Par Oasis Kodila Tedika
L’année 1995 a été consacrée comme étant celle du retour de la croissance en Afrique. L’Afrique a fait rêver et a été présentée comme un nouvel eldorado et un moteur de la croissance mondiale. McKinsey Global Institute évoque un « lion en mouvement » ou la terre de « lions », The Economist parle d’une frontière d’investissement direct étranger. En termes chiffrés, le PIB réel a grimpé de 4,9% par an entre 2000 et 2008, deux fois plus vite que dans les années 1980 et 1990. Entre 1995 et 2014, le taux de croissance moyen était de 4,4%. Qu’est-ce qui explique ce retour de la croissance ?
Plusieurs raisons ont été avancées. Pour certains, il s’agit juste d’une envolée des cours des matières premières. En effet, Arbache, Go et Page (2008) soutiennent que les pays exportateurs de pétrole représentent respectivement 25% du PIB et 29% de la population de l’Afrique. La part de l’exportation du pétrole est d’environ 40% des exportations totales des marchandises de l’Afrique. Entre 2000 et 2006, ces pays ont cru à un taux de 8,4%. D’autres auteurs mettent en avant l’amélioration des équilibres macroéconomiques fondamentaux (maîtrise de l’inflation, réduction du déficit public, contrôle de l’endettement, etc.). D’autres encore soulignent l’amélioration relative des institutions et l’inflexion des politiques économiques dans certains pays. C’est au milieu de cette kyrielle d’explications que certains économistes ont essayé d’apporter des éléments empiriques et solides pour départager les différents protagonistes.
À ce titre, les économistes T. Andersen et P. S. Jensen (2014) ont essayé de comprendre si c’est juste la rente des ressources naturelles ou bien également les institutions qui sont à l’origine de cette croissance ? Ces auteurs ont étudié les données de l’Afrique entre deux périodes : la première couvre les années 1995-2007 et la seconde 2008-2011. La première est celle de l’avant crise financière internationale et la seconde l’après crise. La croissance était de 4,59% avant la crise financière internationale et de 2,63 en moyenne après ladite crise. Cette considération permet de saisir les effets des institutions et de la rente liée aux ressources naturelles. En effet, avant la crise, il y avait une envolée importante des cours des matières premières. L’arrivée de la crise a réduit la demande internationale, ce qui a affecté les prix de ces produits. Ils appellent institutions l’État de droit (respect des droits de propriété, exécution de contrat, etc.), qualité de la gestion budgétaire et financière, efficacité dans la mobilisation des recettes, qualité de l’administration publique, transparence et reddition des compte dans le secteur public.
Le premier constat est que les économies africaines, aussi bien riches que pauvres en ressources naturelles, ont cru durant la période considérée. Les résultats de ces auteurs établissent clairement qu’avant la crise internationale aussi bien les institutions que l’envolée des prix des matières premières expliqueraient cette croissance africaine. Seulement, la contribution des institutions semble être plus forte que celle de l’envolée des prix, au moins 4 fois supérieure aux effets de l’envolée des prix. Selon l’étude de McKinsey Global Institute, à peine 24% de la croissance de l’Afrique sont dus au secteur des ressources naturelles.
Les auteurs constatent que quand on sépare les économies africaines en deux groupes : celles qui ont connu une forte croissance et celles qui ont connu une faible croissance, le premier groupe a connu une augmentation statistiquement significative de la qualité institutionnelle et/ou a un niveau de qualité institutionnelle élevée, tandis que le groupe à faible croissance n’a pas connu un tel changement. Si l’on prend l’indice de la gouvernance de la Fondation Mo Ibrahim par exemple, entre 2008-2012, le Libéria a réalisé un bond de 9,2 points avec un taux de croissance du PIB par habitant de 7,3%. Pendant ce temps, Madagascar a connu un recul du taux de croissance du PIB par habitant de -1,1%, avec une dégradation de -11,6 de son score en matière de gouvernance. Si l’on regarde le taux de croissance du PIB par habitant, on constate que parmi les plus grands exportateurs de pétrole africain (Angola, Cameroun, Tchad, Guinée équatoriale, République du Congo, Nigéria, Gabon et Soudan), il n’y a que le Nigéria et la République du Congo qui ont un taux de croissance du PIB par habitant supérieur à 2%. Ce qui n’est pas le cas pour les meilleurs performeurs pour les institutions comme le Ghana, la Tanzanie, le Cap Vert, etc. L’importance des institutions apparaît aussi quand on sait que si la Guinée-Bissau (le bottom most) atteignait le niveau de la qualité institutionnelle de la Namibie (le topmost), cela augmenterait annuellement son taux de croissance de 3.82 points.
L’impact déterminant des institutions s’explique notamment par les incitations accompagnant les améliorations institutionnelles. Plus simplement, de meilleures institutions encouragent des entrepreneurs à investir et à innover, les ménages à consommer et à épargner, ce qui crée une dynamique vertueuse augmentant non seulement la capacité de l’économie à créer de la richesse et des emplois, mais aussi sa résilience et sa capacité à absorber des chocs conjoncturels défavorables.
Un tel constat est une invitation aux dirigeants africains à accélérer le rythme des réformes structurelles afin d’améliorer la qualité des institutions et des politiques économiques implémentées. Seules des institutions favorables à la consommation, la production et aux échanges sont susceptibles d’induire une croissance inclusive et durable en Afrique.
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