La Tunisie face à la menace terroriste

La menace terroriste souligne le besoin en Tunisie d’un État qui remplisse ses fonctions régaliennes

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Drapeau Tunisie (Crédits Gwenael Piaser, licence CC-BY-SA 2.0), via Flickr.

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La Tunisie face à la menace terroriste

Publié le 5 juillet 2015
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Par Malik Ayari.
Article paru sur Nawaat, sous licence CC-BY-NC-SA 3.0.

Drapeau Tunisie (Crédits Gwenael Piaser, licence CC-BY-SA 2.0), via Flickr.
Drapeau Tunisie (Crédits Gwenael Piaser, licence CC-BY-SA 2.0), via Flickr.

 

L’armée des invisibles est horizontale, sans hiérarchie, et se propage de façon omnidirectionnelle. Auto-radicalisés à domicile, ou radicalisés à distance depuis la Syrie ou l’Irak, ces individus ciblent désormais l’ennemi proche, « le tyran » (Taghout en Arabe).

La Tunisie, jadis ménagée par les jihadistes comme terre de prédication (ardh el Daawa), s’achemine vers le statut peu envié de domaine de la guerre (dar el harb) à la faveur de la folie meurtrière de daech.

« Nous sommes désormais à la troisième génération du jihad où à la verticalité d’Al Qaida, (Ben Laden payait les billets d’avion, l’entrainement au pilotage, et sélectionnait les équipes), Daech oppose l’horizontalité, une stratégie analogue à celle du rhizome révolutionnaire théorisée par Deleuze », analysait Gilles Kepel.

Abou moussa Al souri, l’homme qui avait opérationnalisé ce nouveau jihad, l’avait bien compris, et c’est cette dynamique qu’il a cherché à promouvoir en réaction au 11 septembre d’Oussama Ben Laden avec qui il était en désaccord sur la stratégie à adopter : l’Amérique disait-il, ennemi lointain, était encore trop forte, trop puissante pour pouvoir s’y attaquer frontalement.

Avec ses immigrés marginalisés et les régimes « impies » d’Afrique du Nord, véritables ventres mous, l’Europe présentait beaucoup plus d’attraits en tant que cible, du fait de sa proximité.

La Tunisie naviguant douloureusement sur la voie de la transition constitue désormais la quintessence même de ces cibles : frapper l’ennemi proche et l’ennemi lointain, en même temps. La Tunisie constitue la base arrière rêvée au Maghreb, notamment pour l’EI en Libye, à l’image de la Turquie pour l’EI en Irak et en Syrie. La menace est lourde.

Pour se défendre, la tentation est grande pour la Tunisie de compter, légitimement, sur l’aide extérieure en continuant à capitaliser sur l’image de plus en plus élimée de bon élève du désormais labélisé printemps arabe.

L’attentat de Sousse est un indicateur de montée en puissance de la stratégie jihadiste visant justement à couper les capacités d’interaction de la Tunisie avec l’extérieur, comme le soulignait Alain Chouet, ancien directeur de la DGSE, à propos de l’attentat du Bardo, qui constituait disait-il « le prolongement de la stratégie d’ennahdha » (mais ce n’est pas le propos ici).

Le pays se retrouve très affaibli par cette épreuve, mais non dénué de ressources. Limiter la menace est encore possible, pourvu d’accepter la complexité et le caractère multiforme que requiert la riposte.

Un diagnostic, si possible partagé, est le préalable à tout protocole thérapeutique. Il a pourtant constitué le parent pauvre de la transition démocratique en Tunisie, la classe politique faisant preuve de peu d’empressement dans le traitement de la question du terrorisme.

L’Assemblée nationale constituante, véritable foire d’empoigne, n’a pas voulu créer la profondeur de champ nécessaire à un débat apaisé sur le risque jihadiste. Déni et manœuvres politiciennes ont ainsi présidé au processus, privant la société tunisienne des repères nécessaires à la prévention contre ce cancer, dont les métastases menacent aujourd’hui l’ensemble du corps social.

Le courage politique est une denrée rare en ce moment en Tunisie : parmi les mesures plus au moins concrètes annoncées par Habib Essid, figure ainsi une conférence sur le terrorisme, après plus quatre années de « daechisation » rampante. Un terrible gâchis.

