Manque de data-informations en Afrique : un frein majeur au progrès

L’Afrique a tout intérêt à favoriser l’accès à l’open data pour stimuler son activité économique.

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Autocollants Open Data (Crédits : Jonathan Gray, licence Creative Commons)

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Manque de data-informations en Afrique : un frein majeur au progrès

Publié le 26 juillet 2015
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Par Gaspard Leroux
Un article d’Audace Institut Afrique

Autocollants Open Data (Crédits : Jonathan Gray, licence Creative Commons)
Autocollants Open Data (Crédits : Jonathan Gray, licence Creative Commons)

L’information, au sens de donnée fiable (data), est une denrée indispensable à la réalisation des libertés individuelles. Sur le plan politique, elle permet aux citoyens d’évaluer l’action de leurs hommes d’État (progression du taux de chômage, du taux de croissance) pour les soutenir ou au contraire les destituer par le vote. L’information est ainsi à la base de la notion de contre-pouvoir démocratique. Sur le plan social, elle permet aux gouvernements d’estimer les inégalités dans le but d’optimiser les politiques d’imposition ou de redistribution. Enfin, sur le plan économique, l’information s’avère déterminante à plusieurs titres : comment, en effet, peut-on entreprendre dans un environnement peu ou mal connu ? Comment investir dans des territoires dont on ne possède aucune donnée ? Comment bâtir des stratégies économiques à partir de rien ?

« Les données fiables demeurent essentielles pour fixer les objectifs et les cibles, ainsi que l’évaluation de l’impact des projets », répond la Banque Africaine de Développement sur son site.

Dès lors, une question fondamentale se pose pour l’entrepreneur africain : où trouver cette information si précieuse ? Les acteurs de la production de données sont, dans les faits, diversifiés. En Afrique, ce sont en particulier les groupes privés qui se chargent de mener des études de terrain afin de produire l’information : entreprises d’intelligence économique, fondations indépendantes, ou cellules spécialisées au sein de grandes entreprises. L’existence de cette information privée est essentielle et, selon les cas, vient compenser ou compléter les données publiques produites par les gouvernements, dans l’optique d’orienter les décisions des entrepreneurs.

open data 1 by Open Knowledge(CC BY 2.0)
open data 1 by Open Knowledge(CC BY 2.0)

Notons que les gouvernements africains acceptent encore difficilement d’ouvrir leurs données à la société civile. D’autant que peu de moyens sont consacrés à l’élaboration de données fiables et actualisées. Les déclarations, les promesses, la communication, sont préférées au vrai travail. Une initiative promue et soutenue par la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale ou encore la World Wide Web Foundation tend à combler ce vide. La Banque Africaine de Développement a en effet lancé, dès 2012, une plateforme internet d’ « open data », c’est-à-dire un site web sur lequel des données sont accessibles gratuitement pour tous, sous la forme de graphiques, de tableaux statistiques ou de données chiffrées. Cette plateforme, dénommée « Autoroute Africaine de l’Information » (http://africadata.org/), recense les sites web d’open data de chaque pays africain, pour offrir une lisibilité aisée de l’information. Elle possède par ailleurs sa propre équipe de chercheurs.

L’Afrique a tout intérêt à emprunter cette voie de l’ouverture, car la transparence de l’information stimule les activités économiques existantes et en attire de nouvelles – en favorisant par exemple les investissements en provenance de l’étranger. Une question se pose néanmoins : quelle est la fiabilité de cette information ? Si la fiabilité de l’information produite par des groupes privés est quasi-certifiée, car elle est un service économique réalisé par les entreprises pour les entreprises, elle a le désavantage de ne pas être accessible à l’ensemble des acteurs économiques ; à l’inverse, l’information publique est certes en partie plus accessible via les sites web d’open data, mais sa qualité n’est pas assurée, car elle est toujours sujette à des manipulations politiques. Un gouvernement peut en effet falsifier ses données à plusieurs fins : survaloriser son PIB pour attirer des investisseurs, cacher sa mauvaise santé budgétaire pour ne pas alarmer ses créanciers, etc. Il est ainsi courant de voir des gouvernements annoncer un taux de croissance avant même qu’ils aient toutes les données nécessaires à la détermination de ce taux. Or, justement, la Banque Africaine de Développement, de même que la Banque mondiale, possèdent le défaut de trop souvent relayer ces chiffres et ces données publiques sans les vérifier.

Il convient donc de pouvoir contrôler la fiabilité des informations produites par les gouvernements, de s’assurer que ces informations ne sont pas volontairement faussées. Trop nombreux sont encore les chercheurs africains qui se plaignent de politiciens trop enclins à falsifier voire à cacher les chiffres du chômage, par exemple. Le cas du gouvernement ivoirien, qui annonce des chiffres mirobolants de créations d’entreprises, mais entrave toute étude portant sur la durée de vie de ces entreprises, confirme l’idée que les données publiques sont encore trop souvent politisées.

