Par Youssef Cherif.
La Tunisie a toujours été regardée comme une lueur d’espoir, le « cliché » du libéralisme et du sécularisme arabe. Par conséquent, le seul fait de parler de la Tunisie conduira à évoquer, avec une sorte de déception et de panique, les 3000 combattants tunisiens qui ont rejoint Daech (État Islamique en Irak et au Levant, EIIL). Le problème résiderait dans l’altération du processus de construction de la nation, lequel a débuté soixante ans auparavant, et qui a laissé certains Tunisiens se sentir étrangers dans leur propre pays.
Qui sont ces 3000 combattants tunisiens ?
Les stratégies de recrutement de Daech restent difficiles à comprendre. L’attractivité de cette nébuleuse aurait différentes explications. Certains avancent des raisons économiques, d’autres parlent d’idéologie ou encore de recherche de gloire ou d’accomplissement personnel. Ces explications, bien qu’elles soient réelles et fondées, ont des contre-exemples. En effet, ces jeunes recrutés par Daech parlent d’autres raisons que celles précisées par les psychologues, les économistes et les politologues : la haine du pays, le sentiment de non-appartenance, et l’ardente volonté de se créer une identité nouvelle, qui sont derrière ce nombre élevé de jeunes tunisiens recrutés par Daech.
Le nationalisme tunisien : de la montée vers la chute
On est accoutumé à dire que la Tunisie a 3000 ans d’Histoire. Mais, en réalité, la Tunisie – comme un État moderne ayant son Hymne, son drapeau, ses frontières et un système éducatif unifié – a seulement 60 ans. Habib Bourguiba, le père de l’indépendance (Président de la République de 1957 à 1987), a utilisé son charisme, sa légitimité, ainsi que le talent de ses compagnons pour faire d’une « poussière d’individus », une nation tunisienne, comme il se réjouissait de le dire à plusieurs reprises.
Le nationalisme tunisien, bien qu’il trouve ses origines dans le 19ème siècle, était limité à une élite restreinte jusqu’à 1930. Grâce au parti du « Destour » au sein duquel Bourguiba a grandi, le nationalisme a été inculqué aux masses populaires. Cependant, cette idée n’a pu se répandre qu’après la généralisation du système éducatif public.
Il est vrai que la construction moderne de l’État a réussi à créer une nouvelle bourgeoisie, et à diffuser l’idée de l’unité nationale en détruisant les divisions tribales et ethniques. Toutefois, toute opposition à ce régime fut sévèrement réprimée. À ce titre, les disciples de Salah Ben Youssef qui appelait à une Tunisie moins « occidentalisée », furent écrasés et ont vu leur leader faire l’objet d’un affreux assassinat politique. En réalité, aucun courant politique n’échappait à la répression. Les nationalistes Arabes, les marxistes et les islamistes eurent tous droit à un traitement violent de la part du régime.
Plus Bourguiba vieillissait, plus les fissures se multipliaient. Le Président rusé devient un dictateur sénile depuis les années 1970, quand la première génération de l’Indépendance prit de l’âge. Sa forte personnalité, son utopie nationaliste, sa lutte contre le colonialisme, toutes ces histoires ont perdu leur retentissement chez les femmes et les jeunes qui avaient été relativement instruits, et qui commençaient à sentir le fardeau d’une économie moderne à laquelle ils n’ont pas été préparés auparavant.
Le redémarrage du « state-building »
À la désillusion de la jeunesse tunisienne, s’ajoute son insatisfaction de la révolution. La crise économique se conjuguait aux conflits entre les partis politiques, pour donner une jeunesse furieuse et mise à l’écart. En effet, le nombre d’électeurs ayant voté en 2014 a baissé d’un million par rapport au nombre d’électeurs qui ont voté en 2011, lequel était déjà faible. C’est cette colère et ce vide laissé par un projet de construction nationale inachevé, que Daech utilise.
C’est avec une main de fer que les autorités tunisiennes continuent de combattre ce phénomène, dans la continuité de la stratégie de Ben Ali. Toutefois, si la solution à la Ben Ali était relativement valable en son temps, elle présente désormais différentes faiblesses. Elle ne peut plus être appliquée en raison de la fragmentation des forces de sécurité nationale. Quant au fait d’accuser la Troïka d’avoir mis en place un climat permissif au terrorisme, quoique partiellement vrai, cela semble non seulement cacher les causes structurelles du problème, mais aussi être un jeu politicien qui manque de prévoyance.
Les preneurs de décisions ainsi que les intellectuels devraient comprendre que le pays est dans une époque qui ressemble aux années 1950, mais avec deux différences majeures : il n’y a ni Bourguiba qui gouverne, ni une cause mobilisatrice. Au lieu de s’attacher à des politiques dépassées, ils devraient penser à demain. Ceci étant dit, un nouveau « state-building » devrait commencer, lequel va avec une réforme radicale du système éducatif.
Contrairement aux décisions souvent imposées par Bourguiba, le processus de reconstruction de la Tunisie devrait être démocratique et exhaustif pour être durable. Cela permettrait aux prochaines générations de savoir d’où elles viennent, et ce qu’elles sont, limitant ainsi le vide que Daech et compagnie sont capable de remplir.
