Par Bernard Zimmern
Partenaires sociaux, négociation collective, deux expressions fortes qui font partie du langage des quelques dizaines de mots que doit connaître tout homme politique français digne de cette appellation.
Expressions que vient de rappeler aux Français, à peine de retour de vacances, un lourd rapport remis au Premier ministre, Manuel Valls, par son rapporteur, Jean-Denis Combrexelle, président de la Chambre sociale du Conseil d’État, avec une introduction de Jean Pisani-Ferry, président de France Stratégie, la dernière réincarnation du Commissariat au Plan.
Ce rapport couvre le domaine extrêmement vaste du droit social, des liens entre entreprises et salariés et de la nécessité d’envisager leur refonte, compte-tenu de la complexité que revêt aujourd’hui le droit social, que beaucoup de politiciens appellent à brûler ; son objet est de proposer des directions pour réformer ce droit sans recourir à un bûcher.
La personnalité du rapporteur n’est certainement pas étrangère à sa sélection par le Premier ministre ni au contenu du rapport. Pour une fois, ce n’est pas un énarque mais un diplômé de licence en droit, entré dans la fonction publique au concours d’attaché d’administration et qui a su monter toutes les marches pour arriver au saint des saints : le Conseil d’État. À noter qu’il a été huit ans, sous la droite, directeur général du Travail au ministère du travail et de l’emploi ; et que ce serait également lui qui aurait réussi à faire réécrire le Code du travail en doublant le nombre d’articles pour avoir « une idée par article » ; mais « ils furent distribués selon une présentation par thèmes qui ne faisait plus apparaître la cohérence juridique selon laquelle ils garantissaient les principes légaux, les décrets ou les lois qui figuraient en tête des sections qui les introduisaient. Déjà en 2008, cette simplification en manière d’étalement occasionna une perte d’intelligibilité et accrut les difficultés d’analyse jurisprudentielle. » (Wikipedia).
Ce sera à des spécialistes du droit social de nous dire si ce rapport va assez vite, mais surtout assez fort, pour aider un peu les entreprises françaises à sortir du chômage, si notamment la proposition de voir les accords d’entreprise prendre le pas sur les accords de branche est non seulement capable mais suffisante à libérer nos entreprises du carcan où les a enfermées la négociation collective.
Nous voudrions seulement ici exprimer des doutes sur les chances de réussite des propositions émises, le grand mérite de ce rapport étant de nous renvoyer, comme défigurée dans un miroir, l’image de notre élite intellectuelle et administrative ; elle continue de vivre dans une copie imaginaire du monde, créée par elle de toutes pièces, dont l’original refuse de se plier à ses oukases.
1. Une vision livresque de l’entreprise
« Une entreprise est d’abord un centre de production de biens et de services. Cette production s’appuie sur des savoir-faire, des investissements et le plus souvent sur une communauté de travail composée de salariés. »
C’est la définition que l’on trouve à la page 17 et à laquelle souscrivent probablement 99% de ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une PME.
Monsieur Combrexelle ne sait pas qu’une entreprise est d’abord une aventure. Une aventure humaine, mais une aventure permanente dont l’issue n’est jamais sûre. Une aventure qui, à la différence de la fonction publique, ne sait pas si elle existera encore à la fin de l’année. Une aventure qui trouve son origine dans l’audace et la chance qui ont permis à son ou ses créateurs de réussir là où tant de leurs concitoyens ont par ailleurs échoué.
C’est le point clé, sans lequel il ne peut pas y avoir de négociation collective ; car il ne peut y avoir négociation que si les partenaires ont au moins un référentiel commun. Ce référentiel existe en Allemagne, pas en France. Il est que le premier objectif de l’entreprise est de survivre aux aléas de son aventure, en préservant sa réussite financière. Alors qu’en France, il s’agit d’abord d’effectuer une « juste » répartition de la richesse produite, sans se préoccuper d’abord de la produire.
C’est ce qu’exprime clairement la préoccupation du rapport page 35 : pas de négociation si les syndicats n’ont pas de « gain à moudre » comme si la survie était, elle, assurée.
« De l’autre côté de la table et quel que soit le niveau de négociation, les syndicats de salariés se heurtent à quatre difficultés principales.
– La première tient, pour reprendre l’expression d’André Bergeron, à l’absence de « grain à moudre » comme au temps des Trente Glorieuses. Par nature, la négociation est une forme de donnant/donnant entre des obligations et des avantages des deux côtés. »
2. Peut-on parler de partenaires sociaux en parlant des syndicats français ?
L’un des drames de la négociation sociale française est qu’en outre, l’un des partenaires, les syndicats, ne représente presque plus rien. Ce n’est pas une découverte puisque Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, deux chercheurs du CNRS, avaient déjà dénoncé, avant même l’année 2000, un syndicalisme représentant moins de 5% de l’emploi total français. Et, ce qui est plus grave, ce 5% était atteint en comptant les syndiqués du secteur public où le syndicalisme est resté autour de 20% tandis que le syndicalisme dans le secteur privé a pratiquement disparu (il n’existe plus que dans les grandes entreprises qui ressemblent en effet à des administrations) malgré les efforts méritoires de syndicats comme la CFDT. Mais le syndicalisme du secteur public n’est plus un syndicalisme de réforme mais un syndicalisme de défense des privilèges.
