Par Erwan Queinnec
Contrairement à ce que l’on pense souvent en France, il existe aux États-Unis un filet de Sécurité sociale relativement développé.
Les dépenses publiques liées à la protection sociale au sens large – retraite (Social Security), santé et bien-être (welfare) – représentent en effet 50 % des dépenses publiques américaines (État fédéral et collectivités locales), loin devant le budget de la défense. Soit un total d’environ 3000 milliards de dollars par an (plus d’un sixième du PIB américain).
De nombreuses assurances sociales en vigueur aux États-Unis sont nées lors du New Deal (années 1930). Mais les deux programmes sociaux les plus dispendieux, hors pensions de retraite, datent de la Great Society du président Lyndon Johnson : il s’agit de Medicare et Medicaid (1965). Parce qu’il est intimement lié au vieillissement de la population, le poids économique de ces assurances sociales est appelé à s’alourdir dans les prochaines années. Après avoir défini le périmètre d’application de Medicaid (prestation sur laquelle on s’appesantira), cet article évoquera brièvement cette menace prospective.
On tâchera ensuite d’analyser l’impact distorsif de Medicaid sur l’économie américaine. À en croire l’exemple de cette assurance publique, les effets que certains auteurs imputent au « capitalisme » – concept fourre-tout par excellence – pourraient en réalité provenir des incitations de son État-providence.
Medicaid : de quoi s’agit-il ?
Tandis que Medicare est une assurance maladie accessible aux personnes âgées de plus de 65 ans (environ 600 milliards de dollars annuels au premier trimestre 2015), Medicaid relève d’une logique d’assistance plus composite : il s’agit d’une prestation destinée aux Américains considérés comme vulnérables. Elle est conjointement financée et mise en oeuvre par le gouvernement fédéral et chacun des cinquante États américains. Ces derniers sont libres de leur politique Medicaid dès lors qu’ils respectent les principes généraux établis par la législation fédérale. En particulier, cette dernière précise que Medicaid est réservée aux enfants, femmes enceintes, adultes soutiens de famille, personnes en situation de handicap et personnes âgées de plus de 65 ans considérées comme pauvres. La pauvreté est elle-même définie à l’aune d’un double critère de revenu et de patrimoine (l’un pouvant exclure l’autre) et la nature des prestations ouvertes par Medicaid varie selon le type de population auquel elle s’adresse.
Au-delà des prescriptions fédérales, les États peuvent étendre les critères d’éligibilité à Medicaid.
S’il leur est difficile d’accorder le bénéfice de la prise en charge à d’autres groupes de personnes que ceux prévus par la législation fédérale, ils peuvent naturellement mettre en œuvre des programmes sociaux compensant les « blancs » de cette dernière ; il existe ainsi une profusion de programmes supplémentant l’offre Medicaid et Medicare standard. Les États peuvent notamment relever les seuils fédéraux d’éligibilité et étendre la garantie à toutes sortes de services de prise en charge.
Depuis 2010, la législation fédérale encourage d’ailleurs cette extension de droits (Affordable Care Act de 2010, ACA, plus connu sous le nom d’Obamacare)1.
Un sentier de croissance spectaculaire
Le sentier de croissance des dépenses induites par Medicare et Medicaid est, sans que l’on doive s’en étonner, exponentiel. Avec plus de 1000 milliards de dollars de dépenses annuelles à elles deux, elles pèsent 6 % du PIB américain environ (estimation au deuxième trimestre 2015). Selon certains économistes, cette proportion pourrait atteindre 12 % à l’horizon 20502. Si Medicare promettait jusqu’à peu d’être le principal inducteur de coûts sociaux, l’ACA devrait considérablement accélérer la trajectoire déjà impressionnante de Medicaid.
De 1980 à 2010, les dépenses annuelles de Medicaid sont en effet, passées de 24 à 383 milliards annuels. Cela représente un rythme de croissance de 9,7 % l’an en moyenne soit bien plus que le taux d’inflation sur la période. Pendant ce temps, le nombre de bénéficiaires n’a lui augmenté que de 3,4 % l’an en moyenne (de 19,6 à 53,9 millions de personnes). On se figure dès lors aisément l’impact inflationniste du vieillissement de la population US et de l’extension des droits d’accès à Medicaid consacrée par l’ACA. Cette dérive financière est déjà tangible. Medicaid couvre actuellement environ 60 millions de personnes ; selon le Government Accountability Office (GAO), ce chiffre devrait grossir de 18 millions d’ayants-droit d’ici 2020. Mi 2013, son coût n’était encore que de 430 milliards de dollars. Moins de deux ans plus tard c’est-à dire au premier trimestre 2015, il se chiffre à plus de 520 milliards.
