Par Lawrence Reed
Un article de la Foundation for Economic Education
Les opinions d’Anne Hutchinson ont, dirons-nous, abordé toutes les questions.
Dans son livre magistral, Conceived in Liberty, l’économiste du 20ème siècle et historien libertarien Murray Rothbard l’a décrite comme une individualiste farouche et la plus grande menace à la « théocratie puritaine despotique de la baie de Massachusetts ». John Winthrop, le 2ème, 6ème, 9ème et 12ème gouverneur de la colonie de la baie de Massachusetts, pensait qu’elle était un « agent d’anarchie destructrice venue de l’enfer » et « une femme au maintien hautain et farouche, à l’esprit agile et fougueux, au langage très volubile, plus osé que celui d’un homme ».
L’État du Massachusetts est apparemment d’accord avec Rothbard. Un monument à la State House de Boston la nomme aujourd’hui « démonstratrice courageuse de la liberté civile et de la tolérance religieuse ». Elle était, en fait, la militante par excellence d’une société libre au 18ème siècle en Nouvelle-Angleterre, ce qui lui a coûté le bannissement et, finalement, la vie. L’histoire est intimement liée à la controverse de l’ »Antinomisme » ou « libre grâce » impliquant à la fois religion et genre. Elle a fait rage dans le Massachusetts pendant la plus grande partie de la période 1636 à 1638. Hutchinson était une femme charismatique, non-conventionnelle, qui a osé remettre en question la doctrine de l’Église ainsi que le rôle des femmes et abordait ces sujets dans une société dominée par les hommes. Dans Saints and Sectaries : Anne Hutchinson and the Antinomian Controversy in the Massachuissetts Bay Colony, l’historien Emery Battis écrit :
« Dotée d’un magnétisme propre à peu de gens, le nombre de ses adhérents, jusqu’à l’heure de sa chute, surpassait de loin celui de ses ennemis, et ce fut seulement à force d’habiles manœuvres que les autorités ont réussi à desserrer son emprise sur la communauté ».
Antinomisme signifie littéralement « contre la loi » et était une expression moqueuse appliquée à Hutchinson et ses disciples de la « libre grâce ». Alors que l’institution puritaine établie dans le Massachusetts a fait valoir, comme les « réformateurs », que l’interprétation chrétienne n’est tirée que des Écritures (« Sola Scriptura »), les antinomiens ont davantage mis l’accent sur une « lumière intérieure » par laquelle le Saint-Esprit donnait sagesse et conseils aux croyants, un à la fois.
« Je vois les choses ainsi, s’explique Hutchinson, les lois, les commandements, les règles et les édits sont pour ceux qui n’ont pas de lumière pour éclairer leur voie. Celui qui a la grâce de Dieu dans son cœur ne peut pas s’égarer ».
En tant que première féministe de l’Amérique, et femme de conscience et de principe, Anne Hutchinson a planté les graines du libéralisme qui allaient croître et aider à établir une nouvelle nation un peu plus d’un siècle plus tard.
À peine un siècle après que Martin Luther a initié le grand schisme connu sous le nom de la Réforme, les dirigeants protestants du Massachusetts ont vu l’antinomisme comme dangereusement hérétique. Leurs ancêtres théologiques ont fait sécession avec Rome en partie parce qu’ils ont vu les enseignements de prêtres, évêques et papes comme les mots d’intermédiaires présomptueux (symboles du détournement par les mortels de la parole divine). Quand Anne Hutchinson et d’autres antinomiens ont parlé de ce supplément de « lumière intérieure », il semblait à l’establishment puritain que la Réforme elle-même était en train d’être défaite. Pire encore, Hutchinson a accusé les dirigeants de l’église du Massachusetts de revenir à la notion de « justification par les œuvres » d’avant la Réforme, au lieu de la perspective propre à Martin Luther et Jean Calvin de la justification par la foi seule au travers de la « libre grâce » divine.
En Angleterre, où elle est née en 1591, Hutchinson avait suivi les enseignements du prêtre dynamique John Cotton, de qui elle tint certaines ses idées anti-establishment. Lorsque Cotton a été contraint de quitter le pays en 1633, Hutchinson et sa famille l’ont suivi jusqu’à la Nouvelle-Angleterre. Elle y vivra jusqu’à sa mort, seulement dix ans plus tard, semant régulièrement l’agitation, servant de sage-femme tout en soignant les malades. Le fait qu’elle ait trouvé le temps de faire tout cela tout en élevant 15 enfants rend hommage à son énergie et à sa passion.
Hutchinson a organisé des groupes de discussion (« conciliabules ») auxquels assistaient des dizaines de femmes ainsi que, parfois, de nombreux hommes. En soi c’était un geste audacieux. Ces groupes ont permis l’émancipation, en particulier des femmes, qui étaient censées rester tranquilles et subordonnées à leurs maris, surtout en matière de religion et de politique. Mais les réunions de Hutchinson étaient pleines de discours critiques sur les « erreurs » présentes dans les sermons récents et l’intolérance avec laquelle les hommes du Massachusetts gouvernaient la colonie. Son influence s’accrut rapidement et pour tous, Boston est devenu un bastion de l’antinomisme alors que la campagne s’alignait avec l’establishment. Ce n’était qu’une question de temps avant que les différences religieuses et de genre ne débordent dans la politique.