C’est à la société civile que doit revenir la tâche de contrôler ces données publiques. Les entreprises ont tout intérêt à faire front commun pour exiger la transparence des données publiques et dénoncer le manque d’informations crédibles. La presse doit se faire le relai de cette vigilance, et critiquer toute tentative de manipulation de l’information par le gouvernement. À long terme, il convient enfin que les gouvernements comprennent qu’ils ont eux-mêmes intérêt à ne pas produire de fausses données. En effet, la confiance est un élément primordial pour stimuler l’activité économique et attirer des investisseurs ; or, un gouvernement suspecté de produire de fausses données n’inspire pas cette confiance si précieuse, et détériore le climat des affaires.

En parallèle, soutenir une production diversifiée de données est une solution efficace pour compléter l’information officielle : l’exploitation du « Big Data », c’est-à-dire des données générées automatiquement et massivement par nos appareils électroniques (géolocalisation des appels, données de navigation sur internet) peut par exemple permettre aux entreprises de mieux cibler leur marché. Cependant, l’exploitation de ce « Big Data » pose deux défis majeurs : d’une part, la formation d’une main d’œuvre africaine qualifiée capable de tirer parti de cette masse de données, c’est-à-dire de leur donner du sens pour qu’elles soient exploitables économiquement ; d’autre part, une généralisation de l’accès à Internet sur le continent africain, car nombreux y sont encore les pays dont moins de 5% de la population est utilisatrice d’Internet (d’après les chiffres 2014 de la Banque Mondiale, et à titre d’exemples : 2,6% en Côte d’Ivoire, 4,4 % au Burkina Faso, 1,3% au Burundi, 2,2% en RDC, 1,9% en Éthiopie.). Le chemin est certes tortueux mais incontournable si l’Afrique souhaite sortir de la sphère de la communication en avançant vers un progrès partagé.

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  • D’abord, je m’étonne qu’aucun commentaire ne figure avant le mien, alors qu’uil est près d’1 heure du matin, donc lundi! C’est dire le désintérêt français pour l’Afrique, malgré ou à cause des politiciens (Personne n’a oublié l’insulte à l’Afrique de N.Sarkozy). Bref!!!

    Oui, bien sûr, il faudrait informatiser l’Afrique: ce pourrait être l’occasion explosive de multiples changements. Mais certains y travaillent: on sait que Google étudie la possibilité de répandre internet par de multiples ballons plus ou moins stationnaires, à haute altitude quand Bill Gates étudie la possibilité d’un drone planant en stratosphère avec le même but.

    D’autre part, il est clair qu’il faut adapter le prix du matériel à la pauvreté du peuple, pour les raisons que l’on sait! Pour cela, il faut encourager l’initiative de Vérone Mankou, le « Steve Job Africain » et son entreprise au Congo-Brazza.

    Gaspard Leroux a parlé des données géographico-politico-économiques, de leur collecte, de leur exactitude et de leur accessibilité, en citant la WWW foudation, investissement gratuit ou payant à terme mais qui prouve bien la volonté de ne pas laisser l’Afrique avec un outil sans contenu. Ce genre d’initiative: réunion des bonnes volontés pour un investissement immédiatement non rentable mais pariant sur l’avenir est tout de même propre à l’esprit anglo-saxon, spécialement aux U.S.A., alors qu’en Europe, nous sommes de plus en plus frileux à parier sur l’avenir: c’est évidemment un tort qui tient peut-être au vieillissement de la population.

    Il me semble clair que pendant des années encore, leurs data libres seront plus fiables que les données officielles!

    Il me semble bien clair aussi qu’internet sera une compensation à l’absence de téléphonie, d’informations, mais aussi de formation ***, ce qui pourrait, à moyen terme, créer un « boum » de développement encore insoupçonné.

    *** : j’ai lu le résumé d’une étude faite au Congo, à l’initiative l’O.N.U. consistant à confier (avec une explication courte, par la même personne) à des enfants de 9 ans des « tablettes » informatiques avec de « l’enseignement » et quelques jeux pédagogiques, les autres logiciels étant bloqués.

    Le résultat a démontré que les enfants se sont « approprié » l’outil (modification personnalisée d’écrans), ont bien assimilé l’enseignement et que certains, même, sont parvenu à faire sauter le blocage sur les logiciels théoriquement inaccessibles! Ce la laisse espérer un enseignement « en ligne » touchant les enfants (et leurs parents?) jusque dans les villages les plus isolés.

    Reste le problème électrique! Je sais que Contrepoints et ses lecteurs sont opposés aux énergies renouvelables. Cependant, c’est bien en Afrique que j’ai vu mes premiers cadres photovoltaïques, à l’époque, très coûteux, pour alimenter un maigre éclairage à tube dits « néon » (en fait Hg) pour des postes de secours et de dispensaire des différents villages d’une vaste entreprise de cannes à sucre. Une infrastructure filaire aurait été impensable. L’Afrique est donc le continent où les énergies renouvelables ont tout leur sens: solaire, éolienne si vents fréquents, hydrolienne si proche d’une rivière.

    En tout cas, il est temps d’arrêter de soutenir et corrompre les pouvoirs en place pour imposer nos volontés pas toujours orthodoxes.

    Face à des gens capables, sans doute, un jour, d’apporter internet dans chaque village africain, la vieille méthode ne fera jamais le poids!

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