Par Max Borders
« Le mariage est le principal arrangement institutionnel de la société qui définit la parentalité. »
(Jennifer Roback Morse)
L’idée de privatiser le mariage prend de l’ampleur chez des acteurs sociétaux habituellement en opposition. Parmi ceux-là , il y a les activistes homosexuels vieux-jeu qui pensent que le mariage d’État est un moyen pour les politiciens de planifier socialement la famille à travers le Code Général des Impôts. Il y a aussi les conservateurs religieux qui sont inquiets quant à la possibilité pour une institution étatique de violer leurs valeurs sacrées. N’oublions pas non plus les libertariens pour lesquels « privatiser » est plus un réflexe que le produit d’une réflexion. Pourtant, ils sont tous d’accord : ce serait une bonne idée de retirer le mariage du giron de l’État. En y réfléchissant, cette proposition est très pragmatique.
Démêlons tout d’abord les deux sens du mot qui peuvent être source de confusion. Quand on évoque le mot « mariage », on peut se référer à :
A. un engagement pris par un couple lors d’une cérémonie formelle et reconnu par une institution religieuse ou une communauté privée,
B. un lien légal entre deux personnes, pour lequel l’État (public) délivre une autorisation.
Les questions qui se posent sont donc les suivantes : au sens de A, l’État doit-il être impliqué ? La réponse quasi-unanime aux États-Unis est non. Et, au sens de B, est-il nécessaire que l’État soit autant impliqué qu’il l’est actuellement ? C’est autour de cette seconde question que se situe le débat.
Je pense que l’État pourrait et devrait se retirer du sens B, et tout le monde s’en portera mieux. Voilà ce qui se cache derrière l’expression « privatisation du mariage » selon moi.
Certains soutiennent que le mariage ne peut être que public. Pour Jennifer Roback Morse, la notion de mariage est liée au sort des enfants et des familles. Pour Shikha Dalmia, il est lié au spectre d’une implication grandissante de l’État, d’une guerre néo-culturelle enflammée, et d’une préoccupation curieuse à propos des institutions religieuses qui créent leurs propres lois matrimoniales.
Considérons le problème des enfants. Selon Unmarried.org :
- 39,7% des enfants naissent hors mariage (Centers for Disease Control, 2007).
- À peu près 40% des couples américains hétérosexuels et non mariés ont des enfants (Child Protective Services, 2007).
- À la naissance du premier enfant, 41% des femmes non mariées sont en concubinage avec leur partenaire (Larry Bumpass and Hsien-Hen Lu, 2000).
La loi comporte-t-elle des dispositions particulières pour les enfants issus de couples non mariés ? Évidemment. C’est pourquoi, alors que le mariage d’État ajoute des lignes à votre relevé d’impôts ou à votre liste d’avantages sociaux, le tribunal des affaires familiales et le Code de la famille restent en place, quoi que l’on fasse avec le mariage. Le mariage d’État n’est pas un argument sociologique en faveur de meilleurs épanouissement et avenir des enfants conçus par un couple marié. Il n’est pas non plus une question de genre, de sexualité et de rôle des parents. Il serait tout simplement la réponse à l’idée qu’il ne peut être que public car il est le point de départ logique de la constitution d’une famille. Mais ce n’est pas le cas. Et je passe sous silence le cas des couples mariés sans enfant(s).
Dalmia s’inquiète également du fait qu’une « privatisation réelle ne nécessiterait pas uniquement de supprimer des affaires de l’État la gestion des autorisations et inscriptions. » Elle nécessiterait de donner aux communautés le pouvoir d’écrire leurs propres règles matrimoniales et de les imposer aux couples.
Oui, c’est vrai. Les couples qui font partie d’associations religieuses libres devront accepter la définition du mariage de ces dernières pour en devenir membre. Néanmoins, Dalmia écrit : « Les mariages mormons seraient alors régis par le Code de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, les mariages musulmans par la Charia, les mariages hassidiques par l’Ancien Testament, les mariages homosexuels par leurs propres Églises ou équivalents laïcs. » Tous ces exemples peuvent être vrais jusqu’à un certain point.