L’un des premiers problèmes de la négociation collective est de retrouver une représentation du personnel digne de ce nom. Le recul des syndicats n’est pas seulement propre à la France. Il est mondial et provient de ce que l’homme-machine de l’usine de production a cédé la place à l’homme-acteur des sociétés de service. Mais garder un système aussi compliqué de représentation que le système français (délégués du personnel, comité d’entreprise, délégués syndicaux) et où toutes les interventions étrangères à l’entreprise sont possibles, est l’un des premiers problèmes auxquels devrait s’attaquer une réforme du « dialogue » social.
3. Le rôle de l’État
Il est assez amusant, presque touchant, de voir notre haut fonctionnaire déclarer son attachement à la fonction publique et à l’État, en le qualifiant comme suit (page 25) :
« L’État joue le rôle de Bison futé en ce qu’il contribue directement ou indirectement à assurer, à accompagner, inciter, faciliter et soutenir la négociation. »
En qualifiant l’État de Bison futé, son auteur ne se rend pas compte que c’est grâce à cet État et, particulièrement la désinformation de l’INSEE, que la France a perdu le nord dans son développement économique et social. Je ne saurais que lui recommander de lire Changer Bercy pour changer la France (éditions Tatamis) où je tente d’expliquer pourquoi nous avons un des taux de chômage les plus élevés des grands pays occidentaux.
Quelle que soit la bonne volonté du rapporteur de ce dernier rapport sur la négociation collective, on peut craindre qu’il ne fasse qu’ajouter une couche de peinture de plus sur des couches de vernis successives, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité ; elles risquent de craquer avant que sa couche ait eu le temps de sécher.
Le rapport Combrexelle, un vrai feuilleton de rentrée…
Premier épisode : on laisse fuiter dans la presse (dont on fait croire au passage qu’elle est particulièrement affutée en matière de recherche d’information) quelques phrases bien choisies dudit rapport, deux jours avant sa transmission au premier ministre. Plus personne ne s’étonne du procédé…
Deuxième épisode : tout ce que le pays compte de politiques, journalistes et économistes en vue se livre au jeu des postures : la gauche hurle à l’ultralibéralisme et au sacrifice du pauvre salarié, la droite attend (réfléchit?), les libéraux se mettent à espérer et comme Perrette, imaginent une économie enfin débarrassée d’un code du travail de 3500 pages auquel plus personne ne comprend quelque chose. Le but est atteint : malgré les informations relatives aux migrants, on parle beaucoup du fameux rapport… avant qu’il ne sorte.
Troisième épisode : la remise du rapport à M. Valls est à peine une information, et sa lecture n’est aucunement une nécessité puisque tout a été déjà dit.
Quatrième épisode (en off, les migrants ont repris le devant de la scène) : certains petits malins lisent quand même les 137 pages du rapport. Et se rendent compte que ce qui était décidé pour les entreprises par les « partenaires sociaux » au niveau national pourrait dorénavant être entériné par les mêmes au niveau des branches. La technocratie change d’échelon, mais il n’est évidemment pas question de libérer l’économie du pouvoir de syndicats qui représentent 5% des salariés du privé. Comme il y a plus de 700 branches et que les négociateurs risquent une semaine de travail excédant les 35 heures, ils seront priés de fusionner les branches pour aboutir à une centaine.
Résumons : les petites entreprises se verront toujours dicter ce qu’elles doivent faire ou ne pas faire, avec formulaires Cerfa et contrôles à l’appui, mais il y aura en quelque sorte 100 « codes du travail » au lieu d’un seul (total de pages ?), fruits de négociations entre les intérêts des grandes entreprises et des syndicats partisans « d’avancées sociales » quelles qu’en soient les conséquences. Et ces nouveaux textes seront d’autant moins adaptés au terrain que les nouvelles branches regrouperont des activités relativement différentes. Une petite latitude sera tout de même prévue sur le terrain au niveau de l’entreprise : sans doute sur la place de la machine à café et le nombre de toilettes dames dans les entreprises de bâtiment… On est donc bien loin de la subsidiarité à laquelle rêvaient certains.
Bref, la presse a été la victime consentante d’un grand malentendu, avant d’être le bras armé de la propagande officielle. Restons lucides : que peut-il sortir de libéral du cerveau Conseiller d’État ayant fait toute sa carrière dans la fonction publique ? Juste quelques phrases générales et ambigües pouvant laisser croire que « la réforme, c’est maintenant », le slogan présidentiel ayant fait long feu depuis 3 ans.
D’ailleurs « les syndicats réformistes et le patronat sont satisfaits du contenu de ce rapport », preuve s’il est besoin que le paritarisme (parasitisme) à la française est sauvé. On va pouvoir passer à autre chose…
« les syndicats, ne représente presque plus rien » … C’est quoi cette histoire ?
Un seul syndicat compte plus d’adhérents que tous les partis politiques français réunis … Les partis politiques ne représentent plus rien ? N’ont plus de légitimité ?
Comment parler de représentativité des syndicats ?
mes pourcentages sont celui du nb de bulletin exprimé par rapport au nombre d’inscrit
Dernière election : prudhomale de 2008 (25% de participation) ==> 1° syndicat est la CGT avec 8% des voix des salariés
dernière election IPR dans mon entreprise du CAC40 (74% de participation) ==> 1° syndicat est la CFDT avec 18% des voix des salariés…. et pourtant seul le camp des ultra (cgt/sud/fo) est capable d’atteindre le quorum de 50%, ne représentant que 39% des salariés…
Et sur l’aspect qualitatif, l’adhesion est très loin d’atteindre ces chiffres déjà peu glorieux…
lorsqu’on connait les auteurs du rapport on a quelques doutes sur son intérêt et l’efficacité