Le constat actuel interpelle ainsi par son caractère complexe et multiple.

 

Le brasier libyen

Trafic transfrontalier et affaiblissement de l’État

Dans son rapport de novembre 2013 « Jihadisme et contrebande », Michael Ayari de International Crisis Group avait écrit que « les cartels frontaliers s’étaient réorganisés à la faveur de l’affaiblissement de l’État Tunisien et de la guerre en Libye », ce qui a entraîné un redéploiement des cartels de contrebande et des affairistes aux frontières, et l’affaiblissement de l’État et de son aptitude à préserver l’économie et la sécurité.

La Tunisie se retrouve ainsi prise en étau sur son flanc ouest (AQMI) et est (EI), entrant dans un cercle vicieux où la porosité accrue des frontières a ouvert la voie à un trafic plus dangereux, une corruption accrue des corps habillés, et une convergence d’intérêt toxique entre trafiquants et jihadistes (à l’image de la convergence entre ces deux groupes au Sahel).

Cette tension exercée en continu sur les forces armées use leur capacité de riposte.

Enfin, la fragmentation croissante des centres de pouvoir et des milices en Libye empêche l’émergence d’un interlocuteur crédible, et accule la Tunisie à s’accommoder de petits marchandages avec un voisin de palier trouble, Fajr Libya, tout en provoquant la colère du gouvernement de Tobrouk.

Certes, l’impression légitime que les armes en provenance de Libye submergent la Tunisie doit être soumise à l’épreuve des faits, mais quelle que soit l’échelle réelle ou supposée, cette menace ne doit pas être sous-estimée, une seule kalachnikov suffisant à commettre le plus grand attentat depuis l’indépendance, comme l’a illustré douloureusement l’attentat de Sousse. La menace n’a jamais été aussi asymétrique.

Les risques de la fragmentation du paysage militaro-politique en Libye

La fragmentation de la Libye constitue la plus grande menace stratégique. Le risque existe que Daech exerce durablement une attraction sur d’autres groupes islamistes, des criminels, d’anciens fidèles de Kadhafi ou des membres de tribus qui ont perdu leur influence après 2011.

Est-il besoin de le rappeler Ezzat Ibrahim, surnommé le diable rouge, fidèle lieutenant de Saddam Hussein, est l’un des fondateurs de Daech qui a émergé à la faveur de la rébellion sunnite menée contre les américains par al Qaida, après l’invasion de l’Irak.

La Libye est aujourd’hui divisée entre un pouvoir qui se présente comme modéré à Tobrouk, mais que ses adversaires présentent comme kaddafiste, et un pouvoir issu de la révolution à Tripoli, que ses adversaires présentent comme dangereusement islamiste.

Cela est beaucoup plus complexe, car les réalités tribales se superposent à cette lecture, par un jeu d’alliances croisées, idéologiques ou obéissant à une simple logique de prédation pour le contrôle du territoire et des ressources.

La Tunisie subit cette détérioration en essayant de suivre maladroitement la multiplication des centres de gravité du pouvoir en Libye, tout en étant incapable de maitriser ses réseaux affairistes qui utilisent aussi la Libye comme base arrière pour consolider leurs intérêts et leur capacité de nuisance en Tunisie…

Mais ce n’est pas en bombardant qu’on arrête cette évolution, bien au contraire. Les négociations conduites sous l’égide de l’ONU mettent du temps à aboutir, mais elles restent la meilleure chance de paix.

Jean Marie Guehenno souligne cette nécessité :

« Préserver ce qui reste de l’unité de la Libye, une banque centrale indépendante et une gestion autonome de la ressource pétrolière est un impératif. L’alternative est catastrophique : une guerre qui aura tous les moyens financiers de durer parce que chaque camp captera une partie de la rente ».

C’est cette prédation qui permet aujourd’hui à ces groupes d’offrir autant de sanctuaires pour « nos » terroristes qui y prolifèrent, s’y arment et s’y entraînent. Seifeddine Rezgui s’est entraîné à Sabratha, à l’Ouest de Tripoli.