Les Arabes ne retrouveront l’espoir que lorsque la démocratie sera réellement fonctionnelle, et que les élections auront un sens.
—
Sur le web. Traduit de l’anglais par Amir Mastouri pour Libre Afrique.
recherche de gloire ou d’accomplissement personnel…..en tuant , torturant , violant , pillant….? drole de manière de s’accomplir…..il faut quand même avoir l’âme bien noire pour en arriver là , et avoir le gout du sang et de la violence dans les gènes …;
Entrez dans le déni et l’ignorance rationnelle. Ne lisez plus les articles, n’écoutez pas les compte-rendus.
Car si vous n’ignorez pas sciemment, vous serez placée devant cette alternative:
1 – Admettre que l’islam contient un mal qui pervertit tous ces gens, mais silence ! sous peine d’opprobre
2 – Haïr tous ces individus pervers, puisque la perversion, n’étant pas dans l’islam qu’ils croient suivre, est donc en eux.
Évidemment, tant de gens (3000 engagés, mais combien de sympathisants en Tunisie, malgré les risques, combien dans les autres pays musulmans, combien en France même) ne sont pas victimes de quelque étrange virus qui fasse naître dans leur esprit l’idée de charia, dont le jihad est corollaire, et qui est étrangère à notre culture d’origine chrétienne.
Faites comme tout le monde: Cessez de vous tourmenter et cherchez refuge dans le déni et l’ignorance rationnelle.
Mais les élections ont un sens !
En Algérie… il y a 25 ans les islamistes ont gagné. Ils ont gagné en Egypte, et même en Tunisie, etc…
Mais à chaque fois, le pouvoir en place a réprimé.
Même les Tunisiens de France ont voté majoritairement pour le parti islamiste Ennahda en 2011. Bizarre, non ?
Donc dire « quand les élections auront un sens »… est un contresens absolu.
Continuer à en appeler à la « démocratie » comme un totem, relève de la pensée magique.
Le problème n’est pas la « démocratie ». Il est plus profond.
Peut être serait il juste de donner un peu plus de temps aux peuples arabes avant de juger de la pertinence de la démocratie dans ces pays ? On est face à des processus politiques longs, qui peuvent prendre des décennies, mais on regarde ça avec l’impatience caractéristique de notre époque.
Et peut-être que la démocratie n’est pas une solution tout court, ni pour ces peuples, ni pour nous. Et si vous me répondez « c’est ça ou la dictature », je ne pourrais guère être plus critique vis-à-vis de la démocratie.
Je n’idolâtre pas la démocratie. Toutefois les régimes qui précédaient ont échoués et pour l’instant les tunisiens semblent vouloir tenter la démocratie. Je dis juste que l’on ne peut encore pas conclure à un échec de la démocratie étant donné le peu de recul.
La démocratie est la réponse, elle permet des remises en cause que la dictature n’autorise pas. Les débuts démocratiques de la France ont été douloureux et la stabilité a mis des décennies à arriver. Les Arabes ont le droit de construire leur démocratie dans le temps eux aussi, après tout la dictature a échoué pour eux, l’islamisme a échoué aussi sans oublier le nationalisme arabe.
« la stabilité a mis des décennies à arriver »
C’est très important de le dire, avec bien plus de massacres et d’exactions que dans les pays arabes actuellement. Ensuite la France a été l’un des pays les plus libéral et prospère du monde avant de tomber dans le socialisme.
Heureusement que nos défaitistes actuels n’étaient pas la dans le passé, sinon on ne serait que des tribus gaspillant une énorme quantité d’énergie pour taillé des menhir…
Il y a vraiment un problème avec l’impatience de notre époque. Aujourd’hui, alors que dans l’histoire tout les changements politiques d’ampleur ont mis des décennies à prendre place, ceux qui demande du temps pour juger des résultats de printemps arabe sont vu comme ceux qui tentent de se voiler la face.
Autre pourquoi
Pourquoi 60 pour cent des Tunisiens vivant en France ont voté pour le parti islamiste Enhada?
Effectivement, les Tunisiens résidant en France qui votent bien plus pour le parti islamiste que les Tunisiens habitant en Tunisie, c’était surprenant.
Chercher les causes de l’adhésion à la charia dans autre chose que dans l’islam, c’est faire comme l’ivrogne cherchant ses clés sous le lampadaire pour profiter de la lumière…
Je ne sache pas que les problèmes socio-économiques causent par eux-mêmes l’envie d’instaurer la charia, ni que leur absence suffise à la contenir.
Quant à démêler les causes et les conséquences…
L’observation des événements passés ne permet d’exclure que l’islam joue un rôle causal dans les problèmes dont on dit qu’ils engendreraient l’islamisme.
N’ayez pas peur de voir ce que vous voyez, disait Reagan. Le libéralisme a toujours été fondé sur l’objectivité et la raison.
absolument
un homme lucide
C’est normal non, c’est un « état comme les autres… »
http://www.contrepoints.org/2015/09/01/220097-daesh-un-etat-comme-les-autres
Faites donc attention à ce que vous publiez