Billet d’humeur citoyenne de Fidel Taplan
Mesdames et Messieurs les députés (notamment de gauche y compris lorsqu’ils sont de droite ou du centre),
C’est avec une indicible fierté d’être Français que je prends note des derniers avatars de votre créativité législative : interdiction de fumer en voiture, interdiction du kit main libre, interdiction des mannequins anorexiques. En attendant l’interdiction de la vente de tabac aux personnes nées après 20011, la pénalisation des clients de prostituées et bien entendu, la fin du droit de vote (ce à quoi revient le vote obligatoire), tout ça me semble aller dans le sens d’une société de progrès vaillamment construite à grand renfort d’encycliques républicaines. Comme il est beau et bon que vous osiez vous démarquer de cette idée désuète qui voudrait que la loi soit l’expression de la volonté générale. Comme il est beau et bon de sentir le fouet réglementaire claquer sur les chairs du peuple de France, cette chiourme licencieuse et indisciplinée toujours prompte aux écarts de conduite (surtout quand elle téléphone au volant).
Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes donc de grands hommes (bien que je m’étonne que vous n’ayez toujours pas interdit l’usage abusif – c’est-à-dire l’usage – du masculin générique par la langue française). Qu’il me soit cependant permis, au nom de la démocratie participative, de regretter que de vieilles lunes philosophiques retiennent encore parfois l’ardeur de votre bras normatif. Puisque comme le dit Coluche en son temps, les « milieux autorisés » que vous incarnez ont l’immense privilège de pouvoir s’autoriser toutes sortes de trucs, je vous invite à réfléchir aux méfaits de la moquette (c’est plein d’acariens), du gluten, de l’huile de palme, des aérosols et des cornichons (liste non exhaustive). C’est la réglementation européenne qui s’en occupe ? Mon dieu, où avais-je la tête ? Mais alors, puisque sur terre, tout semble sous contrôle, ce sont l’Olympe de la technocratie, l’empyrée de la coercition, l’Éden de la circulaire qui s’ouvrent, béants, à votre quête d’éternité ! Citius, altius, fortius, pourquoi ne pas interdire tout bonnement la propriété privée (ce qui permettrait de réduire substantiellement les plaintes pour cambriolage) ? Et songez que l’interdiction des enfants permettrait de lutter efficacement contre la pédophilie. L’opinion n’y est pas prête ? Je compte donc sur vous pour nous concocter je ne sais quel cocktail de mali réglementaires, abattements, crédits d’impôt, dérogations, plafonds, seuils, amendes, redevances et droits à déduction (liste toujours non exhaustive) pour administrer sans douleur cette pilule socialement contraceptive.
Mais je m’égare. C’est que, voyez-vous, votre enthousiasme démiurgique est contagieux. Et l’on se prend donc à rêver d’un monde expurgé de gens trop maigres, de gens trop gros, de gens qui fument, de gens qui boivent, de gens qui flânent, de gens pressés, de gens qui mettent leurs courses dans des sacs plastiques et de gens qui préfèrent aller pêcher des poissons autorisés dans des rivières autorisées plutôt que d’aller voter pour vous, un dimanche de temps en temps.
Que rien ne vous détourne de cette réforme des corps et des âmes à laquelle votre sacerdoce électif vous lie ; continuez donc d’ériger sans relâche votre tour de Babel d’édits. J’entends d’ici cacarder les pisse-vinaigres, hérauts surannés d’une liberté décadente ou pire, d’un pragmatisme vulgaire. Oui, bien sûr, à pondre ad libitum des textes in abstracto, les droits de l’homme pourraient finir par y perdre leur latin. Naturellement, il n’est pas certain que l’inflation législative facilite la tâche de policiers parfois affairés à des choses plus urgentes sans parler de tribunaux passablement encombrés. Mais qu’est-ce que l’urgence, au fond ? Que pèsent les triviales contrariétés du peuple de France au regard des perspectives lumineuses ouvertes par votre conception évangélique de la loi ? Et puis, qu’a-t-on besoin d’assigner les forces de l’ordre à la traque des comportements socialement divergents ? Que l’on songe aux vertigineuses potentialités de la vidéosurveillance à domicile sans même parler d’hypothétiques brigades de santé et d’hygiène publiques dont il faudra bien, un jour, envisager la constitution (quand je pense que certains déplorent le niveau excessif des prélèvements obligatoires…).
