Nos lecteurs l’auront remarqué, nous sommes convaincus de l’intérêt du crowdfunding (financement participatif) pour faire évoluer le financement des entreprises en particulier et pallier les limites du système financier actuel. Nous ne sommes pas les seuls, vu le succès croissant du crowdfunding ou crowdlending en France : 152 millions d’euros tous financements participatifs confondus en 2014 contre 78 millions en 2013. Pourtant, ses développements récents en France doivent inviter à la prudence, en particulier pour les investisseurs individuels.
Tour d’horizon des 4 risques du crowdfunding aujourd’hui, pour investir en toute prudence.
Des taux de défaut élevés
Les taux de défaut du crowdfunding se révèlent pour l’heure supérieurs aux anticipations. Interrogé par Contrepoints, le patron du leader du marché Unilend, Nicolas Lesur, estimait fin 2014 à 2 % le risque de défaut sur sa plate-forme. Ce taux est déjà dépassé en un an à peine1 avec :
- deux entreprises en procédure collective (Smok-It en retard de paiement dès la première mensualité, en redressement judiciaire moins de 3 mois après le prêt et depuis passée en liquidation judiciaire, et Bio-Froid en redressement judiciaire au 10 mai 2015),
- une troisième en défaut de paiement (Shala Sarl) et en procédure de recouvrement,
- tandis qu’au moins une autre est en retard au 11 mai 2015.
Unilend annonce avoir financé 127 projets à ce jour, depuis un peu plus d’un an.
De même, Isodev, une plateforme qui a jeté l’éponge, avait en deux ans un taux de défaut de 5 % (96 sur 1917 prêts), bien supérieur aux 2 % annoncés par exemple par le leader britannique Funding Circle. (Edit : comme le signale un lecteur, Isodev n’est pas stricto sensu du financement participatif).
Un contrôle des projets à améliorer
Cela pose la question de la responsabilité des plate-formes de crowdfunding : sont-elles responsables de la sélection des projets, en particulier en cas de fraude manifeste ou de défaut quasi immédiat après l’emprunt, ou peuvent-elles complètement s’en exonérer ? Quid des demandes de financement faites en arguant d’un projet et qui se révèlent a posteriori n’être que des prêts de trésorerie d’urgence, auxquels les prêteurs n’auraient jamais souscrits en connaissance de cause ? Si la loi ne donne pas la réponse, les différents sites seront obligés de s’améliorer, faute de quoi ils perdront tout financement des investisseurs.
Les prêteurs finaux n’ont accès qu’à des informations très limitées dans le crowdlending (voir ci-dessous un exemple de compte de résultat, chez Lendopolis2 3) :
Il est dès lors extrêmement difficile pour les prêteurs de mener un contrôle rigoureux des finances de l’entreprise à laquelle ils envisagent de prêter, et plus encore de vérifier l’usage réel des fonds. Les contrats de prêt ne spécifient pas en particulier cet usage. Les informations sont plus riches dans l’equity funding (par prise de participation et non par emprunt) mais les risques plus élevés, les actionnaires passant après les prêteurs et les entreprises étant souvent plus jeunes. Ainsi de Green and Blue Veda, une entreprise qui a mené une levée de fonds sur le site SmartAngels en mai 2014 alors qu’elle était en redressement judiciaire depuis octobre 20134. Une situation critique dont les investisseurs potentiels étaient toutefois (et heureusement) informés comme nous l’a confirmé Benoît Bazzochi, président de la plateforme, qui ajoute :
« The Green & Blue Veda est la première et seule entreprise [sur SmartAngels] qui connaît des difficultés, ce qui constitue un ratio particulièrement faible au regard des statistiques nationales ».
Chez Unilend, après le signalement par des internautes que le gérant d’une SARL (Transport Opigez) qui demandait des fonds avait déjà connu un redressement judiciaire, le projet concerné a été purement et simplement supprimé du site.
Au vu de ces risques potentiels, il est important pour les plateformes de renforcer leurs contrôles ou de donner aux investisseurs de meilleurs outils de décision. Face à ce risque croissant pour l’industrie, les acteurs ont commencé à s’adapter : ainsi Prêtgo, une autre plateforme, a annoncé un partenariat avec l’Ordre des experts-comptables pour « promouvoir cette nouvelle forme de financement tout en la sécurisant : l’expert-comptable atteste, en amont, les informations financières prévisionnelles des projets proposés sur Prêtgo, et en aval, la conformité de l’utilisation des fonds levés au projet présenté ».
De son côté Unilend a déjà commencé à changer sa procédure en cas de défaut, imposant désormais une procédure collective de recouvrement à tous les créanciers au lieu de les laisser se débrouiller par eux-mêmes en cas de défaut.
Une fiscalité punitive
Nous abordions déjà ce point dans un précédent article, la fiscalité punitive du crowdfunding rend très précaire sa rentabilité pour l’investisseur individuel, malgré la réforme inaboutie menée par Fleur Pellerin en 2014 (comme nous le soulignions déjà à l’époque). Impossible pour les petits investisseurs qui perdent leur mise, quand une entreprise fait défaut, d’imputer ces pertes sur les intérêts d’emprunts des autres prêts qu’ils auraient fait. Même si le défaut leur fait faire des pertes, ils paient des impôts sur leurs revenus du crowdfunding. Un comble.
