Les Rentiers de la gloire, une interview de Copeau

Diplômé de l’ENA et haut fonctionnaire, Copeau dénonce de l’intérieur un système qu’il ne connaît que trop bien. Interview.

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Les Rentiers de la gloire, une interview de Copeau

Publié le 3 octobre 2015
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Copeau, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

CopeauJe voudrais avant toute chose apporter une précision de taille. Ce serait commettre une erreur que de croire que Copeau est le simple pseudonyme d’un individu qui se terre derrière l’identité empruntée à un héros d’Ira Levin, qui, dans Un Bonheur insoutenable, a brossé le portrait d’un être singulier qui s’est révolté contre la société martiale et liberticide de la dystopie qu’il imaginait. Copeau est plus la réincarnation dudit personnage qu’un simple pseudonyme. Il a, par conséquent, une vie propre, et celui ou parfois ceux qui l’animent, ne constituent qu’une fraction de cette identité. Et Copeau, donc, a, au sortir de sa scolarité, eu l’occasion de croiser, de travailler en grande proximité, avec divers élus nationaux comme locaux. Je devrais même ajouter avec des élus de tous bords ou presque.

Le titre du livre, Les Rentiers de la gloire, n’est pas un simple jeu de mots. C’est bien plus. Le splendide et magistral film de Stanley Kubrick décrit un monde militaire ultra hiérarchisé, inhumain, cauchemardesque, dans lequel le haut commandement de l’armée française est totalement aveugle et insensible aux conséquences humaines désastreuses de ses choix. Kirk Douglas, magnifique dans ce film sous les traits du colonel Dax, est un superbe héros de la liberté, lui aussi. Les rentiers de la gloire, ce sont ces élus, ceux que l’on appelle les « hommes politiques », et ils sont, eux aussi, assoiffés par leur propre ambition, aveuglés par leurs querelles de pouvoir, prêts à tous pour accéder au prestige et pour le conserver. Les élus d’aujourd’hui, ce sont les généraux Broulard et Mireau d’hier. Même apparat, même gloriole, même condescendance, même avidité, même inhumanité.

Et puis les élus sont les rentiers, au sens premier du terme, de leur élection. Un peu comme les Gremlins, ils passent volontiers du doux chaton qui amadoue les électeurs en campagne électorale à coup de promesses démagogiques, au monstre caractériel dopé à l’orgueil, aux prébendes, au clientélisme, et pour qui la réélection est non seulement une fin en soi, mais la seule et unique fin qui vaille.

Votre livre fustige les élus, qui sont selon vous des individus non seulement manipulateurs, mais aussi néfastes pour la société. Ne forcez-vous pas le trait pour convaincre vos lecteurs ? Ne sombrez-vous pas dans une sorte de caricature ?

Les Rentiers de la gloire est un opuscule qui s’adresse au grand public désireux de comprendre comment les élus fonctionnent. C’est un œuvre de vulgarisation, pas de recherche universitaire. Cet ouvrage ne vise pas à apporter de l’eau au moulin de ceux dont les convictions sont déjà bien établies, ce que j’appelle la « fraction poujadiste » de nos concitoyens. Il y a de nombreux libéraux parmi les membres de cette fraction, et ils sont, en effet, bien convaincus du caractère néfaste des élus.

Les autres, l’écrasante majorité des individus, ceux qui votent, ceux qui s’abstiennent aussi, ont une image plutôt voire très positive des élus. Bien évidemment, cette image fluctue, elle est parfois ternie, par tel ou tel scandale. Mais, globalement, les élus restent des gens que l’on respecte, parfois que l’on admire. Ils sont un peu les délégués de classe ou les boy-scouts de l’âge mûr. La philosophie politique, depuis le Contrat social au moins, fait de l’élu l’artisan de l’intérêt général, le représentant désintéressé du peuple, le mandataire altruiste.

Mon propos consiste à retourner, comme une crêpe, ces certitudes infondées. À soulever le couvercle pour montrer ce que sont vraiment les élus. Comme le disait déjà l’immense Jean-Louis Guez de Balzac, dans son éloge satirique et désopilant de Louis XIII, intitulé Le Prince, « il y a toujours eu, dans les cours, des idoles et des idolâtres ». On pourrait désormais rajouter : et aussi pas mal d’idiots. Voyez plutôt : l’intérêt général est un artifice, une faribole destinée à endormir les enfants pendant les longues soirées d’hiver. D’une part, l’homme ne s’aliène nullement au corps social lorsqu’il rentre en société ; il est un tout incontestable, qui ne peut être envisagé comme une partie d’une communauté non homogène. L’homme devient un être social non pas en sacrifiant ses propres intérêts à un Moloch mythique appelé Société, mais en cherchant à améliorer son propre bien-être. D’autre part, l’état de nature fantasmé par Rousseau est insensé ; l’homme n’a jamais été un être solitaire ; son essence est, au contraire, toujours sociale. Il naît en société et n’a donc pas à s’y aliéner par rapport à un état de nature imaginaire – il n’y a aucune souveraineté d’un ensemble d’individus sur un individu unique. Le bien public n’existe pas, le « tout » est un mythe – peu importe qu’il s’agisse d’une race, d’une classe ou d’un État.

