradoxalement terre de mission, comme bien d’autres pays occidentaux, pour ce qui est de la culture politique de la liberté. Des années d’État-providence ont bien réussi à formater les esprits d’une génération qui n’a rien connu d’autre…


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