Par la rédaction de Contrepoints
Des tirs et des explosions ont été entendus jeudi matin à Bujumbura, la capitale du Burundi, un jour après qu’un général d’armée ait annoncé une prise de contrôle de l’appareil d’État. À l’heure actuelle, il reste impossible de déterminer quelle faction contrôle le pays.
Depuis plus de deux semaines, des centaines de personnes ont manifesté dans les rues de la capitale contre la candidature du président en exercice à un troisième mandat. Les violences entourant les manifestations ont fait au moins 20 morts ; plus de 50 000 personnes ont fui vers les pays voisins.
Ce conflit est la dernière conséquence de la sanglante guerre civile qui a commencé en 1993, quand le premier président à être élu par la majorité hutue du pays a été tué par des troupes de la minorité tutsie. Après des années d’affrontements qui ont fait 300 000 morts, le pays a adopté une nouvelle constitution en 2005 qui garantit les droits des Hutus et des Tutsis à être représentés au sein du gouvernement et proclame la limitation des mandats.
Les protestations ont réapparu le mois dernier lorsque Pierre Nkurunziza, qui a pris ses fonctions en 2005, a indiqué qu’il avait l’intention de se représenter aux élections présidentielles organisées le mois prochain. Nombreux sont ceux estimant que cela constituerait une violation de la Constitution qui interdit aux présidents plus de deux mandats de cinq ans. Les partisans du président en exercice soutiennent que son premier mandat ne doit pas être inclus dans le calcul parce qu’il n’a pas été élu directement par les électeurs en 2005.
La Guinée va-t-elle suivre un scenario à la burundaise ?
Au-delà des spécificités burundaises, cette tentative de coup d’État est le dernier exemple en date du danger que posent les pratiques autocratiques des présidents n’ayant pas la confiance de leur population au sein desquelles les tensions ethniques restent critiques.
Dans ce contexte, on ne peut qu’être alarmé lorsque le regard se porte en Guinée sur les manipulations électorales orchestrées par le président sortant Alpha Condé, en prévision des élections présidentielles prévues le 11 octobre 2015.
La Guinée : une histoire politique jalonnée de coups d’État
Largement gouvernée par une succession d’autocrates depuis son indépendance en 1958, la Guinée s’est rapidement détournée de l’ancien colon français pour tisser des liens forts avec l’Union Soviétique. Son premier président, Ahmed Sekou Toure, a lancé le pays sur la voie du socialisme révolutionnaire ; l’opposition politique fut rapidement écrasée, plusieurs dizaines de milliers de Guinéens ont disparu, ont été torturés ou exécutés pendant les 26 années de son régime autoritaire.
Suite au décès de Ahmed Sekou Toure en 1984, le pouvoir est confisqué par Lansana Conte et d’autres officiers de l’armée guinéenne.
En 2000, la Guinée accueille jusqu’à un demi-million de réfugiés fuyant les conflits en Sierra Leone et au Liberia, ce qui favorise la montée des tensions ethniques dans le pays et nourrit une série d’accusations mutuelles de tentatives de déstabilisation avec les pays voisins.
Une junte militaire s’empare du pouvoir à la mort du président Conte en décembre 2008. En 2010, suite à une période de transition et à une élection de nombreuses fois reportée et émaillée de conflits ethniques violents, le pouvoir revient à la société civile.
Un pays au cœur de l’Afrique de l’Ouest
La Guinée est apparue comme un îlot de stabilité géopolitique par rapport au Liberia, au Sierra Leone et à la Côte d’Ivoire, ses voisins immédiats, du moins jusqu’à maintenant.
La vie politique guinéenne est polarisée autour de deux douzaines d’ethnies différentes qui vivent la plus grande partie du temps en relative harmonie. Les Peuls représentent 40% de la population, devant les Malinkés et les Soussous.
La Guinée reste un pays géopolitiquement sensible dans une région où tout bouleversement politique ou conflit ethnique d’ampleur peut rapidement déborder dans les pays voisins, notamment au Mali, au Liberia, au Sierra Leone et en Côte d’Ivoire qui sortent tous de longues périodes de guerre civile.
Une crise électorale dans un contexte de grande pauvreté
Bien que la richesse minérale de son sous-sol pourrait en faire l’un des pays les plus riches du continent, la population guinéenne est l’une des plus pauvres d’Afrique de l’Ouest. La Guinée est en effet le plus grand pays exportateur de bauxite au monde et possède de prodigieuses quantités d’or, de diamant, de minerai de fer, de graphite et de manganèse mais la plus grande partie de sa population vit avec moins d’un euro par jour. La Guinée est reléguée à la dernière place du classement de l’Indice de Développement Humain.
Le président Alpha Condé a l’habitude de blâmer le virus Ebola afin d’expliquer les très mauvaises performances économiques de son pays. L’épidémie a débuté en effet au sud-est de la Guinée en décembre 2013 et s’est propagée rapidement dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, d’abord au Liberia et au Sierra Leone (1350, 3200 et 1500 décès respectivement) puis dans une moindre mesure au Nigeria, au Mali et au Sénégal (8, 6 et 0 décès).