Les politiciens, par essence interventionnistes car il faut bien qu’ils justifient leur existence, prennent prétexte de l’intérêt général pour justifier leur action, ce qui leur permet d’attenter impunément à la liberté et à la propriété d’autrui.

 

« L’élu prêche des doctrines qu’il sait être fausses à des gens qu’il sait être des idiots » (Mencken)

 

Comment qualifieriez-vous les élus et leurs modes de fonctionnement ?

Ce qui fonde l’action des élus, ce n’est en rien l’intérêt soi-disant général, mais la nécessité pour eux de plaire aux électeurs et d’assurer leur réélection. La politique est un marché comme un autre, dans lequel les producteurs s’appellent les hommes politiques, et les acheteurs les électeurs. Contre les votes des seconds, les premiers échangent des promesses d’interventions publiques en leur faveur (subventions, niches fiscales, mesures lobbyistes diverses…). Les politiciens ne peuvent pas faire autrement que de s’inscrire dans cette compétition pour le pouvoir, sinon ils ne seraient pas politiciens longtemps.

Démagogue et élu sont deux synonymes. « L’élu prêche des doctrines qu’il sait être fausses à des gens qu’il sait être des idiots », selon le mot mordant de Mencken.

Au service des élus, il y a le pouvoir d’État (à entendre au sens large, gouvernement, collectivités, organismes collectivistes divers). Cet État, c’est l’« organisation de la voie politique », admirablement théorisé par l’immense Oppenheimer ; c’est la systématisation du processus prédateur sur un territoire donné. L’État fournit un canal légal, ordonné et systématique, pour la prédation de la propriété privée ; il rend certaine, sécurisée et relativement « paisible » la vie de la caste parasitaire de la société.

Ajoutons un autre aspect : il n’est pas rare de présenter les élus comme des parangons de vertu. Toute la littérature politique ou presque porte les élus aux nues. Diverses icônes incarnent dans l’imaginaire collectif la vertu en politique : Gambetta, Clemenceau, Mendès France, peut-être même Badinter de nos jours. Ces figures ont la particularité d’être à la fois bobo-compatibles et aussi, en quelque sorte, des rock stars du prêt-à-penser consensualiste. Mais la « vertu », au sens des auteurs classiques (qu’il s’agisse d’Aristote ou qu’il s’agisse de Machiavel), n’a pas du tout le sens que l’on donne à ce mot aujourd’hui. Elle en est même l’exacte opposée. La vertu politique au sens classique est une habileté, un écran de fumée, une ruse, une roublardise. Elle relève plus du bagout de la vendeuse de fanfreluches que de la droiture ascète du hussard noir de la République.

Tout homme politique promet à ses électeurs le bonheur, comme la prostituée promet à ses clients l’amour. Les scrupules et la grandeur, voilà bien deux notions incompatibles. Les élus ont fait leur choix. De surcroît, les élus sont de parfaites girouettes. Non contents de promettre aux électeurs ce qu’ils veulent entendre, ils baignent aussi dans un océan permanent de contradictions. Comme le disait le cardinal de Retz dans ses Mémoires, « il faut souvent changer d’opinion pour être toujours de son parti ». Enfin, les élus n’hésitent pas un instant à mentir de manière éhontée. Le cas de Jérôme Cahuzac en fournit un exemple récent, mais il est très loin d’être exceptionnel.

George Bernard Shaw disait avec raison que « les hommes politiques et les couches des bébés doivent être changés souvent… et pour les mêmes raisons ». Un bon politicien est aussi impensable qu’un cambrioleur honnête.

Vous faites également appel, pour appuyer votre propos, à une discipline méconnue, la psychologie politique. De quoi s’agit-il et en quoi celle-ci peut être mise au service de votre démonstration ?

Cette discipline méconnue est née aux États-Unis en 1942, lorsque des psychologues ont tenté de dessiner le profil d’Adolf Hitler. Au XIXe siècle, cette discipline fait encore les beaux jours des consultants des services secrets. Elle conjugue une analyse du discours spontané (en particulier les interviews) à une analyse des expressions faciales et des gestes, et enfin exploite les questionnaires et entretiens des proches et des adversaires de chaque cible « profilée ».