Medicaid est principalement dédiée au financement de la prise en charge de la dépendance. Les personnes âgées de plus de 65 ans en constituent le deuxième groupe de personnes bénéficiaires (loin derrière les personnes en situation de handicap). Or, les besoins financiers induits par le grand âge sont amenés à augmenter avec l’allongement de l’espérance de vie.
Selon certaines sources, l’admission en maison de retraite aux États-Unis ne concerne actuellement que 1,5 % des 65-85 ans mais ce taux bondit naturellement pour les 85-95 ans et les plus de 95 ans3. Autrement dit, les baby boomers sont loin d’avoir encore atteint le pic de dépendance que cette statistique leur promet4. Et au-delà, la part des plus de 85 ans dans la population pourrait tripler d’ici 2050. Si tous ne seront évidemment pas pris en charge par Medicaid, il faut savoir que cette seule prestation procure entre 50 % et 60 % des revenus des maisons de retraite américaines.
Le gouvernement américain est naturellement conscient de cette dérive des coûts. En ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées dépendantes – sur lequel on va désormais se concentrer – la politique publique a notamment diversifié les structures d’accueil, encourageant les formules de garde/assistance en établissement de jour ou à domicile, nettement moins onéreuses que la prise en charge à temps complet (les modes alternatifs de prise en charge sont deux à cinq fois moins coûteux que l’hébergement en maison de retraite médicalisée).
Encore faut-il savoir que les forfaits Medicaid sont insuffisants à couvrir le coût de la prise en charge des résidents qui en dépendent, ce gap financier s’aggravant avec le souci de modération budgétaire dont font (légitimement) montre les autorités publiques. Ainsi, en 2013, lorsque la prise en charge d’un résident en maison de retraite coûte 100, Medicaid ne rembourse que 88 (encore ne s’agit-il que de coûts opérationnels puisque Medicaid ne prend pas en charge les coûts de gestion). Les maisons de retraite américaines – de statut commercial pour les deux tiers d’entre elles – sont ainsi confrontées à un environnement réglementaire incertain, voire schizophrénique : toujours plus de contraintes liées à la qualité servie et moins d’argent pour prendre en charge les résidents dépendant de l’assistance publique.
Par delà ces considérations macroéconomiques, les personnes de plus de 65 ans aspirant à la prise en charge de leur dépendance par Medicaid doivent remplir un certain nombre de critères financiers dont l’analyse fera l’objet d’une seconde partie.
- Il est souvent dit ou écrit que Medicaid est une assurance pour « pauvres ». Jusqu’à la promulgation de l’ACA, ce n’était pas rigoureusement exact. Il s’agissait plutôt d’une assurance pour personnes considérées comme fragiles, s’inscrivant en cela dans une longue tradition de philanthropie américaine. Par exemple, jusqu’à la promulgation de l’ACA, un adulte de 40 ans en situation de travailler et n’ayant pas d’enfant à charge n’était pas éligible à Medicaid, quand bien même son revenu était très faible. L’ACA fait entrer les adultes jeunes, sans enfant ni handicap, dans le périmètre des ayants droits. ↩
- Nariman Behravesh, Spin-Free Economics, Mc Graw Hill, 2009, p. 209. ↩
- De 13 % à 25 % des 85-95 ans séjourneraient en maison de retraite. Certaines estimations font état d’un taux de 50 % pour les plus de 95 ans. ↩
- Selon celle-ci, il y a 78 millions de baby boomers aux USA. ↩
Il existe bel et bien un plan pour ça, par le Républicain Paul Ryan, mais c’est tellement ambitieux qu’il fut ignoré; eT POurtant il va bien falloir gérer cela.
Heu…selon certaines extimations, le budget de la défense (et des services de renseignements) occuperait environs 1200 milliards $.
Et les gouvernements succesifs n’arrêtent par de couper dans les programmes sociaux pour financer la défense. D’ailleurs, sous Bush, les dépenses militaires auraient doublées et L,impôt des riches et été baissé. Ce sont les programmes sociaux qui en ont fait les frais.