Comme cela avait été expliqué, les grandes manœuvres budgétaires ont commencé. Et les élections régionales approchent. Cela n’a pas échappé aux maires de France dont l’association AMF présidée par François Baroin (Les Républicains), maire de Troyes et ancien ministre du Budget, organisait samedi 19 septembre 2015 de vastes manifestations d’élus devant les préfectures pour montrer leur opposition à la « baisse des dotations de l’État » aux collectivités locales, et notamment aux communes. En cause, le plan de « 50 milliards d’économie en trois ans » décidé en 2014 et applicable de 2015 à 2017, dont les entités territoriales sont censées prendre leur part à hauteur de 11 milliards d’euros. Qualifiée de « désastre annoncée » par l’AMF, cette nouvelle donne budgétaire locale n’enchante pas non plus les maires socialistes de Paris, Lyon et Nantes qui considèrent qu’elle va « trop vite, trop loin ». Essayons d’y voir clair, bien qu’en ces matières d’argent public rien ne soit ni simple, ni clair, ni transparent.
De budget en budget, l’enjeu est toujours le même : comment faire redescendre notre déficit public en-dessous des 3% du PIB exigés par le Pacte de stabilité et de croissance de la zone euro ? Il y a deux possibilités : soit on augmente les recettes, c’est-à-dire les impôts et les cotisations sociales, soit on diminue les dépenses. Le gouvernement français ne s’est pas privé d’utiliser abondamment, et pour ainsi dire exclusivement, la première méthode, ainsi que le montrait clairement une étude de l’OCDE rapportée la semaine dernière par The Economist. Mais il faut croire que l’action sur les dépenses lui tient aussi à cœur comme en témoigne l’ambitieux programme de « 50 milliards d’euros d’économie en trois ans » concocté en 2014 et applicable à partir de 2015. De quoi s’agit-il ?
Le programme consiste à prévoir des économies de 21 milliards d’euros en 2015, puis de 14,5 milliards successivement en 2016 et 2017. La répartition selon les différentes administrations publiques sera de 19 milliards pour l’État et ses agences, 20 milliards pour les administrations de Sécurité sociale et 11 milliards pour les collectivités locales. Pour ces dernières, l’effort est réparti également sur les trois années, c’est-à-dire 3,67 milliards d’euros par an.
Cependant, quand on lit la presse à ce sujet, on est troublé par une petite formule qui vient toujours semer le doute sur la réalité de ces économies. Par exemple, dans Le Figaro de samedi, à propos de la fronde des maires, on pouvait lire :
« Dans le cadre du plan de 50 milliards d’euros de baisse de dépenses (par rapport à la hausse tendancielle) programmé sur trois ans (…) »
Et dans le journal Les Échos du 1er octobre 2014 qui faisait une synthèse du plan d’économie en question, on découvrait que :
« (…) le gouvernement fera porter la plus lourde charge sur la protection sociale : 20 milliards d’euros de réduction des dépenses sur la période 2015-2017 (par rapport à ce que serait leur accroissement naturel) (…) »
« Par rapport à la hausse tendancielle », « par rapport à ce que serait leur accroissement naturel » : quésaco ? Cela semble vouloir dire que les économies ne se réaliseront pas par une baisse effective des montants dépensés d’une année sur l’autre, mais par une augmentation plus faible que d’habitude. Prenons un exemple : en 2013 vous avez dépensé 80, puis en 2014 vos dépenses sont passées « naturellement » à 100. Selon les économies à la sauce Bercynoise, vous êtes dans une hausse tendancielle de 20, mais par un superbe effort de volonté vous décidez de limiter la hausse à 10. Vous avez donc économisé 10. Eh bien nos cinquante milliards appartiennent exactement à ce genre d’économies. C’est un peu comme quand j’achète des chaussures en soldes : au lieu de les payer 100, je les paye 60, et je me flatte d’avoir économisé 40. Non, j’ai dépensé 60.
Cette situation nous est confirmée dans l’Exposé général des motifs (I C) du Projet de Loi de finances pour 2015 renvoyé à la Commission des finances de l’Assemblée. On peut y lire que :
« Dès 2015, un premier quantum de 21 Md€ d’économies sera réalisé, soit un niveau inédit qui permettra de ramener le taux de croissance de la dépense publique à 1,1%. »
Autrement dit, la dépense publique en euros courants va bien augmenter de 1,1%, mais elle aurait augmenté plus sans cette décision « d’économiser » 21 milliards d’euros en 2015. Comme elle était de 1 226,5 milliards d’€ en 2014, on en déduit qu’elle sera de 1 226,5 x 1,011 = 1 240,0 en 2015 (si tout se passe comme prévu) alors que laissée à ses penchants naturels (inflation + augmentation de la population + augmentation des prestations) elle aurait été de 1240,0 + 21 = 1 261 milliards d’euros. Une chose est certaine, elle ne baisse pas. Mais elle croît moins vite que la croissance espérée du PIB en euros courants.