Ne vous contentez pas de textes, mesdames et messieurs les députés. On ne connaît que trop l’appétence de la France éternelle pour la transgression. Allez plus loin, posez pierre après pierre les derricks d’un monde panoptique dont on sentirait le progrès sourdre gaillardement, éclaboussant la plèbe d’une tyrannie onctueuse qui préserverait la nappe phréatique de la conformité. Inventez la législation circulaire, garante d’une véritable écologie de l’esprit.
Car, mesdames et messieurs les députés, vous portez un projet magnifique : celui de la revanche des anciens sur les modernes. Si j’en crois Benjamin Constant, en effet, « le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie : c’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. » C’est donc l’air de rien ou de pas grand chose au modèle d’Athènes, de Rome ou de Sparte que vous nous invitez ? Comme tout cela est délicieusement anachronique. Un monde où « l’individu, souverain presque habituellement dans les affaires publiques, est esclave dans tous les rapports privés » ? Un monde où il n’y aurait point de salut hors l’activisme politique, lequel ravalerait notre morgue égotiste – ce que d’aucuns nomment « liberté individuelle » – au rang de gadget constitutionnel pour finir de diluer chacun d’entre nous dans le magma d’un simulacre de forum citoyen dont vous, mesdames et messieurs les députés, jailliriez auréolés d’un pouvoir titanesque, celui de légiférer sur tout et surtout n’importe quoi ? Tout cela me porte au comble de la félicité démocratique.
Bien sûr, je ne nie pas que M. Constant m’inquiète un peu lorsqu’il écrit : « les dépositaires de l’autorité (…) sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d’obéir et de payer ! Ils nous diront : « quel est au fond le but de vos efforts, le motif de vos travaux, l’objet de toutes vos espérances ? N’est-ce pas le bonheur ? Eh bien, ce bonheur, laissez-nous faire, et nous vous le donnerons ». » C’est qu’il y a là comme la définition d’une dictature et j’ai cru comprendre que cette dernière n’était pas toujours éclairée. Mais fi de scepticisme. J’imagine que ce fonds de considération que j’ai encore pour la liberté est une réminiscence de ma culture petite-bourgeoise (je ne me rappelle plus où j’ai pu lire ce genre de rhétorique mais il me semble qu’elle émane d’un précurseur de la démocratie populaire ; un saint homme, probablement). Ce que nous dit Constant, au fond, Coluche l’a exprimé en termes plus triviaux lorsqu’il déclama que « les gardiens de la paix, au lieu de nous la garder, ils feraient mieux de nous la foutre ». Comme il est navrant de penser de la sorte. Surtout, ne vous sentez pas visés. Faites comme si de rien n’était. Car c’est encore ce que vous faites de mieux.
- Ou quand la réalité dépasse la fiction. ↩
au delà de ce qui ressemble de plsu en plus a un délire des papy boomer, je me souvient d’une session des experts BFM où je ne sais plus qui a rappelé ce que l’on devrait avoir tous notés :
« TOUTES LES REFORMES OU NON REFORMES SE SONT FAITES AU BENEFICE DES PAPY BOOMERS AU DETRIMENT DES JEUNES »
la non réforme des retraites vise a faire payer les jeunes pour les vieux.
la non réforme de l’université avec DONC monté du cout des études vise a faire payer les jeunes pour leurs études.
J »aime l’idée du pret étudiant mais seulement si ca remplace les impots que vont payer les jeunes. sinon je comprend la révolte.
Le soutien à l’immobilier est fait pour donner aux papy boomers au détriment des jeunes.
La non réforme des la formation rpfessionelle, donen aux syndicats de vieux et aux CDI pour faire payer en précarité les jeunes CDD.
