Pas de décollage africain sans État de droit

Le continent ne peut être prospère qu’à condition d’avoir des institutions saines.

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Femme en Afrique (Crédits Dany Masson, licence Creative Commons)

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Pas de décollage africain sans État de droit

Publié le 13 juin 2015
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Par Marian Tupy.
Un article de Libre Afrique

Femme en Afrique (Crédits Dany Masson, licence Creative Commons)
Femme en Afrique (Crédits Dany Masson, licence Creative Commons)

Après avoir été qualifiée de continent perdu, l’Afrique a eu une bonne presse ces derniers temps. Certes, les revenus sont en hausse et donc le niveau de vie est en amélioration. Mais le continent peut-il avancer sur la voie de la prospérité ? D’évidence, cela dépendra en grande partie de l’évolution des institutions africaines. La croissance à long terme nécessite le bon fonctionnement de l’État de droit qui assure, de manière rapide et fiable, la sécurité des personnes et de leurs biens. Malheureusement, l’Afrique a encore un problème avec l’État de droit.

Le nouveau millénaire a été particulièrement bon pour l’Afrique. Alimentée par une progression de la liberté économique et une forte demande mondiale de ressources naturelles, l’économie africaine a connu une croissance d’environ 5% par an en moyenne. Entre 2000 et 2013, le revenu par habitant corrigé de l’inflation a progressé de 1469 $ à 2002 $, soit une croissance de 36%. Suite à cette hausse des revenus,  plusieurs autres indicateurs importants du bien-être humain se sont améliorés. Le score de l’Afrique dans l’indice de développement humain des Nations Unies est passé de 0,43 en 2000 à 0,49 en 2012. Il est cependant beaucoup trop tôt pour parler d’un véritable décollage africain, encore moins du siècle de l’Afrique. L’un des principaux problèmes de ce continent reste la faiblesse de ses institutions, qui sont à leur tour une condition sine qua non pour une croissance robuste à long terme, et une hausse soutenue du niveau de vie.

Les recherches universitaires montrent que les pays ayant des institutions faibles sont capables de réaliser une croissance rapide mais ne peuvent pas maintenir cette croissance de manière soutenue à long terme. En d’autres termes, les périodes occasionnelles de forte croissance sont généralement suivies par d’autres périodes de stagnation économique, ou pire, de périodes de récession. Les pays avec des institutions solides, au contraire, sont beaucoup plus susceptibles de maintenir des taux de croissance élevés au cours de périodes plus longues. C’est l’existence d’une économie relativement libre qui constitue la clé de la réussite du Botswana où, entre 1960 et 2013, le revenu par habitant a augmenté de 1 751%. En Afrique, il n’a augmenté que de 150%.

Le problème est que l’État de droit en Afrique s’est dégradé au cours des dernières années. Ces forts taux de croissance n’ont pas empêché son érosion, accompagnée d’une aggravation de la corruption.

Prenez l’Afrique du Sud, qui possède la plus sophistiquée et la deuxième plus grande économie du continent. Le président Jacob Zuma a fait face à 783 chefs d’accusation de corruption liés à un contrat d’armement. Ses conseillers financier et intermédiaire sont allés en prison. Zuma a cependant été disculpé de toutes les accusations de corruption seulement trois jours avant qu’il soit de nouveau intronisé Président. Depuis lors, de nouvelles allégations de corruption ont proliféré. La plus flagrante est sûrement celle liée aux dépenses faramineuses, aux frais des contribuables, de l’aménagement de sa résidence privée. Zuma aura t-il un jour à répondre de ses actes ? Probablement pas, car l’une de ses premières décisions, une fois en fonction, a été de supprimer les « Scorpions », l’agence de lutte contre la corruption de l’Afrique du Sud.