Dès lors, qu’en est-il de la dotation globale de fonctionnement (ou DGF) des collectivités locales ? Vraie baisse de l’enveloppe ou moindre hausse ? L’enveloppe baisse vraiment. Elle était de 40,1 milliards en 2014 et selon le Projet de Loi de finances 2015, elle doit passer à 36,6 milliards d’euros courants en 2015. Mais le gouvernement se justifie du traitement très dur qu’il inflige aux collectivités locales (point de vue des maires en colère) en précisant que compte tenu du dynamisme des recettes fiscales locales, en raison notamment de l’élargissement de l’assiette, « cet effort permet de ramener la progression de l’ensemble des ressources des collectivités à un rythme proche de l’inflation sur les trois prochaines années ». Conclusion du PLF 2015 sur ce chapitre :
« Les ressources et les dépenses des collectivités territoriales continueront de progresser mais à un rythme moindre que celui des trois dernières années. »
Les actes de décentralisation et les projets de baisse des dotations de l’État sont souvent le prétexte tout trouvé des entités territoriales pour se plaindre de la faiblesse de leur budget et de leurs difficultés à se financer sans remettre en cause la qualité des services rendus. C’était déjà vrai lors de la réforme Raffarin de 2003, et rien n’a changé depuis. Or les collectivités locales sont fréquemment épinglées par la Cour des comptes pour leur gestion dépensière qui consiste le plus souvent en une augmentation peu rigoureuse des effectifs. Dans un rapport d’octobre 2014, celle-ci déclarait :
« Les finances publiques locales ont évolué défavorablement en 2013.
Pour la période 2015-2017, les dotations de l’État aux collectivités territoriales sont appelées à diminuer de 11 Md€, soit 3,67 Md€ par an, (…). Il n’est cependant pas certain que cette diminution se traduise par une réduction d’un même montant des dépenses des collectivités territoriales. Le risque existe en effet que les collectivités choisissent plutôt d’augmenter le taux des impôts locaux. »
De fait, les impôts locaux ont fortement augmenté, d’environ 70% en dix ans, touchant le plus fortement les propriétaires à travers la taxe foncière. Si l’on prend l’exemple de la ville de Lille, le budget 2015 montre que la baisse de la DGF est minime dans les recettes de fonctionnement et qu’elle est loin d’expliquer à elle seule la hausse des impôts :
Parallèlement à cela, de nombreuses compétences de la mairie de Lille ont été transférées à la Métropole lilloise, ce qui n’a pas empêché les effectifs municipaux de croître fortement pour dépasser les 4 000 agents aujourd’hui. On peut également citer l’absorption des communes limitrophes de Lomme et Hellemmes, censée apporter, outre des bénéfices politiques, des gains dans la gestion municipale. Or beaucoup de fonctions donnent encore lieu à des doublons extrêmement coûteux (source : un élu municipal).
D’une manière générale, l’intercommunalité n’a pas porté les fruits espérés en termes d’économies d’échelle et de transferts de compétences, ainsi que le montrent les deux graphiques ci-contre, tirés du monde.fr. Loin de baisser, les effectifs du « bloc communal » ont au contraire fortement augmenté. La réforme territoriale récente, qui a diminué le nombre de régions à treize et modifié le mode de scrutin pour l’élection des conseillers départementaux, semble également assez mal partie. Incohérente du fait de la conservation des départements, il est douteux qu’elle aboutisse à la moindre économie sur les finances globales.
Dans le cas présent, l’État s’est néanmoins arrangé pour faire baisser l’enveloppe des dotations globales de fonctionnement (DGF) tout en demandant aux collectivités locales, souvent les communes, d’assumer un certain nombre de fonctions nouvelles. Lorsque les communes sont petites, l’équilibre budgétaire peut devenir véritablement périlleux, en dépit de calculs compliqués de péréquation visant à gommer les disparités. La rancœur des maires porte principalement sur les nouveaux rythmes scolaires imposés sans grande préparation par le ministère de l’Éducation nationale et généralisés à toute la France à partir de la rentrée 2014.
De leur côté, les départements sont inquiets à propos du RSA. En raison de la conjoncture économique morose actuelle, le nombre de bénéficiaires a fait un bond considérable ces dernières années. Or le financement du RSA est partagé entre l’État et les départements, ces derniers devant prendre en charge le RSA socle qui s’adresse aux personnes sans emploi. La perspective d’avoir, peut-être, à accueillir des réfugiés assombrit encore le tableau. En cette année 2015 d’élections départementales et régionales, les départements n’ont pas trop augmenté leurs impôts, mais il est hautement probable que ce sera chose faite en 2016.
Devant l’ampleur de la contestation, le gouvernement a promis la création d’un fonds doté de un milliard d’euros afin de soutenir les investissements des collectivités. François Hollande lui-même a fait part de sa sympathie avec les élus en rappelant qu’il connaissait très bien toutes les difficultés à « animer un territoire avec des moyens qui sont forcément limités » (on n’est pas à un petit fonds d’un milliard près).
