Par Thomas Renault
Kickstarter, KissKissBankBank, MyMajorCompany, Lendosphere1… Vous avez forcément déjà entendu parler de ces plateformes de financement participatif (crowdfunding) ! Mais au fait, c’est quoi réellement le crowdfunding ? Comment cela marche ? Quels sont les motivations et les avantages pour les porteurs de projets/entrepreneurs ? Quels sont les avantages pour vous et moi à aider/donner/investir/prêter à des porteurs de projets plutôt que d’acheter tranquillement des actions de l’entreprise Monsanto ? Et quels sont les facteurs pouvant expliquer que certains projets lèvent 55 000 dollars pour une salade de pommes de terre (projet Potato Salad sur KickStarter) et pourquoi d’autres n’arrivent pas à récolter 5 euros ? Réponses avec quelques éléments de littérature académique dans le domaine.
Le crowdfunding permet à des porteurs de projets (artistes, startups, ONG…) de se financer en faisant appel à des capitaux auprès de la foule (crowd), souvent via l’intermédiaire de plateformes spécialisées. Pour les porteurs de projet, le crowdfunding est donc une alternative ou un complément aux méthodes traditionnelles de financement (banques, capital-risque, business angels…), principalement pour les petits projets (inférieurs à 100 000 euros) et les startups. Mais en plus du financement, le crowdfunding permet aux différents porteurs de projets de promouvoir leurs idées/produits et de les tester en live afin de mieux identifier les besoins de potentiels consommateurs. Enfin, pour les projets proposant une contrepartie via un produit, cela permet de discriminer les prix entre les consommateurs pré-commande et les autres consommateurs2.
Mais quelles sont justement les contreparties offertes à la foule en échange de cet argent ? Il est possible de séparer cela en quatre grandes catégories :
- la philanthropie, où l’investisseur donne de l’argent sans attendre quoi que ce soit en échange
- le prêt, où l’investisseur espère récupérer son argent après une certaine période, avec un taux d’intérêt
- le reward-based, où l’investisseur reçoit en échange un produit ou un service qui dépend du montant de sa contribution
- le financement en capital, où l’investisseur devient alors actionnaire de l’entreprise et pourra donc toucher des dividendes dans le futur
Actuellement, le modèle (3) reward-based est le plus répandu, mais des avancées récentes au niveau de la législation et de la régulation aux États-Unis (le Jumpstart Our Business Startups Act d’Obama en 2012) et en France (Ordonnance relative au financement participatif de 2014) devraient fortement participer au développement de l’equity-crowdfunding (4) et du debt-based crowdfunding (2).
Les individus choisissant de donner/placer/investir leur argent dans un projet de crowdfunding ne le font pas uniquement dans un but de maximisation du rendement (en tous cas pas toujours). En plus d’un potentiel rendement/intérêt/produit, l’investissement via le crowdfunding apporte une certaine satisfaction personnelle et/ou un prestige externe. Pour faire simple, soit cela vous apporte du bonheur directement (ou pur altruisme/envie d’un monde meilleur), soit cela vous permet de vous la raconter dans les dîners mondains : oui, je participe au financement d’un petit projet de producteurs bio au Pérou (on se rapproche alors de la littérature sur la charité et le don3).
Mais quels sont les facteurs permettant d’expliquer le succès de certains projets ? Ou bien si vous avez un projet, comment maximiser vos chances de trouver un financement via les plateformes de financement participatif ? Eh bien pour répondre à cela, une magnifique étude académique a été publiée début 2014 dans le célèbre Journal of Business Venturing : « The dynamics of crowdfunding: An exploratory study ». En analysant les données de plus 48 500 projets proposés sur la plateforme Kickstarter entre 2009 (création de la plateforme) et juillet 2012, Ethan Mollick, chercheur à l’Université de Pennsylvanie, a essayé de comprendre les variables ayant un impact sur la réussite du financement d’un projet. D’un point de vue économétrique rien de très compliqué : une variable dépendante (= ce que l’on veut expliquer) qui est égale à 1 si le projet a atteint son objectif de financement et à 0 sinon, et une liste de variables explicatives, allant de la catégorie du projet, à l’objectif en dollars de financement, en passant par le nombre d’amis Facebook du porteur de projet ou encore la présence de fautes d’orthographe dans la description du projet. Une régression logistique (car la variable dépendante est une variable binaire) et hop on regarde ce que cela donne !
Dans les choses intéressantes/surprenantes, la durée de souscription est négativement corrélée avec la probabilité de succès. Pour le dire plus simplement, un projet proposant d’investir pendant une durée de 60 jours aura, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité moindre de réussir qu’un projet limité à 10 jours. Une interprétation possible faite par l’auteur est qu’une durée étendue de souscription peut être un signe d’incertitude de la part du porteur de projet, et donc peut envoyer un signal négatif aux potentiels investisseurs. Assez logiquement, la présence de vidéo, l’absence de fautes d’orthographes et une mise à jour fréquente sont associées avec une probabilité plus forte de succès. Comme anticipé aussi, le nombre d’amis Facebook impacte positivement et significativement la probabilité de réussite du financement d’un projet : plus le porteur a d’amis FB, plus la probabilité de réussite est forte (variable FBF dans le tableau ci-dessous).
« To take an average project in the Film category, a founder with 10 Facebook friends would have a 9 % chance of succeeding, one with 100 friends would have a 20 % chance of success, and one with 1000 friends would have a 40 % chance of success. »
Conclusion
Attention tout de même, cela ne veut pas dire que si vous ajoutez 1000 nouveaux amis sur FB, alors vous allez augmenter votre probabilité de réussir votre levée de fonds. Le nombre d’amis Facebook sert principalement de proxy afin de mesurer la taille du réseau et la présence sur le web d’un porteur de projet. De plus, le R-carré de la régression reste très faible, ce qui signifie pour faire simple que l’on explique qu’une toute petite partie de la variance (ou bien pour faire encore plus simple « on n’y comprend pas grand chose dans le fond »).
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Sur le web.
- Et hop, je fais moi aussi du product placement comme dans les clips de Black M, mais pour la bonne cause en soutenant l’initiative d’une amie qui lance le premier site de crowdfunding et développement durable agréé par l’ACPR : Lendosphere donc. ↩
- Source : Crowdfunding : Tapping the Right Crowd, Belleflamme & al., 2012. ↩
- Lire par exemple The Economics of Charitable Giving: What Gives ?, Fed. ↩
l’économie sociale et solidaire est une émanation de ce système.
Dans le cadre de l’économie il faut produire et ensuite commercialiser le produit pour en tirer un bénéfice adéquat pour l’ensemble de ses membres.
Dans le cadre de la mutualisation c’est une société de gestion qui a été choisie avec une marque qui englobe son fonctionnement. Elle fonctionne dans un système centralisé et fait élire des représentants par des adhérents plus ou moins averti.
Les informations sont données par internet par des portails construits et figés. Ça serait bien de décentralisés cette pratique et de nommer des responsables (humains).
La machine tue la machine
Intéressant article introductif. Sauriez-vous s’il existe des articles académiques qui ont pu tester l’hypothèse que ce type de financement permet — ou non — un effet de levier positif pour attirer dans un second temps, une fois que le projet a bénéficié d’un tel financement, des financeurs plus traditionnels, offrant des capacités de financement plus élevées ? Merci.
Ces facteurs suffisent-ils à expliquer les 55 000 $ de la salade de pommes de terre ?