Récemment, la presse a offert quelques surprises à ces libéraux qu’on compte en doses homéopathiques dans le paysage politique français. Dans une salve de quelques articles consacrés à la représentation des idées libérales (ou leur expression après passage par le filtre journalistique), les médias nous ont en effet proposé de s’intéresser à eux. Furtivement, je vous rassure.
Le début fut timide dans l’improbable production gauchiste, Les Inrocks, dont la prétention musicale a depuis fort longtemps été abandonnée au profit de la propagande boboïde éco-consciente et politiquement fidèle (fidèle, comme dans Castro). Le libéral assumé que je suis y apprenait, surpris, l’arrivée de Christophe Carron à la co-rédaction en chef du Grand Journal de Canal+, après avoir occupé le poste de chef de rédaction à la Grande Édition sur la même chaîne. Ce Carron-ci (à ne pas confondre avec Aymeric Caron, la hyène herbivore) a une curiosité qui justifie à elle seule le petit article des Inrocks : il entretient un intérêt très prononcé pour les libertariens, voire serait lui-même de la bâtisse. Dans le monde respectable du journalisme français, ce nouveau genre un peu grotesque attire forcément l’attention, et le petit blog gauchiste jadis consacré à la musique ne pouvait donc pas louper l’occasion de nous entretenir des vices de ce nouveau co-rédac’ chef.
C’était début septembre et on pensait que ce serait tout. Il n’en fut rien.
Rapidement, Libération, le Titanic éditorial au flanc déchiré par l’iceberg de la réalité capitalistique et d’une audience tous les jours plus maigre, prenait la relève et tentait de couvrir les bruits gargouillés de son avachissement dans l’eau froide du néant journalistique en faisant paraître à son tour un article complet sur les libertariens, et présentait l’étrange courant politique en feignant de découvrir son infiltration dans la pop-culture (sans toutefois parvenir à s’affranchir complètement de son biais tendrement étatiste, visible dans quelques unes des piques au raz des pâquerettes saupoudrées le long du billet).
La surprise fit place à la stupéfaction lorsqu’ensuite se succédèrent à un rythme rapide un article sur L’Express expliquant que les libéraux perceraient en politique (diable !), un article des Échos découvrant une majorité de Français prête à prendre un tournant libéral, et un numéro complet de L’Expansion décidé à traiter des nouveaux libéraux.
Bien sûr, même si dans ces différents médias, les journalistes tentent l’explication de texte libérale avec leurs gros doigts gourds d’étatistes plus ou moins assumés, et même si, en conséquence, les traits brossés sont souvent caricaturaux, flous ou mal cadrés, il n’en reste pas moins que cette quasi-déferlante d’articles sur une tendance libérale qui poindrait dans le paysage politique est intéressante.
En réalité, elle ne fait que suivre le courant général imposé par les saillies de certains dirigeants politiques, Emmanuel Macron en tête, lorsqu’il rappelait récemment que le libéralisme est une valeur de gauche, faisant s’étrangler à la fois les dinosaures les plus calcifiés de son parti et toute la petite intelligentsia scribouillarde du Paris Qui Sait.
De fil en aiguille, on en retrouve même des articles hors de France constatant le regain d’intérêt pour le libéralisme, comme ici en Allemagne, et, plus général, ici aux États-Unis.
Eh oui ! Tout comme le notait Philippe Fabry dans une série d’articles sur Contrepoints, le libéralisme semble revenir, doucement mais sûrement, sur l’échiquier politique, et par le côté gauche.
Et la raison de l’apparition de ces articles dans une presse normalement diamétralement opposée aux idées libérales est assez simple : les journalistes vendent du papier (ou, de nos jours, du clic) et ils ont donc besoin de buzz, de déclencher un intérêt chez leurs lecteurs. Or, de nos jours, présenter un rebelle contre la société qui serait anti-capitaliste, anti-libéral, c’est prendre le risque évident de partager les audiences en chute libre des Inrocks et de Libération parce que d’une part, se réclamer anti-système, c’est ce que tout le monde fait et que se réclamer de l’antilibéralisme, c’est ce que tout le monde crie à tue-tête. Il n’y a pas à tortiller : se distinguer nécessite un positionnement différent.
Tant sur la forme que le fond, pour la presse, parler des libéraux est un bonus rafraîchissant en ces périodes de lectorat difficile.