Couplé avec une fiscalité des revenus du capital qui prend déjà quasiment la moitié des intérêts perçus pour un ménage imposé à 30 % (impôt sur le revenu), ce cadre défavorable risque bien de freiner le crowdfunding, alors que la France affirme vouloir en devenir un leader.
Toutefois, selon Nicolas Lesur, on peut se montrer optimiste :
« La déductibilité des pertes des intérêts est une mesure que nous portons auprès des autorités à Financement Participatif France, de même que pour un statut fiscal spécifique : le crowdfunding a une utilité sociale, ses revenus ne devraient pas être fiscalisés comme ceux des livrets. »
(NdR : à savoir actuellement au barème progressif de l’impôt sur le revenu auquel s’ajoute les prélèvements sociaux, soient 45,5 % pour un ménage imposé à 30 % de Taux Marginal d’Imposition)
Heureusement, des améliorations à la marge ont été votées depuis la première version de cet article, mais une partie importante du problème fiscal reste présent.
Des acteurs peu pérennes
Comme tout marché en cours de structuration, les acteurs du crowdfunding sont nombreux et souvent peu durables. Pour se partager les 150 millions d’euros levés en 2014, ce sont ainsi 46 plateformes qui se sont fait concurrence, soit 3,3 millions chacune. Sur ce montant, elles ne gardent qu’une commission variant selon les plateformes et qui tourne autour des 4 %. Soit guère plus de 130 000 euros de revenu net par plateforme et par an. Un revenu très modeste encore et avec lequel peu survivront.
Cela se manifeste sans surprise dans les faillites/abandons de certaines plateformes, dont Isodev début 2015, constatant justement que le marché était trop petit, que le taux de défaut des PME a fortement augmenté et que le crowdfunding est difficilement compétitif face aux banques dans un monde de taux bas. La concentration a commencé d’ailleurs mi 2016, avec la fusion Finsquare Lendix.
Pour le prêteur qui a prêté via une plateforme en faillite, le risque est de lui aussi tout perdre. Les plateformes comme Lendix se veulent rassurantes :
« [En cas de faillite de Lendix], la continuation des remboursements est assurée par nos partenaires prélèvements (Slimpay) et Flux (Ingenico). Les prêts accordés par les clients ne sont pas perdus. »
Mais dur d’imaginer que tout serait aussi idyllique et continuerait ainsi sans accrocs ni conséquences pour le prêteur quand viendra l’orage. Méfiance donc envers ces risques du crowdfunding…
Article publié initialement le 17 août 2016.
À lire aussi :
- Baromètre 2014
- Notre dossier crowdfunding spécial sur Contrepoints
- Crowdfunding ou business angels ? Par Emploi 2017
- en nombre de défauts rapporté au total des dossiers. Le résultat peut être différent en pourcentage du capital prêté ↩
- Les prêteurs ont également accès à des informations sur le bilan ↩
- Lendopolis est juste un exemple ici, ses informations ne sont ni plus limités ni plus développées que la moyenne ↩
- et qui a été liquidée en février 2015 ↩
A partir du moment où le crowfunding se justifie vis à vis de l’Etat par son rôle social, c’est perdu d’avance. C’est signe qu’il y a un cadre convenu imposé, non pas de financeurs qui tendraient la main à leurs semblables pour les aider à réussir, mais de pécheurs qui cherchent l’expiation et l’absolution par une pénitence politiquement correcte. Les emprunteurs n’ont pas à séduire, à mettre en avant des succès futurs : ils rendent service aux prêteurs en leur fournissant une occasion de se séparer dans un « blanchiment moral » de leur argent qui ne peut être que bien mal acquis.
Tiens!
C’est amusant comme point de vue, il en est d’autres aussi :
http://tousnosprojets.bpifrance.fr/Acteurs-de-TousNosProjets.fr/Les-operateurs-partenaires/(offset)/10
« Pour soutenir l’émergence en France de la finance participative, Bpifrance rassemble sur ce site 2045 projets de 22 plateformes de don, prêt et investissement. »
http://www.contrepoints.org/2015/04/16/204729-projets-eoliens-participatifs-la-double-peine
« Les Allemands y avaient pensé avant nous, leur retour d’expérience stigmatise un placement à haut risque et bien peu transparent. »
pour info, lors du dernier contrôle budgétaire de mars dernier, le gouvernement belge vient de proposer de « promouvoir le crowdfunding »; encore rien de concret, mais l’intention est affichée désormais. à suivre;
cordialement,
philippe
je viens d’envoyer votre dossier crowdfunding au premier ministre de belgique charles michel 😉
Attention Isodev n’etait pas une plateforme de financement participatif. Elle octroyait des prets participatifs (quasi fonds propres) en se refinancant aupres d’assureurs.
Une sélection très rigoureuse des demandes de financement par la plateforme est indispensable et toutes les informations sur la santé financière doivent etre connues des Prêteurs.
Bien noté, merci du commentaire, j’ai ajouté la précision.