Gérer cette situation requiert de la Tunisie clairvoyance diplomatique, fermeté sur ses frontières, retenue et dialogue politique structuré. Seul un État résilient sera à même d’amortir ses tensions, et c’est cette résilience qui semble endommagée aujourd’hui, faute d’une classe politique à la hauteur des enjeux.

 

Le volontarisme aux abonnés absents

Impasse politique

Sauf coup de théâtre, union sacrée, ou pression internationale irrésistible, la configuration actuelle de l’assemblée et l’alliance contre nature entre Nida et Ennahdha, offrent peu de probabilités de voir nommer un ministre de l’Intérieur ayant une stature de « super-flic », pour des raisons d’agenda politique divergent.

Le choix se portera, si choix il y a, sur le plus petit dénominateur commun, ce qui ne peut mener à aucune stratégie volontariste faute d’être fortement incarnée. Cette inertie est intenable en pareille période.

Une politique de sécurité publique défaillante

Si la Tunisie peut s’enorgueillir d’avoir des forces spéciales de niveau international, (BAT /BNIR et USGN /UGN), il n’en demeure pas moins que celles-ci subissent actuellement une tension continue, affaiblissant leur capacité de réponse, qui doit demeurer ponctuelle, ciblée et forte.

Ces unités ont trop servi de variable d’ajustement, palliant la carence générale constatée au sein de l’institution sécuritaire qui accumule les défaillances, du fait d’une chaîne de commandement maintenue en dépit du bon sens (suppression du poste de directeur de la sûreté nationale en mars 2015).

En témoignent les dysfonctionnements constatés lors de l’intervention des forces de l’ordre à Sousse (intervention tardive de la BNIR, chaîne de commandement défaillante, dispositifs de sécurité insuffisants autour de beaucoup d’infrastructures stratégiques).

L’Histoire est un éternel recommencement dit-on, 28 ans après les attentats de Sousse et Monastir commis par le MTI qui a fait 13 victimes en 1987, fin 2013, toujours à Sousse, un jeune homme fait exploser sa ceinture sur la plage d’un hôtel. La charge, de faible puissance, n’a même pas fait vaciller les solides parasols tressés.

Le 26 juin 2015, 39 touristes trouvent la mort, lâchement assassinés sur nos plages. Comment expliquer, dans un pays dont le secteur touristique représente 7 % du PIB, que les cadres du ministère de l’Intérieur, comptant parmi eux des cadres de très haut niveau, n’aient pas pu ni anticiper ni identifier cette menace pourtant historiquement documentée et appartenant au passé récent. D’aucuns parleraient d’inertie, voire de négligence caractérisée.

Le mal qui semble ronger l’institution sécuritaire est sans doute cette incapacité chronique à tirer les enseignements des alertes et des drames passés (Ambassade des États-Unis et attentat du Bardo).

Un terroriste privilégiera toujours le meilleurs ratio coût-efficacité : il est plus intéressant de frapper un hôtel où résident des étrangers, un restaurant touristique ou une école étrangère plutôt que de s’attaquer à des ambassades qui sont nombreuses aujourd’hui à avoir anticipé la menace par l’adoption de mesures de sécurité draconiennes : barricades, zones de dégagement, caméras, road blocks et barrières anti-béliers, constituant autant de cibles moins rentables en termes d’impact. Les forces spéciales ne peuvent prendre en charge la sécurité publique, c’est à une police, formée, équipée, renseignée et surtout correctement déployée, qu’incomberait cette tâche qui s’inscrit dans le temps long.

Il va sans dire que cette réforme de la police (et du secteur de la sécurité dans son ensemble), que tous les partenaires de la Tunisie appellent de leurs vœux, inclut aussi le caractère républicain et démocratique de la sécurité et du maintien de l’ordre : les arrestations arbitraires, les dépassements de certaines polices municipales corrompues, sont autant de fertilisants du terreau de la radicalisation, par la frustration qu’elle engendre.

Les partenaires étrangers ont offert leur assistance à la Tunisie : promesses plus ou moins tenues de livraison d’équipements, quelquefois sous forme de dons, souvent contre espèces sonnantes et trébuchantes (hélicoptères français caracals) ou à prix plus ou moins préférentiels (blackhawks américains).