Cette tragédie ne saurait masquer la faiblesse de l’argumentaire du président guinéen. Le niveau de pauvreté a augmenté tout au long de son mandat, et ce bien avant le déclenchement de l’épidémie, tant dans les zones urbaines que dans les zones rurales.
Ayant hérité d’une situation économique désastreuse, lui-même incapable de se prévaloir d’un succès en la matière, le président sortant, un outsider politique ayant vécu une grande partie de sa vie à Paris, en poste depuis l’élection contestée en 2010 (où il n’avait recueilli que 18% des voix au premier tour contre 44% pour son adversaire, soutenu par les Peuls), se livre à de basses manœuvres en truquant le processus électoral afin de s’assurer une réélection dans moins de six mois : reports successifs des élections locales depuis quatre ans, contrôle de la commission électorale soi-disant indépendante, refonte du calendrier électoral présidentiel, refus d’engager le débat avec les partis d’opposition, tirs à balles réelles sur des manifestants pacifiques, etc.
Contrairement aux affirmations du Président Alpha Condé, ce n’est pas l’épidémie d’Ebola qui a mis la Guinée à genoux. Bien au contraire, c’est la corruption endémique de l’État guinéen qui est l’une des causes principales de la faiblesse structurelle du système de santé du pays. C’est là à la fois l’héritage de cinq décennies de régimes autoritaires caractérisés par la violence politique et la répression, nourries d’un environnement profondément corrompu, d’agents de l’État aux comportements prédateurs et de l’absence d’un État de droit. Au-delà de ce terreau défavorable, il revient à Alpha Condé d’assumer la responsabilité des actes de corruption qui ont eu lieu sous son mandat présidentiel, chose à laquelle il s’est pour l’instant refusé.
Transparency International classe ainsi régulièrement la Guinée parmi les pays où la perception de la corruption est la plus forte (150ème sur 175 pays classés). Un exemple parmi d’autres est la récente expropriation de concessions minières en faveur de personnes proches du pouvoir ; ou le détournement d’une partie de l’aide financière internationale visant à acheter du matériel sanitaire pour combattre l’épidémie d’Ebola qui a permis d’enrichir des acheteurs intermédiaires proches du régime. C’est bien sous le mandat du président Condé que cette corruption continue de parasiter le pays, empêchant le développement économique et donc le progrès social des Guinéens.
Une discrète poudrière
La Guinée est l’exemple type d’une population souffrant d’un État parasite : une société humainement jeune (60% des 11 millions de Guinéens ont moins de 25 ans) dynamique et stable qui pourrait profiter de ressources naturelles remarquables mais qui en est empêchée par un État dirigé par une suite d’autocrates gouvernant pour le bénéfice de quelques-uns.
Au fur et à mesure que le processus menant aux élections présidentielles d’octobre 2015 voit s’accumuler les trucages, le risque d’une crise politique profonde s’accroît, attisée par le manque de progrès socio-économiques et des tensions ethniques discrètes mais bien présentes dans une région où les conflits sont impossibles à contenir1.
Par conséquent, il est important pour les sociétés civiles internationales de s’engager dès maintenant en Guinée afin de garantir des élections libres, justes et transparentes donnant des résultats crédibles acceptables pour tous les Guinéens. Un échec menacerait la paix, la stabilité et les acquis démocratiques de toute la région.
- À noter que le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, deux autres pays d’Afrique de l’Ouest, organisent leur élection présidentielle le même jour que la Guinée, le 11 octobre 2015. ↩
bonjour ,l’auteur fait bien de parler d’état parasite , le chiendent est que cet état de chose est identique dans toute l’Afrique ,je parles moi de celle où nous ne devrions plus êtres présents depuis 50 ans .
Quand à prétendre que la présence de sociétés civiles internationales va garantir quoi que ce soit d’acceptable pour les citoyens Africains : c’est une grandiose utopie !!
La société civile est le domaine de la vie sociale organisée qui est volontaire et autonome de l’État.
Expliquez-nous dans quelle mesure cette société civile n’a aucun role a jouer en Guinee. Par exemple dans la lutte contre Ebola et la promotion de l’hygiene (http://www.msf-azg.be/fr/nouvelle/ebola-lepidemie-nest-pas-encore-endiguee-des-points-cles-restent-a-resoudre), l’instruction (https://www.contrepoints.org/2014/10/10/184169-prix-nobel-de-la-paix-le-combat-de-malala-pour-lenseignement-libre), l’emploi, l’investissement, la recherche, l’observation des elections, etc.
Quel désastre.. Mais ils ont voulu l’indépendance, alors comment agir, avec des associations qui les gavent d’aides et les empêche de se développer..
J’étais au Togo, visiter des amis il y a peu et une association remettait à un chef de village un beau tracteur, quand nous sommes partis, le tracteur était encore en place et le sera à vie… En Afrique ce sont les femmes qui cultivent la terre et non les hommes..
On prefère trainer les pas avec nos compatriote que d’être scellé dans une boite de conserve avec la France…