Par Shérazade Gatfaoui
La réponse de la communauté internationale et des autorités locales à la gestion de la crise centrafricaine est la reconstruction de l’État (statebuilding). Elle est censée garantir le rétablissement de la paix et de la sécurité dans le pays. Néanmoins, face aux difficultés rencontrées pour stopper définitivement les violences, la reconstruction de l’État centrafricain et la tenue de l’élection présidentielle et des législatives prévues d’ici la fin de l’année 2015, suscitent des interrogations.
Élections en 2015 : autorité ou légitimité de l’État ?
Pour la communauté internationale, les élections constituent souvent le passage obligé pour reconstruire l’État. Cependant, le fait de privilégier à tout prix l’autorité de l’État au détriment de sa légitimité mène souvent à des dérives. Selon Thierry Vircoulon, directeur pour l’Afrique centrale du think tank International, Crisis Group, lorsqu’il s’agit d’un pouvoir de transition, reconstruire l’État par le biais de l’élection « est le fruit de compromis et de négociations armées, et la probabilité est forte pour que cette élection porte au pouvoir un tandem de seigneurs de guerre et de politiciens corrompus qui ont tous une part de responsabilité dans le conflit passé » (tribune ID4D – AFD, 17/03/2015).
En Centrafrique, l’imposture politique est devenue quasi-institutionnalisée. Dans ce contexte, impossible de sortir de la crise de confiance politique dans laquelle elle s’enlise depuis des décennies. Malheureusement, l’histoire de ce pays a montré à quel point des dictateurs habités par un désir de toute puissance n’ont pas eu de limite. Aujourd’hui, les Centrafricains subissent encore les conséquences désastreuses des mauvaises décisions, de l’inaction ou de la mauvaise gouvernance passée. Un leader politique motivé avant tout par ses intérêts propres au détriment de ceux du peuple ne peut favoriser durablement la reconstruction, le développement et la stabilisation d’un pays. Il faut cesser de sélectionner et de faire élire des « leaders politiques narcissiques » voués à devenir des pompiers pyromanes entraînant dans leur chute la nation toute entière.
Les Centrafricains ne veulent plus vivre dans la violence et dans la pauvreté alors même que des dirigeants s’enrichissent sans aucun état d’âme. La prise de conscience citoyenne et les discours politiques ne suffiront pas à rassurer les populations et à donner l’espoir d’une vie meilleure. Pour reconstruire le pays et rétablir la confiance entre les citoyens, l’État et les politiques, il est fondamental de poser des actes forts et de réformer la gouvernance. La confiance des citoyens ne peut exister sans le respect des engagements politiques sur le plan économique, social et sécuritaire. De nombreux experts ont longtemps souligné la nécessité d’assainir les finances publiques, de relancer l’économie formelle et de contrôler l’économie illicite. Par ailleurs, les services sociaux de base ont trop souvent été assurés en partie par les ONG et n’ont pas constitué une priorité pour les gouvernements. Entre l’économie de prédation, les ingérences et les chantages financiers en tout genre provenant de l’État, de chefs de groupes armés, de politiques ou d’entrepreneurs, la corruption est devenue une normalité. Comment un pays peut-il se développer sans un minimum de confiance ? C’est d’abord aux autorités nationales et aux politiques de donner l’exemple pour redonner espoir et confiance aux citoyens !
L’urgence électorale, une réponse inadaptée
S’agissant de la tenue des élections prévues en fin d’année 2015, la situation sécuritaire reste encore instable sur l’ensemble du territoire. D’une part, il parait compliqué pour les citoyens d’aller voter sereinement avec la peur d’être attaqué. La question du désarmement n’étant pas totalement résolue, le recensement et le vote des électeurs risquent d’être compromis. D’autre part, les annonces puis les reports répétés des échéances ne font qu’entretenir la méfiance et saper le moral des Centrafricains. Dans ces circonstances, il semble difficile d’organiser des élections démocratiques.
Les acteurs politiques, le peuple centrafricain, les observateurs et experts internationaux devraient inscrire les élections dans une stratégie à plus long terme et non dans la précipitation (d’après les conclusions du groupe de travail « Gouvernance, Justice et Réconciliation » du Forum de Bangui/mai 2015 ; établies par le professeur Jean-François Akandji-Kombé – Rapporteur Général). Les autorités de la transition et l’ANE (Autorité nationale des élections) pourraient ainsi envisager l’élection présidentielle et les législatives dans un délai plus raisonnable, au cours du second semestre de l’année 2016 (soit un an après le Forum de Bangui en mai 2015). Cela permettrait de gagner en efficacité et d’être plus efficient en matière d’organisation des élections (faciliter un recensement le plus exhaustif possible ainsi que le vote (de tous les Centrafricains, réfugiés y compris) et permettre aux différents candidats de présenter concrètement et clairement leur programme politique.
Qui élire ?
Concernant les nombreux candidats déclarés à l’élection présidentielle, les électeurs centrafricains peuvent-ils réellement juger et choisir ? Les Centrafricains ont certes un profond désir de changement et veulent sortir de cette crise. Mais, face à la pauvreté et au faible niveau d’instruction et d’éducation de la population, la démocratie sociale peut difficilement s’imposer. Maintenues dans l’extrême précarité et profondément meurtries par les crises successives, les populations deviennent facilement manipulables par certains politiques qui leur promettent monts et merveilles en pratiquant « la politique du ventre ». À cela s’ajoute le fait qu’elles finissent souvent par voter pour un candidat issu de leur région ou de leur ethnie sans réellement s’interroger sur son profil et son programme.
L’enjeu des prochaines élections en Centrafrique résidera, entre autres, dans la capacité et la volonté d’élire des leaders compétents, intègres et capables de proposer et de mettre en œuvre un plan de développement économique et social solide et ambitieux pour la reconstruction du pays. Le candidat de l’avenir devrait être un homme/une femme de conviction forte capable de rassembler tous les Centrafricains au-delà de leur orientation religieuse. Un leader qui n’a pas peur du défi, capable de respecter et d’appliquer les recommandations du Forum de Bangui. Un leader dynamique, soutenu par son parti politique, qui aurait le courage d’assumer ses prises de position contre la corruption et pour le changement. « Le premier des citoyens » habité par l’amour de son pays, par la volonté de construire un véritable projet de société pour la Centrafrique, pour les jeunes et les femmes et non plus pour des hommes uniquement motivés par l’appât du gain. Un leader humble et conscient du long chemin qu’il faudra parcourir avec l’aide des citoyens et des partenaires internationaux pour reconstruire le pays, assurer son développement et voir changer les mentalités et les pratiques. Celui qui aura une réelle ambition de changer la politique et qui saura inspirer confiance et convaincre par son charisme, son discours et surtout par son programme, par ses actes et par le respect de ses engagements politiques !
La crise de confiance entre les citoyens centrafricains et le politique reste entière. Et, pour permettre aux générations futures de développer « des attitudes de pensée critique » et de faire un « véritable choix politique » personnel, il sera fondamental d’accompagner la formation et l’éducation à la citoyenneté (responsabilité sociale et morale, engagement dans la vie de la cité et éducation au politique), principe de base d’une nation. Pour conclure sur la confiance, le philosophe Alain disait : « Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable ; estimez-le, il s’élèvera. La défiance a fait plus d’un voleur ; une demi-confiance est comme une injure ; mais si je savais la donner toute, qui donc me tromperait ? Il faut donner d’abord. »
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Article publié initialement dans Afrique Éducation, n°422.
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