L’ère du peer-to-peer arrive. Elle apporte avec elle la remise en question du salariat et plus généralement des systèmes de production traditionnels au profit de la généralisation de l’entrepreneuriat. Aucun secteur n’échappera à cette logique. Finance, énergie, innovation, éducation, assurance… la décentralisation sera la norme. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela ne plaît pas à tout le monde. Cette perspective est bien évidemment honnie des corporations qui voient leurs monopoles et autres privilèges gouvernementaux s’effriter. Elle est également détestée par la bureaucratie pour une raison toute simple. Celle-ci a institutionnalisé sa domination via la notion d’État-providence qui, depuis le XIXe siècle, tire justement sa puissance du travail salarié. Pour continuer à satisfaire ses objectifs politiques et clientélistes, la bureaucratie doit impérativement discréditer le travail indépendant, l’ouverture et la décentralisation des marchés avec le concours des corporations avec lesquelles elle partage des intérêts communs.
Que la droite s’oppose à l’ouverture des marchés et craigne le peer-to-peer est bien normal. Elle n’a jamais vraiment nié son penchant conservateur pour l’autorité et les hiérarchies issues de l’ordre établi. Que la gauche se fasse l’ennemie de la concurrence et de l’érosion du salariat est en revanche plus surprenant. Ce discours ne va pas dans le sens des airs émancipateurs et libertaires qu’elle aime s’attribuer. La gauche prétend en effet être la clef de voûte des luttes contre les rapports de domination en tout genre. Mais la haine qu’elle exprime vis-à -vis des nouvelles formes de travail qui se profilent à l’horizon ne fait que révéler son imposture vis-à -vis de la question sociale. Car derrière sa rhétorique pro-salariat se cache une obsession du pouvoir. Pour dissimuler sa volonté de contrôler les populations, sa stratégie politique se fonde désormais sur la requalification des rapports sociaux entre les travailleurs dits indépendants et les personnes avec lesquelles ils sont en contact. Il s’agit en d’autres termes d’imposer le statut de salarié au nom de la protection des travailleurs et des « droits sociaux » qu’ils méritent, quitte à aller à l’encontre de la volonté des principaux intéressés.
Réfuter la condition d’entrepreneur pour contrôler les travailleurs
Les corporations et la bureaucratie se fondent sur un sophisme commun pour nier la condition d’entrepreneur. Ils font remarquer l’existence de liens de dépendance pour tenter de requalifier les rapports sociaux afin d’imposer le statut juridique de salarié. Ces arguments sont par exemple employés à l’encontre du covoiturage urbain à but lucratif. Étrangement, on se désintéresse totalement du lien de dépendance lorsque le conducteur ne gagne pas d’argent (ex. blablacar). Pour reprendre un autre exemple, c’est également l’argument des auto-écoles contre la start-up Ornikar. Dans ces cas de figure, parce que les travailleurs dépendent d’une plateforme numérique les mettant en relation avec leurs cocontractants, ils devraient être considérés comme des salariés comme les autres. Leur refuser ce statut, ô combien généreux, reviendrait à s’adonner à du dumping social en précarisant les travailleurs dépourvus de droits sociaux. Tel est le discours officiel.
Il est vrai que la notion de travailleur indépendant est un abus de langage. L’indépendance absolue n’a jamais existé. La société apparaît justement parce que les individus ne se suffisent pas à eux-mêmes. Elle est donc par essence constituée de réseaux complexes de liens de dépendance. Cela concerne le travailleur soumis aux directives d’un patron, l’entrepreneur sous-traitant ou encore l’entreprise soumise aux désirs plus ou moins rationnels des consommateurs. Pourtant, dans tous ces cas, la bureaucratie n’a aucune légitimité à interférer dans ces échanges en imposant un statut juridique contre la volonté des individus concernés pour régenter des comportements fondamentalement pacifiques. En fait, le droit du travail a surtout un objectif politique. On y reviendra ultérieurement. Pour revenir aux liens de dépendances, ceux-ci ne délégitiment pas la volonté des principaux intéressés de former des associations pour bénéficier de rapports de force contractuels plus favorables (syndicat de travailleurs, coopérative de producteurs, coopérative de consommateurs etc.).