Sur la forme, les médias ont en effet l’impératif, lorsqu’ils doivent intéresser, de changer leur fusil d’épaule et d’apporter une petite touche subversive ; or, en matière de subversion pas trop violente, quoi de mieux que ces nouveaux punks avec ou sans chiens, que ces nouveaux réfractaires aux partis en place, que ces insoumis aux syndicats installés, que ces écorchés vifs de la politique ? En plus, ils ont le bon goût d’être à la fois peu nombreux, précisément parce que marginalisés par toute la presse, et généralement présentables en interview, sur les plateaux télés ou dans les pages glacées des magazines, dans un mix bien marketable de gendre idéal et de poil-à-gratter polémique.
Sur le fond, il y a au moins deux bonnes raisons à évoquer maintenant les libéraux. D’une part, ils ne représentent effectivement aucun risque réel (on est loin des groupements fascistes). Au pire, quelques pirouettes rhétoriques, et le libertarien invité sur un plateau, le libéral humaniste sera ridiculisé avec gentillesse et on pourra reprendre le cours normal de ses activités. À ce titre, Libé ne se mouille pas et réduit le libéralisme à une petite tendance pop sympatoche, un fun culturel mais surtout pas trop politique, là où L’Expansion se fait violence et va interroger des réformistes très modérés voire conservateurs, au business compatible avec l’État social, histoire de tenter une approche de substitution pour la social-démocratie en train de crever de vieillesse…
D’autre part, leurs idées détonent vraiment sur le consensus général. Ainsi, à part sur les questions d’immigration, les différences entre un Jean-Luc Mélenchon et une Marine Le Pen sont très vite balayées. Quant aux politiques des partis dits de droite et de gauche, elles sont toutes si semblables que les observateurs sont bien en peine de distinguer la sociale-démocratie de Hollande de la démocratie-sociale de Sarkozy, de Juppé ou de Bayrou. Dès lors, la position libérale tranche sur à peu près tous les sujets, soit en ne permettant pas un classement facile à droite ou à gauche, soit en étant diamétralement opposée à toutes les positions traditionnelles du spectre politique français actuel.
Maintenant, à lire ces articles récents, il faut convenir que le retour des libéraux dans les petits papiers de la presse n’est pas pour aujourd’hui. Entre le choix unilatéral de ses représentants (franchement discutable) et la présentation plus que moyenne qui en est faite, on ne peut pas dire qu’on soit proche d’une lune de miel.
En fait, ces récents articles en disent bien plus long sur l’état général de décrépitude de la politique et de la presse française que sur l’existence (réelle ou fantasmée) de libéraux en France, et de leur fantasmagorique infiltration un peu partout. Dès lors, la bonne nouvelle, c’est que la presse, sentant les affres de l’agonie s’approcher, ayant bien du mal à proposer des idées et des points de vue « neufs » sur les questions économiques ou politiques, se résout à donner un peu la parole aux libéraux.
La mauvaise, c’est qu’il n’y a plus guère, chez les journalistes, l’équipement idéologique et la culture politique minimale pour analyser les informations qui leur parviennent en retour.
Bel article intéressant. Les libéraux ont aussi l’avantage de ne pas avoir de parti politique qui puisse relayer ces idées !
La seule chance pour un parti libéral de s’imposer en France serait d’utiliser une approche de long terme qui se concentrerait au niveau local : on concentre tous les efforts et ressources sur une région, comme par exemple la Bretagne vu qu’elle a donné naissance au bonnets rouges, puis une fois arrivé à un stade où le parti peut rivaliser avec les grands partis et gagner des mairies on commence à profiter de cette influence pour pour s’étendre à la région voisine mais plus rapidement en tirant les leçons des éventuelles erreurs commises en Bretagne..et on fait ça jusqu’à être présent localement dans tout le pays, à partir de là on peut se lancer à la présidentielle avec le soutien de réseaux locaux bien implantés et des élus locaux qui connaissent le terrain et peuvent montrer l’effet du libéralisme dans leurs communes ou régions afin de prouver que cela fonctionnerait à l’échelle nationale et proposer enfin une vraie alternative. C’est du long terme et prendrait 15 à 20 ans mais ça serait très efficace.
Ou faire une scission, par exemple le long du méridien de Greenwich :
– Une France occidentale, libérale (rejoignant une Europe du Nord).
– Une France orientale, socialiste.
De façon libre, chacun peut choisir d’aller d’un bord ou de l’autre de cette ligne de démarcation.
Ne rigolez pas trop, c’est un scénario tout à fait possible, et pas si con que ça.
La France est une et indivisible. Ça marchera pas.
L’URSS aussi se croyait unie. Elle a explosé quand même.
La Corée s’est séparée. D’autres également. L’Ecosse, la Catalogne…
L’ampleur de la déflagration à venir peut apporter des solutions inimaginables.
La France est unie géographiquement, mais divisée idéologiquement. Impossible d’appliquer une politique qui ne mécontente pas la moitié de la population. Et bien soit, coupons-la en deux!