En 1636, Hutchinson et ses alliés antinomistes, partisans de la « libre grâce », tels que Cotton, le révérend John Wheelwright, et le gouverneur Henry Vale reçurent de cinglantes attaques de la part du clergé orthodoxe puritain. Dans les églises et les réunions publiques, ils furent assaillis comme des hérétiques et des perturbateurs de la paix qui menaçaient l’existence même de l’expérience puritaine en Nouvelle-Angleterre. Les accusations de conduite sexuelle immorale, bien qu’infondées, planaient au-dessus de sa tête. Cotton a été mis à l’écart par la pression. Wheelwright a été reconnu coupable d’« outrage et sédition » pour avoir « lui-même volontairement déclenché et augmenté » les conflits au sein de la colonie et a été banni du Massachusetts. Vale ne fut pas réélu et un ennemi d’Hutchinson, John Winthrop, est devenu gouverneur en 1637. Malgré des hésitations initiales sous les intenses pressions qu’elle subissait, Hutchinson tint bon.
En novembre 1637, Winthrop a arrangé la tenue du procès d’Anne Hutchinson sur une accusation de diffamation envers les ministres de la baie du Massachusetts. Il a déclaré qu’elle avait « troublé la paix de la république et les Églises » par la promotion d’opinions non autorisées et la tenue de réunions non autorisées dans sa maison. Même si elle n’a jamais exprimé ses vues à l’extérieur des conciliabules qu’elle tenait, ni jamais signé de déclarations ou de pétitions à ce sujet, Winthrop la dépeignit comme une co-conspiratrice qui avait incité les autres à défier l’autorité. Devant le tribunal, il a tenu à Hutchinson le réquisitoire suivant :
« Vous avez tenu certains propos dont nous avons été informés [qui sont] très préjudiciables à l’honneur des Églises et des ministres de celles-ci, et vous avez tenu une réunion et une assemblée dans votre maison, ce qui a été condamné par l’Assemblée générale comme une chose non tolérable ni avenante à la vue de Dieu, ni appropriée pour votre sexe. »
Hutchinson a souvent réfuté les accusations, mais a parfois riposté avec des répliques cinglantes comme celle-ci : « Vous pensez qu’il ne m’est pas permis d’instruire les femmes, alors pourquoi m’appelez-vous pour instruire la Cour ? ».
Le premier jour du procès s’est raisonnablement bien passé pour elle. Un biographe, Richard Morris, dit qu’elle a « acculé les magistrats dans une bataille d’esprits ». Un autre biographe, Eve LaPlante, a écrit : « Son succès devant le tribunal peut avoir étonné ses juges, mais ce n’était pas une surprise pour elle. Elle était sûre d’elle-même et de ses outils intellectuels, principalement en raison de l’intimité qu’elle ressentait avec Dieu. »
La deuxième journée ne se déroula pas aussi bien, après un moment théâtral, quand Hutchinson lâcha cet avertissement :
« Vous n’avez aucun pouvoir sur mon corps, ni ne pouvez me faire de mal car je suis dans les mains de l’Éternel, mon Sauveur. Je suis à son rendez-vous, les limites de mon habitation sont dessinées dans le ciel, je ne considère les mortels que comme de simples créatures dans Sa main, je ne crains personne sinon le grand Jéhovah, qui m’a prédit ces choses, et je crois vraiment qu’il va me délivrer de vos mains. Prenez donc garde de la manière avec laquelle vous procédez contre moi, pour ce que vous êtes sur le point de me faire, Dieu vous ruinera, vous et votre postérité ainsi que l’ensemble de cet état. »
Ce que Winthrop et ses procureurs n’avaient pas encore prouvé, Hutchinson le leur a démontré en un seul coup. Ce fut le témoignage de « sédition » et « outrage à la cour » dont ils avaient besoin. Elle fut condamnée, désignée comme un instrument du diable, comme « une femme ne convenant pas à notre société », et bannie de la baie du Massachusetts. Ce fut le verdict de son procès civil. Elle sera détenue pendant quatre mois en résidence surveillée, rarement autorisée à voir sa famille, jusqu’à ce qu’un procès de l’Église permette de sceller son destin comme membre de la foi puritaine. Dans ce procès, parce qu’elle ne voulait pas admettre certaines erreurs théologiques, elle fut officiellement excommuniée avec cette dénonciation du révérend Thomas Shepard :
« Je vous expulse et vous livre à Satan […] et vous considère à partir de cet instant, comme une païenne et un publicain […] Je vous ordonne, au nom de Jésus-Christ et de l’Église de vous retirer de la Congrégation comme un lépreux. »
Hutchinson, son mari William, et leurs enfants ont quitté Boston en avril 1638. Ils ont crapahuté près d’une semaine dans la neige pour se rendre à Providence, Rhode Island, fondée par Roger Williams comme un refuge pour les minorités persécutées. Cinq ans plus tard, lors d’un mauvais jour d’août 1643, Anne ainsi que toute sa famille, à l’exception d’une de ses filles, a été massacrée par des Indiens Siwanoy en maraude. La femme qui a secoué une colonie avait disparu, mais comme Rothbard l’écrit, « l’esprit de liberté qu’elle a incarné et enflammé allait survivre à la théocratie despotique de la baie de Massachusetts ».
En tant que première féministe de l’Amérique, et femme de conscience et de principe, Anne Hutchinson a planté les graines du libéralisme qui crûrent et aidèrent à établir une nouvelle nation un peu plus d’un siècle plus tard.
Références :
- “Sir Henry Vane: America’s First Revolutionary” de Sean Gabb
- “Individualist Feminism: The Lost Tradition” de Wendy McElroy
- Conceived in Liberty de Murray Rothbard
- Saints and Sectaries: Anne Hutchinson and the Antinomian Controversy in the Massachusetts Bay Colony de Emery Battis
- Anne Hutchinson: Troubler of the Puritan Zion de Francis J. Bremer
- American Jezebel: The Uncommon Life of Anne Hutchinson, the Woman Who Defied the Puritans de Eve LaPlante
—
Sur le web. Traduction : Contrepoints.
Laisser un commentaire
Créer un compte