Cela ne délégitime pas non plus la volonté des travailleurs de se protéger des aléas de la vie en ayant recours à des mécanismes de protection sociale, qu’ils prennent la forme d’une assurance ou qu’ils s’inscrivent dans une perspective solidaire et non commerciale. Contrairement aux prétentions des politiciens, nul besoin des bureaucrates pour cela. La protection sociale est un phénomène antérieur au gouvernementalisme. Ces prétentions sont d’autant plus trompeuses que les soi-disant droits sociaux susmentionnés destinés aux salariés n’existent pas. Toutes les cotisations sociales et patronales, ainsi que les droits-créances tels que les congés payés que la bureaucratie prétend mettre en place au profit du travailleur sont en réalité financés en amputant la rémunération de ce dernier en amont, c’est-à -dire à la source, sans qu’il le sache. Ces dispositifs s’ajoutent au droit fiscal classique puisque les cotisations sociales ne sont pas des impôts d’un point de vue strictement juridique bien qu’elles restent des prélèvements obligatoires. L’artifice comptable qui permet de faire passer les cotisations sociales pour des cotisations patronales a très bien été décrit à de nombreuses reprises. Il découle de ce constat que le statut de salarié n’a jamais été mis en place pour satisfaire des considérations de justice.
Historiquement, ce statut et les « droits sociaux » qui en découlent sont liés à la mise en place des mécanismes bureaucratiques de prévoyance élaborés dans l’Allemagne de Bismarck au XIXe siècle pour substituer l’appareil d’État aux solidarités ouvrières spontanées. L’objectif des bureaucrates était de susciter chez la classe prolétarienne un fort sentiment de dépendance à l’égard du pouvoir politique afin de neutraliser ses volontés révolutionnaires. Le droit du travail n’est donc qu’un artifice politique destiné à dissimuler le fait que l’État est la principale source des rapports de domination économique. Tout ceci est assez flagrant lorsque l’on prend le temps d’étudier minutieusement le fonctionnement de l’assurance maladie française, présentée à tort comme le coeur de la solidarité nationale. On constate que les cotisations ne servent en réalité qu’à financer un vaste système de rentes de situation qui profite avant toute chose aux corporations pharmaceutico-médicales et non aux patients. La bureaucratie prétend protéger les individus des aléas de la vie. La réalité tient à ce qu’elle ne fait que jouer avec la vie des individus. Mais tout ceci semble fonctionner à merveille. La bureaucratie réussit à se rendre indispensable aux yeux des populations alors qu’elle est, encore une fois, la principale source des rapports de domination économiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son territoire. Mais combien de temps cette mascarade va-t-elle durer ?
Comme un parfum de lutte des classes…
Résumons. Les statuts légaux préétablis qui conditionnent l’accès au marché de l’emploi ont donc une triple finalité. Tout d’abord finalité fiscale au sens large (impôts et cotisations sociales). Il est beaucoup plus facile pour la bureaucratie de prendre par la force la moitié du labeur d’un professionnel dont le statut est encadré par l’administration que de régenter des échanges entre simples particuliers. Ensuite une finalité politique. Ces statuts légaux préétablis s’inscrivent dans un vaste système bureaucratique et monopolistique de protection sociale destiné à entretenir chez ceux qui en « bénéficient » un fort sentiment de dépendance à l’égard de l’appareil d’État. Enfin une finalité plus corporatiste. Les statuts légaux préétablis permettent la plupart du temps de violer la libre-entreprise en restreignant l’accès au marché de l’emploi pour garantir des monopoles et autres rentes de situation à certaines catégories de la population. Il est assez intéressant de relever une certaine contradiction. La machine gouvernementale cherche d’un côté à prélever le plus possible pour satisfaire ses objectifs mais les barrières corporatistes qu’elle met en place tendent à affaiblir l’activité économique tout en encourageant le travail non déclaré, ce qui compromet ses recettes fiscales.
Il découle de ces considérations que tous ceux qui cherchent à censurer les nouvelles formes de travail non salarié au nom des acquis sociaux sont des imposteurs qui refusent l’émancipation du social vis-à -vis de la tutelle gouvernementale. Il s’agit généralement d’apparatchiks qui ne conçoivent pas l’humanité autrement qu’un troupeau qu’il faut gouverner d’une main de fer. On comprend donc pourquoi la bureaucratie déteste le peer-to-peer, en particulier lorsqu’il est adossé aux nouvelles technologies. Elle essaie désespérément de combattre ces phénomènes qui apparaissent à la fois comme étant irrésistibles et irréversibles. Elle voit que ces nouvelles institutions ont rendu des pans entiers de l’industrie obsolètes. Elle sait, au fond, que c’est bientôt son tour. De plus en plus de civils utilisent le P2P pour se réapproprier des activités économiques et sociales stratégiques. Certaines de ces activités ont longtemps été considérées comme relevant du domaine régalien. C’est notamment le cas de la monnaie. Demain, ce sera probablement le tour de l’éducation, de la santé, de l’énergie voire de la sécurité et des règlements des différends. Plutôt que de s’accrocher à son pouvoir comme un mauvais perdant qui refuse de voir que la partie est terminée, elle devrait laisser faire et accepter son sort, quitte à réadapter sa protection sociale (revenu de base) à cette nouvelle donne en abolissant ses aspects bureaucratiques et inquisiteurs, tout en réparant les injustices du capitalisme de connivence, le temps que d’autres projets entrepreneuriaux se chargent de mettre en place des mécanismes de solidarité beaucoup plus efficaces pour rendre le monopole de la violence légale définitivement inutile aux yeux des populations.