Cependant, Dalmia exagère. Il est raisonnable de penser qu’aucune organisation religieuse ne serait en mesure de rédiger des codes qui iraient à l’encontre des lois civiles et pénales dans certaines juridictions. Ainsi, si battre sa femme car elle ne porte pas de hijab pour faire ses courses est inscrit dans la Charia, cette règle irait à l’encontre des lois sur les violences conjugales. De même, les codes mormons pourraient autoriser la polygamie, mais l’État pourrait avoir un avis contraire. Encore une fois, la protection, quelque peu magique il faut le dire, que le mariage d’État est censé apporter n’est pas claire.
Qu’en est-il de l’inquiétude de Dalmia qui soutient qu’en l’absence de mariage d’État, « tous les aspects de la relation du couple devront avoir été traités à l’avance par contrat » ? Je peux déjà vous assurer que certains voient d’un bon Å“il l’opportunité de négocier les points d’un contrat qui gouverne leur vie ; cela pourrait éviter de vilaines procédures de divorce. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de penser que la législation disponible pour les concubins avec enfants et biens ne serait plus en vigueur. Non seulement des modèles de contrat simples pour mariages privés émergeraient, mais les États pourraient autoriser des unions civiles par défaut pour le cas où le couple n’aurait pas envisagé d’alternative privée.
En effet, si les gens n’apprécient pas l’option par défaut, comme c’est le cas aujourd’hui, ils seraient bien plus enclins à anticiper l’éventualité d’un mariage, et devraient traiter les points liés à la cohabitation, à la propriété, aux enfants comme ils le font pour la retraite et le décès. D’ailleurs, des millions de couples homosexuels avaient à s’en préoccuper avant la décision de la Cour Suprême autorisant le mariage de personnes de même sexe. Des millions de couples non mariés le font aujourd’hui. La différence est qu’il y aurait plusieurs types de mariages privés en parallèle du mariage par défaut, tout comme il est possible d’opter pour des arbitrages privés en lieu et place des tribunaux publics.
Lors du débat autour du « mariage pour tous », une proposition éminemment raisonnable avait été de renommer le mariage d’État « Union Civile » ; elle aurait été un grand pas vers la fin du débat relatif au mariage homosexuel. Les conservateurs auraient pu l’accepter, puisque selon leurs traditions sacrées et leur culture commune (au sens A), un « mariage » est l’union d’un homme et d’une femme, à charge alors pour les couples homosexuels de trouver une Église ou une institution pouvant les unir au sens A. Quoi qu’il en soit,  tous disposeraient du même cadre légal qui intéresse les gens au sens B. Vous auriez juste eu à la nommer « Union Civile ».
Cela aurait bien fonctionné.
J’apprécie cependant la notion de privatisation complète car le « mariage » ressemble aujourd’hui à une collection délirante de privilèges et d’avantages auxquels tout le monde veut avoir accès, et maudits soient les couples non mariés. Le mariage ne devrait conférer ni faveur spéciale ni cadeau de l’État. Nous pouvons ergoter à propos de la personne qui doit se tenir au chevet d’un proche mourant. Mais, au-delà de ce point, le mariage (dans le sens de B) a uniquement un impact sur l’égalité d’accès aux privilèges accordés par l’État.
Penser que le mariage est nécessairement public est un manque d’imagination du système robuste de Common Law. En outre, cette idée est à mettre en parallèle aux arguments utilisés contre les privatisations dans d’autres domaines : monnaie, éducation et assurance santé par exemple. Ne pas toujours pouvoir imaginer quelque chose ne la rend pas pour autant irréalisable.
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Sur le web. Traduction par Contrepoints.
Tout à fait d’accord !
Union civile était le bon terme.
