Par Vincenzo Scarpetta.
Les électeurs catalans se prononcent ce dimanche. Il ne s’agit pas d’une élection régionale ordinaire. Le scrutin sera interprété comme un referendum sur l’indépendance. De fait, le clivage gauche/droite y sera très secondaire par rapport aux choix indépendantiste/unioniste, avec Podemos qui sera le seul parti sans position tranchée sur la question.
Le camp indépendantiste
Convergence Démocratique Catalane (CDC), le parti de centre droit du président catalan sortant, Artur Mas, s’est allié avec la Gauche Catalane Républicaine (ERC). Ces partis, renforcés par de nombreuses associations indépendantistes, ont formé une coalition Ensemble pour le Oui. (Junts pel SÃ). Afin de rassembler le plus de voix possible, la liste est menée par un candidat indépendant, Raül Romeva I Rueda, un ex-député régional « Écologie catalane » ; mais c’est Artur Mas qui conserverait la présidence en cas de victoire.
En cas de majorité absolue, Ensemble pour le Oui s’est engagé sur une feuille de route de 18 mois qui inclut la création de structures étatiques (Banque Centrale, Sécurité sociale, Autorité Fiscale…), une nouvelle constitution et, surtout, une déclaration d’indépendance.
Selon les derniers sondages, Ensemble pour le Oui pourrait se retrouver au seuil de la majorité absolue, et le franchir en s’alliant avec la petite liste indépendantiste de gauche « Candidature d’Unité Populaire » (CUP).
Mais une telle alliance n’est pas forcément aussi simple, vu que CUP fait campagne pour une déclaration d’indépendance immédiate après le vote de dimanche.
Le camp unioniste
Ce camp est plus divisé. Le Partido Popular, du Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, est fermement oppose à l’indépendance de la Catalogne et rejette l’idée d’un referendum à ce sujet. Il a envoyé des signaux contradictoires sur la possibilité d’amendements à la constitution espagnole lors de la prochaine session parlementaire.
Son rival, le Parti Socialiste fait campagne pour une réforme constitutionnelle qui ferait de l’Espagne un État fédéral, accroissant le périmètre des pouvoirs dévolus à chacune des régions, dont la Catalogne. La constitution espagnole ainsi amendée serait soumise à un referendum national.
Les centristes de Ciudadanos appelant à une grande coalition de tous les partis anti-indépendance, incluant Podemos. Une telle alliance a toutefois peu de chances de voir le jour.
Reste Podemos
Podemos va concourir aux prochaines élections allié avec d’autres partis Catalans d’extrême gauche. Le leader de Podemos, Pablo Iglesias a récemment déclaré lors d’une interview :
« Je ne souhaite pas que la catalogne quitte l’Espagne, mais je ne suis pas opposé à l’indépendance. Nous sommes démocrates, pour le droit des peuples à décider et nous respecterons la décision des Catalans… mais pour cela, il faudra faire sauter un verrou datant de 1978 (la constitution espagnole). »
En d’autres termes, Podemos soutient le principe d’un referendum sur l’indépendance de la Catalogne – mais seulement lorsque la constitution espagnole aura été amendée pour permettre un tel referendum. Ce mouvement contestataire ne se positionne pas dans un des camps pour ou contre l’indépendance.
Le scrutin de dimanche ne tranchera pas toutes les questions
Certaines questions clés resteront posées après dimanche. Premier problème, le mode de scrutin permet aux partis indépendantistes d’obtenir une majorité absolue (68 sièges ou plus) avec moins de 50% des voix. Un tel mandat peut-il constituer le « plébiscite » en faveur de la sécession que Artur Mas et ses alliés recherchent ?
Le second point est de savoir si un plan de réformes étalées sur 18 mois amènera le gouvernement espagnol à laisser partir définitivement la Catalogne, ou si les indépendantistes vont devoir aller au clash contre Madrid. Et dans ce cas, sont-ils en mesure de s’imposer ?
J’ai tendance à penser que la stratégie d’Artur Mas et son parti nationaliste modéré, le CDC, s’appuie sur un plan cohérent. En principe, la feuille de route donnera aux leaders catalans assez de temps pour mettre en place, en concertation avec le gouvernement espagnol, des réformes dont les effets se manifesteront après les prochaines élections nationales. Et si les négociations avec Madrid venaient à s’enliser, ou ne suivaient pas le chemin tracé vers l’indépendance, les électeurs de Ensemble pour le Oui se sentiront trahis, et les tensions vont s’exacerber dans la région.
Mais la situation peut devenir imprévisible si un nouveau gouvernement catalan mené par les indépendantistes décide unilatéralement de mettre en place ses réformes sans concertation avec Madrid. L’article 155 de la constitution espagnole donne au gouvernement central le pouvoir de « prendre les mesures nécessaires » pour forcer une région à remplir ses obligations. Mais personne ne sait vraiment ce que cela signifie en pratique. Si Madrid et Barcelone continuent à s’ignorer au cours des prochains mois, on risque d’entrer en territoire inconnu, surtout si le Partido Popular de Mariano Rajoy se maintient au pouvoir en remportant les prochaines sélections nationales.
En fait, je n’exclurais pas qu’une victoire du camp indépendantiste aux élections régionales de Catalogne ait un impact sur les élections nationales en Espagne. Un effet pourrait être de mobiliser, parmi les électeurs espagnols des autres provinces, ceux qui sont attachés à l’unité nationale. Et cela pourrait entraîner une poussée, au niveau national, pour les partis les plus opposés à toute partition du pays : le Partido Popular et Ciudadanos. Certes, la campagne électorale portera aussi sur d’autres enjeux, dont l’économie qui sera très probablement le thème principal, et il est difficile d’anticiper avec précision dans quelle mesure le résultat de l’élection catalane des prochains jours influera sur les électeurs du reste du pays.
Quel que soit le résultat de dimanche, je persiste à penser que chaque camp a commis des fautes. Pendant des années, Rajoy et son gouvernement se sont obstinés à n’apporter que des réponses juridiques face à un problème d’ordre politique. Coté catalan, Mas et les autres leaders indépendantistes n’ont pas été complètement honnêtes envers leurs électeurs sur les implications d’une indépendance envers l’Espagne, notamment en termes d’appartenance à l’union européenne. Redevenir membre de la zone euro et de l’UE nécessite beaucoup de temps, et n’a rien d’automatique. Le double choc consistant à sortir d’une union monétaire et douanière risque d’être dur à absorber pour l’économie d’une Catalogne indépendante.
Si on peut rassembler la volonté politique de faire des réformes constitutionnelles fédérales, il reste possible d’aboutir à un compromis viable. Mais l’élection catalane à venir est un rappel qu’il reste peu de temps.
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Sur le web. Traduction Contrepoints
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