Équipements tactiques, gilets pare-balles, systèmes de vision nocturne, uniformes et autres véhicules d’intervention ne sont d’aucune utilité sans une organisation robuste, une chaîne de commandement restaurée et des ressources humaines à niveau.

Comme le dit l’adage « aide-toi et le ciel t’aidera », une police entamant un réel processus de réforme captera plus et mieux l’expertise des partenaires internationaux.

La chasse archaïque et anti-liberté menée par des policiers zélotes pendant le ramadan, ne vont pas dans ce sens et donnent l’image absurde d’une police occupée à harceler les non jeûneurs au lieu de parer à la menace terroriste : un désastre en terme d’image et un aveu criant d’incapacité à prioriser.

 

Réforme du champ religieux

L’islam en Tunisie est d’obédience malékite, et la Tunisie un haut lieu du soufisme. Ces temps troubles ont tendance à le faire oublier.

Apparu très tôt dans l’islam, il cherchait à travers l’intériorisation et la contemplation à arriver à la sagesse divine et à l’amour de Dieu. Courant ésotérique initiatique, il professe une foi affirmant que toute réalité comporte un aspect extérieur apparent (exotérique ou dhahir en arabe) et un aspect intérieur (ésotérique ou batin en arabe). Le soufisme s’est répandu en Afrique par l’une des principales confréries d’importance fondée par Abou el Hassan Ali ben Abdallah Chadhili (né en Tunisie Ghoumara en 1196) constituant ainsi avec la Tijania et la Qadirya, un vecteur majeur de la diffusion de l’islam soufi en Afrique.

Cet islam paisible et lumineux, certes opposé au nihilisme de l’EI, a pourtant été en première ligne par le passé contre les agressions extérieures au Maghreb : au XVe siècle, au Maroc, où l’État mérinide était déficient, les grandes zaouïas qui ont organisé la résistance à l’envahisseur portugais. Quatre siècles plus tard, en Algérie, l’émir Abdelkader, de la Qadiriya, s’opposait aux colons français. Et la confrérie de la Sanoussiya était en première ligne en Libye contre les Italiens.

Malgré les difficultés, l’islam confrérique constitue encore un anticorps puissant contre le poison wahhabite, pour peu que les pays concernés en saisissent l’importance dans leur réponse non sécuritaire à la montée djihadiste : acteur important du malékisme et du soufisme en Afrique, le Maroc connait sur le plan régional un certain succès politico-religieux que la Tunisie gagnerait à consolider en y apportant sa propre dimension religieuse. La mise en place de schémas de sortie de radicalisation requiert une réponse culturelle et religieuse régionale, qui doit puiser dans son propre substrat, notamment dans l’enseignement islamique dit originel. Bourguiba, et c’est peut-être sa seule erreur, trop préoccupé à injecter le vaccin de la modernité, a trop endommagé les anticorps zitouniens, laissant la Tunisie à Ben Ali sous forte dose d’antibiotiques, qui ont endommagé la capacité de défense de l’organisme face aux germes exogènes du wahhabisme.

Le ministère des Affaires religieuses devrait aussi être celui de l’enseignement originel pour souligner la dimension enseignement, et investir l’intelligence spirituelle du taleb (étudiant en religion).

Parmi les offensives non sécuritaires contre la radicalisation, l’offensive culturelle et religieuse du Maroc a pour vecteur essentiel l’islam confrérique soufi commun à des pays comme l’Algérie, la Tunisie, mais aussi d’autres pays africains comme le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan, le Mali, le Tchad et la Libye. Nous pouvons débattre des limites ou de la forme de cette démarche, mais force est de constater qu’elle cherche à opposer à l’arc jihadiste, un arc islamique soufi, offrant une autre alternative religieuse ancrée dans le substrat culturel et religieux commun. Le Maroc a compris l’intérêt d’activer ces réseaux religieux transnationaux, pour contrer la toxicité du wahhâbisme.