Absolument et cela aurait évité un psychodrame … Quoique l’on peut se demander si l’objectif n’était pas justement de créer ce psychodrame.
Ca c’est une autre question qu’il faudrait creuser … parce qu’autant de maladresse … Oui il faudrait regarder ce qu’il y avait derrière l’écran du mariage pour tous.
Excellent article très clair et qui dédramatise ce sujet hautement polémiques.
Malheureusement en France, le découpage entre mariage A et B implique une véritable application du principe laïc, et donc une reconnaissance de la liberté de religions … Ce que l’Etat socialiste, la clique d’anticléricaux viscéraux et la poignée d’athées intégristes fanatiques sont très loin d’être susceptibles de lâcher.
La laïcité c’est de ne pas reconnaître les autorités religieuses, on peut comprendre que les autorités religieuses en question ont historiquement eu du mal à accepter le principe.
On pourrait sans doute aujourd’hui pacifier un petit peu les choses, en s’assurant que les gens unis devant une autorité religieuse ne puissent pas convoquer pas ensuite la justice et l’autorité de l’état en cas de nécessité d’arbitrage, tout en interdisant les autorités religieuses en question de dire la loi. J’imagine que c’est là que réside la difficulté, mais je ne suis pas juriste.
Je suppose que cela ne doit pas être bien problématique. En Espagne, le mariage religieux vaut mariage civil. Et si des gens mariés religieusement en Espagne s’installent en France, leur mariage reste valable. Je pense que ce n’est pas un cas unique.
La laïcité à la Française, c’est à dire socialiste oui : c’est la négation des religions, la croyance que les religions sont un danger.
Le libéralisme C’est exactement le contraire : l’Etat n’a pas à se mêler des religions
Je pense que plutôt que de demander à l’état l’emploi du terme « union civile », on peut lui laisser le terme de mariage (instutionnalisé aujourd’hui) et utiliser d’autres termes comme « union libre », « union religieuse », « union privée » ou tout ce qu’on veut… l’argument est parfaitement symétrique, je ne vois rien de dérangeant à ce que la chose que nous nommons « mariage » depuis plus de 4 générations maintenant continue d’être nommé « mariage ».
Pour les autres unions, privées donc, le souci me semble être que si les autorités religieuses ne sont pas reconnues, les cérémonies religieuses sont surtout interdites si elles ne sont pas accompagnées de cérémonies devant l’état, si je ne me trompe pas. Maintenant on peut peut-être un peu malin : si on fait une cérémonie secrète (il doit bien y en avoir dans les sectes hein) il n’y a pas de raison pour que l’état soit au courant. J’ai une cousine qui, après s’être mariée à la mairie sans inviter trop la famille parce qu’elle y voyait quelque chose de plutôt administratif, s’est inventée sa propre cérémonie par la suite… c’était très bien, très beau, et personne ne nous a empêché.
En fait, l’article 433-21 du Code pénal punit les religieux qui célèbrent « habituellement » des mariages entre gens non mariés civilement. Ne me demandez pas quand commence le « habituellement ».
Dans le mariage civil et religieux, il y a certes une partie cérémonials, mais là n’est pas le plus important.
L’essentiel, c’est tout ce qui concerne l’identité, la filiation, la détermination des ayants droit et coetera, bref tout ce que l’on appelle « l’état civil ».
La nécessité de poser par écrit dans un document officiel tout ce qui concerne les individus, leurs ascendants, descendants et les évènement marquants de leur vie, naissance, mariage, décès https://www.youtube.com/watch?v=mbQUuTQuYoU s’imposa progressivement.
Les plus anciens registres datent du moyen âge et furent ouverts sur initiatives individuelles de curés dans une province puis plusieurs.
Mais la tenue de registres paroissiaux devint officielle et obligatoire a/c de 1539 avec l’Edit de Villers Cotteret du roi François 1er http://www.archives18.fr/article.php?larub=114
L’Edit, qui comporte de nombreuses dispositions, est aussi connu pour avoir imposé et officialisé la langue françoise (le moyen françois) à la place du latin de moins en moins bien compris par la population dans les décisions de justice.