Je passe donc en revue plusieurs qualités psychologiques dont les élus sont affublés dans l’esprit du grand public : l’infaillibilité, la volonté de changer le monde, une responsabilité morale et une intelligence qu’ils mettraient au service du plus grand nombre. Chacun de ces mythes est déconstruit méthodiquement.

Il est pour le moins paradoxal que des individus qui ne brillent ni par leur infaillibilité, ni par leur droiture morale, ni même par leur intellect et leur capacité d’analyse, aient néanmoins la prétention, comme Sauron, de nous gouverner tous. Il est vrai que la politique est le seul métier qui se passe d’apprentissage, puisque les fautes en sont supportées par d’autres que par ceux qui les ont commises.

 

« Il est nécessaire de se protéger de l’influence néfaste des élus. »

 

La dernière partie de l’ouvrage s’intitule « Un voyage inattendu », et met en scène des portraits d’élus dans leur biotope. Quelle a été votre ambition en brossant ces différents tableaux ?

Pour bien saisir le mécanisme mental d’un élu, rien de mieux que de se placer dans la peau de celui-ci durant quelques instants. D’endosser le costume sombre du prédicateur de supermarché. À l’instar des Caractères, ou les Mœurs de ce siècle, l’immense ouvrage de La Bruyère, j’ai tenté de dessiner un portrait des élus d’après nature, comme on dit. Et tout comme pour son inspirateur, les élus décrits ici sont des idéaux-types au sens de Max Weber, autrement des personnages certes fictifs mais qui sont représentatifs de ce que les politiciens sont « en vrai ». Ce bestiaire cherche à faire réfléchir, plutôt qu’à pointer du doigt tel ou tel.

Nous vivons dans des régimes démocratiques. Ne peut-on pas considérer que ces défauts que vous mettez en exergue sont en quelque sorte les dommages collatéraux de la démocratie, qu’il faut en « passer par là » pour préserver nos libertés ?

Les rentiers de la gloire rené le honzecJe crois au contraire qu’il est nécessaire de se protéger de l’influence néfaste des élus. Le problème central que pose la politique est que des gens décident à notre place, avec notre argent, de sujets qui ne les concernent pas (ou qui, prétendent-ils, concernent « tout le monde »). Les politiciens et leurs agents (les fonctionnaires, hommes de cette machine qui s’appelle l’État) se substituent à la société civile dans toutes les tâches qu’ils prennent en charge – sauf dans certaines tâches prédatrices, nuisibles ou inutiles (taxation, douanes…).

La politique est le principe selon lequel les hommes de l’État ont le « droit » d’imposer à tous leur volonté. La politique, c’est l’art de créer des problèmes qui donneront aux hommes de l’État l’occasion de se faire passer pour des gens utiles, en prétendant résoudre ou pallier les inconvénients qu’ils ont eux-mêmes créés.

Or, par définition, quand l’un en impose à l’autre, le premier exerce son joug sur le second ; la politique est donc par définition la loi du plus fort, et l’antithèse de la liberté. Les politiciens cherchent à changer l’identité du plus fort, pas le fait que le plus fort fasse sa loi.

Il faut, au contraire, reconnaître à chacun une sphère qui lui est propre, où nul autre n’a le droit de lui imposer sa volonté, et qui s’étendra ou se rétrécira selon l’exercice responsable de sa liberté. « Aussi longtemps que les arguments en faveur de la liberté individuelle n’auront pas conquis les esprits, la démocratie restera un moyen très efficace d’étendre indéfiniment les activités de l’État », dit le lumineux Pascal Salin. Nous ne cherchons pas de bons maîtres, ni à être nous-mêmes de bons maîtres.

Nous ne voulons simplement pas d’esclaves.

Sur le web

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  • Un haut fonctionnaire qui dénonce les élus… C’est l’Hôpital qui se moque de la Charité.

    • Copeau est le fondateur de l’association liberaux.org, l’organisation libérale la plus dynamique sur internet. Il est aussi celui qui a créé il y a près de 20 ans (eh oui !!) le premier site de vulgarisation libérale sur internet (version 1.0), le premier qui a compris le potentiel de l’internet pour diffuser au grand public les idées libérales dont il était privé : c’est grâce à lui que de nombreuses personnes totalement ignorantes de la philosophie libérale ont pu s’initier à la tradition française du libéralisme ou aux idées libertariennes américaines qui étaient jusqu’alors jamais diffusées sur le sol français. C’est lui qui a créé Wikiberal, la seule et véritable encyclopédie libérale en ligne, d’excellente qualité, dont il a rédigé une bonne partie des articles : http://www.wikiberal.org/

      Et surtout, c’est grâce à lui que Contrepoints existe, et que vous avez la possibilité de poster ce commentaire indigent.