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Bravo, excellent article.
Effectivement bel article, qui exprime de manière ordonnée ce que beaucoup pensent.
tout un état d’esprit « gauchiste » dénoncé dans cet article .
(la gauche s’étendant malheureusement dans ce pays depuis une bonne partie de l’UMP jusqu’à Mélenchon et marine Lepen compris)
Particulièrement apprécié la phrase:
« Toutes les cotisations sociales et patronales, ainsi que les droits-créances tels que les congés payés que la bureaucratie prétend mettre en place au profit du travailleur sont en réalité financés en amputant la rémunération de ce dernier en amont, c’est-à -dire à la source, sans qu’il le sache »
Effectivement cacher les choses est un grand principe de nos dirigeant.
Cela m’a fait penser à la feuille de paye vérité et la suppression de la ligne « salaire total » dès l’entrée de la loi devant l’assemblée(alors que c’est le plus important avec le salaire net)
Plus d’aides. Fini, aucune aide.
ON gère sa vie, sa famille : comme auto-entrepreneur.
Tout est proposé, rien d’imposé. On adhère ou pas..
Flat tax.. Mais je rêve..mieux vaut partir.Le 25 le grand jour.
Je gère ma vie, je ne gère pas ma famille. Je participe
La dépendance induit surtout l’obéissance. Plus elle prélève et redistribue, plus les ressources de chacun passent par la bureaucratie. Celle-ci a donc le pouvoir souverain de couper les vivres à quiconque lui déplait et le condamner à mort sociale (voire mort physique) sans se salir les mains.
Si tu râles trop fort, ton alloc subit un regrettable dysfonctionnement administratif, et tu crèves en silence.
Excellent article.
Plein d’espoir. Par contre je ne connaissais pas bitnation. Ce serait bien un article ultérieurement dessus.
Merci pour votre commentaire. Je suis également en train de préparer un article sur Bitnation.
Merci pour vos articles, même si je ne suis pas toujours d’accord. Je trouve que votre style et votre clarté s’améliorent.
Bitnation est mort. Le futur sera décentralisé et distribué, l’idée même de Bitnation était mort née. Les membres les plus talentueux ont quittés le navire et le Github est sans activité.
Cherchez plutôt du niveau d’Ethereum et des sociétés distribuées de façon autonomes et décentralisées.
Ie travail a t’il un sens aujourd’hui ?
Se remettre en question face au travail est une nécessité. Comprendre et savoir deviennent les déterminants. Trouver ou demander un temps pour parler travail devient obligatoire.
On constate que les cotisations ne servent en réalité qu’à financer un vaste système de rentes de situation qui profite avant toute chose aux corporations pharmaceutico-médicales et non aux patients. La bureaucratie prétend protéger les individus des aléas de la vie. La réalité tient à ce qu’elle ne fait que jouer avec la vie des individus.
Et voilà ! Ce sophisme né dans les années ’70, si pas depuis bien plus longtemps, est maintenant présenté comme une « interprétation intellectuelle » de pseudo-science politique ou économique, au secours des thèses anti-étatistes.
Le raisonnement est intellectuellement malhonnête et historiquement, une contre-vérité:
En France comme dans d’autres pays, la médecine était une vraie « profession libérale » et les médecins tenaient absolument à leur statut pour protéger l’indépendance nécessaire qui permette de respecter les 3 libres choix essentiels, de plus en plus battus en en brèche par la règlementation administrative ou fiscale et la politique, et particulièrement, en France!
Les 3 choix sont:
le libre choix du patient de choisir son thérapeute / médecin
le libre choix diagnostique
le libre choix thérapeutique.