Des économies qui n’en sont pas vraiment, appliquées (en partie) cavalièrement par l’État à des collectivités locales peu rigoureuses dans leur gestion, voilà toute l’histoire des « 50 milliards d’économies en trois ans » et de la « baisse des dotations de l’État ». Pour conclure, j’aimerais citer ce que m’a dit hier le maire d’une commune de 4 800 habitants à ce sujet :
« Nous toucherons à terme 269.000 € / an de moins qu’en 2013 (cumulé sur 4 ans ça fera 469.000 €). Et la baisse sera bloquée à -269.000€ à vie pour la suite. 269.000 € c’est l’équivalent de 20% de fiscalité si on voulait corriger l’écart (ce que nous ne ferons pas !). Il faudra donc dépenser moins, au détriment du service public et des investissements… »
Ah voilà, dépenser moins ! Pourquoi forcément au détriment du service public et des investissements ? Compte-tenu des remarques récurrentes de la Cour des comptes, est-il absolument impossible de considérer que certaines dépenses pourraient gagner en efficacité et que d’autres pourraient être dévolues au secteur privé ?
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c’est bien là tout le débat (pour autant qu’il y en ait un) :
n’importe quel responsable politique (local en particulier) vous dira que ce que toutes les entreprises font depuis des décennies partout dans le monde est impossible pour une collectivité locale.
j’avoue que je ne m’en lasse pas.
Euh… Vous parlez de déposer le bilan, là ?
en effet, il est totalement impossible pour une entreprise privée de faire ce qu’une municipalité fait… par exemple, pour ramasser les ordures ménagères, il faut impérativement un fonk, sinon, ça sera comme à beyrouth, hein.
dans la ville de morteau, la commune (ou la communauté de communes) a décidé d’inciter ses administrés à faire le tri sélectif des déchets pour « faire des économies » et « préserver l’environnement ». elle est donc passée l’année dernière à l’individualisation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères avec un barème progressif au nombre de levées.
avant, cette taxe était prélevée avec la taxe foncière, le propriétaire devant la récupérer auprès de ses locataires. il y avait donc dans les immeubles des gros containers qui se remplissaient assez vite et étaient levés régulièrement par le camion poubelle.
maintenant, pour éviter que les voisins se comportent en passagers clandestins et jettent leurs ordures dans le containers d’un autre, les containers ont été individualisés, avec une puce électronique pour compter le nombre de levées dans une année, avec un cadenas pour pas que les autres remplissent indûment le container. les containers sont devenus plus petits, un par ménage, y compris pour les célibataires. au lieu de lever chaque semaine un gros container dans un immeuble, le camion benne lève plein de petits containers, perte de temps dans la tournée. chaque container individuel est levé toute les 4 ou 6 semaines, donc les denrées périssables périssent et ça pue.
un fonk s’occupe à temps plein de gérer les contrats de prêt des containers, avec les déménagements, les appartements vides de locataires puis reloués après… un autre fonk s’occupe d’aller livrer des containers ici ou là dans la ville, en reprendre ailleurs en fin de contrat, les stocker, les nettoyer, les réparer…
bilan pour mon immeuble à morteau : pour les petits appartements habités par des célibataires ou des couples sans enfants, + 50 % alors que ce sont eux qui devraient produire le moins de déchets. pour le restaurant, triplement de la taxe.
à l’origine, le but était de faire des économies…
Les maths vus par les hommes politiques c’est toujours croustillant.
Hollande ne peut pas toucher à la fonction publique, là où résident les charges les plus lourdes…60 000 personnes de plus à l’éducation nationale, ce sont plusieurs milliards à la charge de nos enfants et petits enfants…alors il envoie Macron et quelques petites phrases pour leurrer le brave peuple….pitoyable et minable
La cour des comptes, ce n’est jamais que l’état qui analyse les « dysfonctionnements » de l’état. La seule conclusion que l’on peut en tirer est que l’état fait la sourde oreille quand il s’agit de corriger ses bévues.
Sur le fond bien sur, aucune remise en question sur la totale inefficacité d’un système ou chacun fait ce qu’il veut et personne ne rend de comptes. Il est pourtant fatal que l’extension du « périmètre » d’un tel système mène au mur.
En tout cas, cet article explique bien pourquoi les collectivités locales ne se sentent pas concernées. Les économies ne sont pour elles qu’un manque à gagner et non le signal et encore moins l’injonction à réformer leurs pratiques. Je comprends mieux pourquoi la gabegie est toujours en vogue.
Le B-A BA de la bonne gestion: adapter les dépenses aux recettes et pas l’inverse. On n’apprend pas cela à l’ENA
La cour des comptes est plutôt celle des contes, mais elle devrait devenir celle des miracles pour sauver ce titanic post soviétique qu’est devenue la ripouxblique française.
l’intercommunalité n’a pas porté les fruits espérés en termes d’économies d’échelle et de transferts de compétences
C’est le moins qu’on puisse dire. L’interco est une couche de plus dans le millefeuille. C’est un symptôme de plus d’une maladie bien française: surtout on ne change rien aux fromages en place. Il y a trop de souris qui en dépendent. C’est du manque de courage politique, tristement banal.