      Et vous, de votre côté, en dehors de poster des commentaires fondés sur de bêtes préjugés, qu’avez-vous fait pour défendre les idées libérales ?

  • Un super livre qui se déguste rapidement comme le reste de cette collection Les Insoumis. La partie Un voyage inattendu est exquise. Merci Copeau.

  • Ça à l’air très intéressant ! Cela semble être un must have !

    Malheureusement, toutes ces lecture ne font que me mettre en ébullition… il faut que j’en parle à un cardiologue…. 🙂

  • Merci pour vos commentaires !

    Si cela peut vous rassurer, je ne travaille plus pour l’Etat, ni d’ailleurs pour le secteur public, depuis bien longtemps, comme tant et tant d’autres énarques d’ailleurs.

    Ce n’est pas simple de faire passer des idées fortes dans un format inférieur à 100 pages. Je me suis efforcé de proposer quelque chose d’agréable à lire, taillé à la serpe, à défaut de faire oeuvre scientifique. J’espère que vous prendrez autant plaisir à le lire, que moi à l’écrire !

    Ce bouquin, comme tous ceux de la collection les Insoumis, a par ailleurs l’insigne avantage d’être pas cher (9€, moins de 7€ en version ebook), j’espère que vous n’hésiterez donc pas à le lire !

    • Que tu ne travailles plus pour l’Etat ni ne me rassure, ni son contraire. Je veux dire par là qu’en fait, je n’en ai cure. (Si tu préfères, ne te sens nullement obligé de te justifier).

      Néanmoins, en tant que libertarien, ce livre, ton livre, ne peut que me conforter dans ce que, depuis belle lurette, je pressens.

      Merci donc pour cet ouvrage dont je ne manquerai pas de faire la promotion à l’occasion.

    • Dont acte. Je réagissais de façon un peu brutale à une attaque en règle des élus qui peut correspond à une part de vérité, mais donne l’impression de justifier la technocratie. Et cette dernière, que je connais bien, est aussi faillible que les élus, sans en avoir la légitimité.
      Et les électeurs ont beaucoup à voir dans le comportement de ces élus, je continue à penser qu’on a les élus qu’on mérite.

  • en France : seuls les parlementaires votent les lois
    la majorité des gens ne votent pas ils  » élisent » le mot exact est mandate ( donner mandat ) c’ est idiot de confondre les 2 non ? réfléchissez , est – ce que les députés mandatent ou élisent les lois ? vous comprenez pourquoi ces mots ont des significations différentes ?
    ce pays n’ est nullement démocratique (contrairement à ce que prétendent ici Auteur et Questionneur les lois étant votées par une minuscule majorité environ 0,0000étc du corps des votants ( dit électoral

  • Je crains que l’auteur ne force la note, trompant ainsi le bon peuple comme il le reproche aux élus.

    Bien sûr, la classe politique française dénote dans le concert des pays démocratiques étrangers par le faste, la prétention, et la conviction sue le suffrage universel a directement remplacé le Droit divin … Cela sidère et amuse l’observateur étranger.

    Mais pour avoir longuement Å“uvré dans les milieux politiques belges, j’y ai trouvé une vaste bio-diversité et toutes les gradations possibles en terme de modestie, de dévouement, de compétence, de loyauté, de sordides combines et d’auto dérision.

    Il n’y a pas de portrait type des plombiers ni des charcutiers, il n’y en a pas non plus de la classe politique.
    Le faire croire est de la fumisterie.

    • Sauf dans l’augmentation constante des prélèvements obligatoires (charges, taxes et impots), qui -surprise- leur donne plus d’opportunités (postes dans diverses intercommunales et A »SBL », par exemple) . Ce n’est pas tant si ces gens sont bons ou non, c’est ce qu’ils font.

  • Je n’ai pas encore lu le livre, mais la solution ne serait il pas d’assortir à la baisse du nombre délirant des élus en france, une limitation de leurs mandats, et la suppression de tout avantage, nomination de fonction, ou dédommagement entre 2 mandats, afin de supprimer le « métier exclusif » d’élu ?

    Petite aparté sur la derniere phrase de l’article: les élus n’ont pas à être de bons maître puisqu’ils sont plutôt nos chiens de garde. Et comme le dirait le philosophe alain (cf article actuel sur contrepoint), il faut empêcher les chiens de garde de mordre leurs maîtres…

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