Tout est fait pour détruire ces libres choix et pour imposer une uniformisation désindividualisée et dépersonnalisée, une administration toujours plus lourde, un contrôle absolu sur les coûts et les prix, les actes médicaux et les traitements.
Alors non! Ce sont bien les patients qui sont assurés par l’assurance-maladie, pas les médecins ni les pharmaciens qui sont « assurés d’une rente »!
Les professions médicales ont régulièrement appelé l’Etat pyromane pour les aider à s’installer, pour payer leurs assurances, pour établir des numerus clausus, …
S’ils ne sont pas les seuls, ils ont fortement participé à leur aliénation.
Certes, mais il ne faut pas confondre les ordres corporatistes et les professionnels eux-mêmes, surtout quand l’adhésion à un ordre est obligatoire pour exercer ladite profession.
Pas de liberté d’installation pour les pharmacies…
Limitation pour l’accès aux professions médicales… Numerus clausus…
Protection des professionnels de la médecine en cas d’erreur médicale avérée… Grosse jurisprudence
Etc.
Je suis d’accord excellent article.
En effet je reste persuadé que petit à petit, nous allons progressivement aller vers une société d’entrepreneurs individuels, que cela plaise ou non aux Etats, la boîte de pandorre est ouverte, il est désormais trop tard.
Internet a révolutionné ce petit monde, imaginez vous allez pouvoir fabriquer vos propres objects via imprimante 3D, les entreprises pourront se financer directement par le public via le crowdfunding, etc etc etc
Nous reviendrons peut être vers des structures etatiques plus petites, comme à l’époque des cités Etats, où chacun gère sa propriété et son environnement directement.
Il suffit de regarder déjà un peu partout en Europe les mouvements indépendantistes, Catalogne, Ecosse, etc
« petit à petit, nous allons progressivement aller vers une société d’entrepreneurs individuels »
A condition qu’elle puisse permettre d’en vivre sinon c’est remplacer des salariés travailleurs pauvres en entrepreneurs plus pauvres. L’économie collaborative en est le parfait exemple.
Il y a des métiers que l’autoentrepreneur permet de faire vivre correctement mais c’est loin d’être le cas de tous. Plus il y a de charges structurelles, moins c’est rentable et si une activité n’est pas rentable elle doit disparaître.
Une fois n’est pas coutume j’applaudis des deux mains.
Le passage droite gauche clivant ayant été réduit à sa plus simple expression permet d’éviter les polémiques stériles (c’est NS qui a mis en place les premiers embryons de revenu de base – le RSA activité – et de facilitation du peer-to-peer – autoentrepreneur- )
Mais c’est pas grave : le constat est clair et les arguments convainquants : le consommateur devient acteur et ce changement meme si ne reste que limité va profondément détruire le façonnage socialiste en classe de la société : tout individu sera capitaliste (via le crowdfunding) entrepreneur (via le peer-to-peer), consommateur, journaliste …
La société est en train de passer d’une structure stratifiée à une structure en réseau.
Note de la modération à l’attention du posteur :
Si vous souhaitez voir vos commentaires publiés, merci de bien vouloir prendre un pseudo plus correct.
Je vous conseillerai de lire « who own the futur » the Jaron Lanier, le monde de demain avec des sociétés comme Uber ne sera pas si rose que cela si on n’y prend pas garde. En effet dans un société Uberisée, plus personne ne possède la propriété de son information et en arrive à « travailler » gratuitement en fournissant de l’information à tout va sans plus aucune propriété intellectuelle à quelques acteurs clés qui sont déjà plus grands que certains états.
Bonjour Duchateau,
Vous n’avez pas compris, pourtant les références sont fournit dans l’article. L’Ubérisation de l’économie ne sera qu’éphémère par rapport à ce que propose le P2P et surtout les société distribuée de façon autonome par des blockchains telle la blockchain de Bitcoin.
Vous dites « …plus personne ne possède la propriété de son information… » C’est vrai et faux. C’est ce qui est entrain de se mettre en place donc oui c’est vrai. Mais c’est faux car vous avez le choix. En effet l’alternative est encore embryonnaire mais lorsque l’on comprend que Bitcoin est bien plus qu’une monnaie, que ce jeune protocole informatique transcende la monnaie pour se servir de ces jetons numérique aussi bien comme intermédiaire d’échange, de vote électronique, d’actif financier ou encore de part social. L’avenir sera au système distribué et au P2P et non Ubérisé (qui est une forme de bureaucratie numérique en somme). La véritable question c’est: Quand ? Quand la population, la masse s’appropriera ces nouveaux outils.
Humm, Merci!
Excellent article