La Tunisie devrait se joindre à cette dynamique, et apporter sa contribution à une riposte islamique soufie. Elle en a la légitimité religieuse, la stature et les ressources. Cette initiative sera le pendant culturel et religieux de la riposte sécuritaire, elle implique de restaurer le maillage du tissu socioreligieux (un village/un marabout), dont la capillarité peut contrer celle rampante du wahhabisme.

Le ciblage des zaouias (mausolées) en 2013 par les extrémistes en Tunisie, révèle parfaitement l’aversion des jihadistes pour cet aspect déterminant de la culture religieuse maghrébine et d’Afrique de l’Ouest (destruction des mausolées de Tombouctou). Leur haine de cette culture illustre la pertinence de mener la confrontation cultuelle sur ce front, car l’islam soufi porte en lui la dimension spirituelle qui manque tant au wahhabisme et dont il est l’antithèse. La « daechisation » des esprits est un appauvrissement spirituel et moral qui mine la société, en réduit la capacité de résilience, et la rend vulnérable aux fascismes de tous bords. Ce n’est peut-être pas un hasard si les jihadistes de daech affectionnent tant la décapitation : l’idée même de se servir de son cerveau leur est complètement étrangère.

Coopération militaire avec l’Algérie, coopération culturelle et religieuse avec le Maroc sont parmi les multiples axes d’une stratégie régionale renouvelée de lutte contre le jihadisme.

Le gouvernement tunisien ne fait preuve d’aucune proactivité dans ce domaine en laissant filer le nombre de mosquées échappant au contrôle de l’État. La comptabilité absurde instaurée depuis quelques temps est un non-sens où l’on oscille de façon obscure entre une et cent mosquées hors de contrôle. Est-ce qu’un État qui ne peut même plus assurer la salubrité publique en ramassant les poubelles ni contrôler ses mosquées peut gagner la guerre contre le terrorisme ?

La Constitution confère à l’État le rôle de protecteur du sacré comme le dispose l’article 6. La paralysie du pouvoir face à la multiplication d’imams autoproclamés appelant au meurtre, illustre sa défaillance dans ce rôle. Défaillance catastrophique, car elle constitue un formidable appel d’air et un terreau fertile à la radicalisation. Les terroristes sont rarement des adeptes des centres culturels, et tous ces jeunes fréquentant les mosquées hors contrôles constituent une clientèle captive, offerte en pâture à l’enrôlement jihadiste.

Le contrôle de la nomination des imams et des lieux de culte constitue un devoir constitutionnel de l’État ; cette disposition rappelons-le, avait fait l’objet d’âpres débats entre les partis politiques à l’Assemblée nationale constituante. Il s’agit maintenant d’invoquer cette disposition de façon positive pour obliger l’État à remplir son rôle de protection.

Contrer les takfiristes, pour qui le contrôle des mosquées constitue une pratique de l’ancien régime, suppose que le gouvernement fasse preuve de fermeté mais aussi de discernement : faut-il interdire le parti salafiste Hizb Ettahrir ? Peut-il après tout être en mesure de canaliser une certaine jeunesse qui se situe en marge ? Le souhaite-t-il ? Le peut-il ? Ce parti est-il à mettre sur le même plan que la katiba oqba ibn nefaa ou ansar el charia ? Où sont donc toutes ces lignes de démarcation ? Les quatre dernières années ont constitué autant d’occasions manquées de fixer les cadres dont a besoin la loi pour s’appliquer avec force et discernement.

Un débat national, fusse-t-il tardif, est impératif. Il devrait permettre d’établir des critères clairs, et les inscrire dans une loi qui respecte la constitution, permettant à l’État de protéger sa population. Néanmoins, il se devra cette fois-ci de garantir l’expression d’un champ démocratique inclusif et pluraliste, dont la viabilité se mesurera à sa capacité à gérer ses extrêmes dans le cadre de la loi.

L’état du pays n’autorise plus aucune tergiversation. Si la société civile continue à se maintenir et à conquérir de l’espace malgré les lignes de fractures qui la traversent, le grand absent se révèle être l’État, et il est nu.

« Si l’État est fort il nous écrase, s’il est faible nous périssons » disait Paul Valéry : en ces temps troubles, la Tunisie n’a jamais eu autant besoin d’un État.

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