On peut prendre aussi le cas de la Zambie, que le magazine The Economist a qualifié de l’un des «meilleurs élèves» de l’Afrique au cours de la dernière décennie. En 2012, Rajan Mahtani, un homme d’affaires politiquement connecté, aurait utilisé de faux certificats d’actionnariat afin de prendre le contrôle du Zambèze Portland Cement Company, d’une valeur de 160 millions de dollars, au détriment d’investisseurs italiens, qui ont ensuite été étrangement déportés de Zambie pour « une menace à la sécurité nationale ». Les propriétaires d’entreprises Antonio et Manuela Ventriglia sont finalement parvenus à reprendre le contrôle de l’usine, après une grande décision de justice. Antonio Ventriglia s’est exprimé en ces termes : « Pendant des années, nous avons subi des pertes de plus de 100 millions de dollars en raison de la corruption mais maintenant, heureusement, il semble que l’État de droit soit de retour. Je plains les petits hommes d’affaires qui ont fait face à l’intimidation et le vol sans avoir recours à une justice rapide et efficace ».

La connivence entre les hommes d’affaires et politiciens corrompus d’une part, et la faiblesse de l’État de droit, d’autre part, posent de sérieux défis à l’avenir de l’Afrique. Il est difficile d’envisager le développement des entreprises productives et la croissance en taille et sophistication de l’économie africaine en l’absence de règles claires, prévisibles et applicables.

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  • Excellent article qui pose LE problème actuel de l’Afrique. Le népotisme et la corruption, largement encouragés par la Chine vont torpiller la croissance du continent où, déjà, des problèmes énormes de pollution et d’accès à l’énergie apparaissent, comme au Ghana par exemple.

    • « (…) LE problème actuel de l’Afrique » –

      Actuel, vraiment?

      On pourrait conseiller la lecture des pages 247 à 260 dans l’édition 10/18 (1965) de « La raison dans l’Histoire » de G. W. F. Hegel. Je cite au hasard: « (…) ce qui caractérise en effet les nègres, c’est précisément que leur conscience n’est pas parvenue à la contemplation d’une quelconque objectivité solide, comme par exemple Dieu, la loi, à laquelle puisse adhérer la volonté de l’homme, et par laquelle il puisse parvenir à l’intuition de sa propre essence. Dans son unité indifférenciée et concentrée, l’Africain n’en est pas encore arrivé à la distinction entre lui, individu singulier, et son universalité essentielle (…) Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour le comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu spirituel ni à une loi morale; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de tout ce qui s’appelle sentiment, si nous voulons saisir sa nature (…) La dévalorisation de l’homme est poussée jusqu’à un point incroyable (…) Une telle dévalorisation de l’homme explique que l’esclavage soit, en Afrique, le rapport de base du droit » etcaetera

      Je sais bien qu’on a suffisamment reproché à Hegel de n’avoir pas, contrairement à son contemporain A. von Chamisso, quitté sa « Gelehrtenstube » (litt.: « chambre d’érudit »), mais ce n’est pas ce qu’il aurait pu voir sur le terrain qui aurait beaucoup changé ses vues – – – que K. Papoiannu, dans la préface, caractérise très bien en écrivant « (…) nul pessimiste n’a brossé un tableau aussi lugubre de l’histoire que celui que nous offre Hegel »

      …et vraiment, qui oserait encore, après les guerres mondiales, les KZ, le goulag, les ‘killing fields’ et j’en passe

      (et là je songe p.ex. aux petites, oh combien petites bisbrouilles de la « politique » française actuelle, intérieure comme extérieure),

      soutenir que d’une façon générale et vu la teneur philosophique de son ouvrage, Hegel avait tort?

      PS: ne pas reprocher à Hegel l’emploi de termes qui à son époque et jusqu’à récemment, furent tout à fait corrects; ainsi j’ai appris à l’école, vers 1950, la chanson « Zehn kleine Negerlein (dix petits nègres) » …ceci dit, je me demande bien ce qu’ils chantent en Allemagne à l’heure actuelle: « Zehn kleine Schwarzelein » peut-être?

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