C’es donc à partir de 1539 que l’on peut, avec un peu de chance, procéder à des recherches généalogiques.
En rappelant que ces recherches servent également aux notaires à retrouver des héritiers en cas de décès sans héritier direct connu.
Ensuite, différents rois améliorèrent le système dont la copie du registre afin qu’il en reste toujours un exemplaire en cas de disparition ou de destruction de l’original (guerres, inondations, mauvaise conservation …), copie conservée au siège du diocèse.
La révolution transféra ces registres du curé et de l’évêque au maire et au siège du département.
Elle étendit aussi l’état civil aux non catholiques protestants et juifs.
Le mariage n’est donc pas seulement une affaire de « crac, boum hue », mais il implique les familles (ascendants), les enfants à venir (descendants) et a des conséquences dans la transmissions du patrimoine (droit civil), droit civil qui prévoit aussi la dissolution du mariage et ses conséquences pour les enfants et pour les biens.
A partir du moment où l’état-civil marche très bien pour ceux qui ne se marient pas et leurs enfants aujourd’hui, où est le problème ?
Ce n’est pas une question uniquement d’état civil mais de transmission – du nom, des biens etc.
Avant même que les différents types de mariages aient été fixés par la loi à différentes époques, le notaire était déjà présent pour écrire ce que les mariés recevraient des parents afin de commencer leur vie de couple et quel serait leur héritage au décès de leurs ascendants.
Pourquoi croyez vous que des couples âgés vivant en couples libres se marient sur le tard et que de vieux homosexuels contractent (il y a le mot contrat) un Pacs puis éventuellement aujourd’hui un mariage ?
Tous ceux que la presse a montré à l’envie sont déjà de « vieux couples ».
C’est un problématique fiscale dont vous faites part ici… Vous pouvez faire hériter qui vous voulez de vos biens, mais seul le marriage ou le pacs permet à votre héritier désigné d’éviter une taxe de 60% sur cet héritage. Ca n’a rien à voir avec qui hérite quoi. Ca a juste à voir avec qui est taxé combien sur l’héritage…
Baissez les droits de succession et vous tuez le marriage tardif à vocation fiscale.
Supprimer le mariage pour le concubinage et laisser les personnes décider ce qu’elles appellent mariage…La seule limite est le respect des droits d’autrui ( garde des enfants, filiation, interdiction des coups et sévices….ect…)
« La seule limite est le respect des droits d’autrui »
Le respect, on s’en balance.
« Scripta manent » dit l’adage et ce qui est écrit par contrat est fort.
Le contrat est protégé par la société qui, par les lois qu’elle se donne, le valide et sanctionne les manquements que l’une ou l’autre partie signataire pourrait commettre. C’est le principe du droit civil où les litiges sont portés devant un juge qui constate s’il y a eu manquement et, en suivant la loi, décide des dédommagements à donner à la partie lésée.
bah en effet la question est relativement simple, sauf que le sujet est devenu une espèce d’étendard ou de hochet idéologique et à partir de là avancer des arguments de bon sens devient quasiment impossible…et donc qu’est ce que je pourrais dire…c’est les lobbies quoi et je suis plutôt contre ou pour c’est selon.
Faux, archi-faux ! Le mariage est , dans toutes les sociétés et depuis toujours, pour annoncer à la société une nouvelle lignée et/ou répartition des biens.
Et donc ????
Qu’est-ce qui est faux ? J’ai l’espoir qu’il soit possible d’annoncer à « la société » des choses sans passer sous le sein de l’État. Sinon il faudrait immédiatement renationaliser tous les média, tous les établissement d’enseignement, les religions etc.
Ce qui est effectivement plus ou moins en cours… et la source de beaucoup de nos « soucis » actuels.