La non réforme de la sécu fait payer au jeunes pour les papy boomers.
individuellement les papyboomers évidemment qui aiment leurs enfants aident leurs enfants, mais n’estce pas le contraire qui devrait se passer?
je suis entre les deux… je paye , je profite, selon la loi, la non réforme. mais les jeunes ils payent toujours.
c’est une injustice de classe… de classe d’age.
Marx au placard… c’est la lutte des classes d’age.
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Merci pour cet article!
L’ironie est de bon ton, il faut nous entrainer pour les prochaines annee de dictatures.
Vous pouvez dire ce que vous voulez à ces hurluberlus, tant qu’il n’y aura pas une jeune génération assez dynamique pour leur botter les fesses, nous resterons dans le toboggan à destination de la mise en boites de conserve bien calibrées et normalisées.
La jeune génération veut devenir fonctionnaire et a le Che sur son t-shirt. On n’est pas arrivés…
bah pour être député il n’y a pas besoin de diplômes ni de connaissances encyclopédiques…quelques copains suffisent et la majorité des lois se décident à la buvette de l’assemblée nationale ou au petit café du coin de la rue..le coup de l’interdiction d’oreillette en voiture n’est pas banale , il fallait y penser et être pas mal alcoolisé pour y croire !
A un conseiller qui proposait une nouvelle réglementation Pompidou a répondu qu’il fallait arrêter d’emmerder les français; heureux temps!
Le conseiller n’était autre que… Jacques Chirac.
Qui s’est par la suite empressé d’ignorer l’ordre de Pompidou !
Quand vous n’avez qu’un marteau tous les problèmes ont la forme d’un clou.
Quand vous n’avez que le pouvoir de faire la loi, tous les problèmes ont la forme d’un « vide juridique ».
C’est le vice de la « séparation des pouvoirs » : aucun ne porte la responsabilité ni ne subit de récompense ou de sanctions de ce qui se passe, même et surtout quand il en est la cause.
La plupart (ou la totalité ?) des problèmes de ce monde n’ont pas de réponse satisfaisante, donc pas de solution ni unique ni même optimale et encore moins de réponse consensuelle au sein de la société.
Qu’à cela ne tienne : il suffit de demander à un élu, un bobo, un socialo, un écolo ou à tout politicien et il vous donnera la réponse. Il faut faire une loi !
Peu importe que la loi soit censée être le reflet d’un consensus et que celui-ci n’existe pas, que le problème ne soit pas clairement identifié ou vérifié, que la solution soit hasardeuse ou franchement néfaste. Il faut faire une loi quand même.
Ce n’est même plus vers un monde liberticide que l’on se dirige, mais vers un monde ubuesque. Les jeunes doivent quitter ce pays pour leur avenir économique, mais les autres doivent aussi le quitter pour leur santé mentale.
Très beau texte !
Très beau texte 🙂
Pas mal.
Quand il y a eu le début des lois anti-fumeurs et anti-buveurs, anti-vitesse…. On voyait déjà des députés vieillissants à qui leur docteurs leur reprochaient leur abus… nous les renvoyant sur les jeunes en miroir… Allant comme d’habitude à man,ipuler tous les chiffres pour avoir raison.
Pour avoir raison sur la sécurité routière : au début du 2ème règne de Chirac : le mort sur la route qui était celui qui mourrait dans le mois de l’accident… est devenu celui qui mourrait dans la semaine… Soustrayant des centaines de morts… malgré cela les chiffres ont la tête dur et continuent d’augmenter… Quel sera la prochaine norme, pour fausser tous les chiffres de mortalité sur la route ? Mort dans la minute de l’accident ????
Je ne sais pas si les statistiques sont intentionnellement faussées, si le nombre augmente ou diminue et à quoi on doit l’attribuer, mais j’en ai marre que l’on se foute de notre gueule et que l’on entretienne la bêtise dans la population : les chiffres mensuels sont trop faibles pour fournir un échantillon statistiquement utilisable et les données d’un mois à l’autre ne sont pas comparables à cause du nombre de weekend ou de la météo entre autres causes.
Alors 1 mois ça baisse soit-disant grâce à X et le mois suivant ça augmente soit-disant à cause de Y. La seule chose qui augmente à mon avis est la bêtise et la malhonnêteté des journalistes.