Puis choisis ton camp, camarade.
Pas très sympa votre idée ! J’habite à l’ouest du méridien zéro, et mon boulot se trouve à l’Est de la ligne imaginaire …. Franchement, trouvez autre chose !
Imposer quelque chose d’en haut pour que tout le monde se positionne « librement », voilà une belle idée socialiste.
Macron et Valls sont plutôt bien perçus et officiellement soutenus par le Secrétaire Général Normal Ier. Il est difficile pour les journalistes bobos conscientisés de ne donner crédit qu’à l’ultra-gauche : il ne faut pas oublier qui donne les ordres et d’autre part un peu de rhétorique permet d’expliquer pourquoi eux-même sont si loin dans leur niveau de vie et leurs préoccupations de la masse grouillante des sans-dents.
La difficulté est de canaliser ce libéralisme d’opportunité et de retourner sa veste discrètement, afin de ne surtout pas remettre en cause leur propres positions : intégrer un peu de libéralisme au boboïsme. Je demande à voir, tant le libéralisme est incompatible avec l’idée d’une classe bien-pensante et moralisatrice qui imposerait son point de vue à tous.
Je ne me fais pas d’illusion sur ces journalistes qui ont découvert une petite niche marketing pour tenter de vendre leur papier. Je crois pourtant qu’il y a une vague de fond, un peu confuse certes chez les citoyens, plus éclairée chez quelques trop rares politiques, pour essayer la seule chose qui n’a pas été tentée en France pour s’en sortir : une vision et un programme plus libéral.
De la parole des politiques aux actes, lorsqu’il fallait faire preuve de courage et privilégier l’intérêt général sur les corporatismes et les lobbies, il y a toujours eu un abime. Si les Français font ce choix en 2017, un président plus libéral pour de vrai, j’exclus donc Hollande, Le Pen, Sarkozy, Juppé, n’aura que quelques mois pour agir avant que l’étau des lobbies et des corporations ne se referme sur lui. Plus de temps à perdre, 5 ans de perdus de plus et la France sera définitivement décrochée du peloton des pays qui réussissent., qu’elle conserve encore une chance tient déjà du miracle.
Bon article sauf pour la phrase
« Tout comme le notait Philippe Fabry dans une série d’articles sur Contrepoints, le libéralisme semble revenir, doucement mais sûrement, sur l’échiquier politique, et par le côté gauche » juste lol. Macron (il y a suffisamment d’articles sur contrepoints sur le sujet) n’est pas du tout libéral. Je vois mal qui à gauche est libérale
D’ailleurs, si vous regardez les personnalités libérales en France, elles sont en général proche du centre ou de la droite (qui n’a pas grand chose de libéral).
Pensez que le libéralisme va arrivé par la gauche est totalement utopique.
Si, le libéralisme vient d’un côté c’est plutôt de la droite (exemple Fillon, certes, qui ne peut pas être qualifié de « libéral » mais qui est la personnalité politique nationale la plus libérale en France).
La gauche est en train (doucement et lentemment) d’abandonner ses dogmes marxistes. La gauche francaise est en train de peu à peu se normaliser (autrement dit de devenir comme les autres gauches européennes càd social démocrate ).Cela ne veut pas dire qu’elle devient libérale (certes, elle devient plus libérale qu’avant ce qui n’est pas dure mais reste social démocrate).
Si vous comparez la gauche francaise à la gauche européenne « normale », la gauche francaise est l’une des plus à gauche, des plus arriérés (elle croit encore à des vieux dogmes marxistes et keynésiens démontés depuis longtemps).
L’exercice du pouvoir l’a obligé à faire preuve d’un minimum de réalisme. Si Hollande n’a pas appliqué son programme c’est qu’il était totalement irréaliste
Avec tout le respect que j’ai pour Fabry, sa définition du clivage gauche/droite est fausse. En tout cas, elle ne marche pas du tout dans tous les pays et à toutes les époques. En science politique, il y a plusieurs définition gauche/droite mais aucune comme celle de Fabry. Perso,je pense que l’on ne peut pas définir le clivage sur une seule question (par exemple, l’égalité ou le conservatisme) mais il faut définir sur plusieurs questions.
Si on étudie le clivage gauche droite, on voit qu’aucune définition de science politique n’est vraiment convaincante. Je pense qu’il faut faire un mix de plusieurs défintions.
La droite n’est pas tjs conservatrice même si c’est souvent le cas. De même, la gauche n’est pas tjs prgressiste même si c’est souvent le cas. A noter que j’ai l’impression que Fabry confonds le conservatisme et l’immobilisme et le progressisme et le réformisme.
Complètement d’accord avec cet article. De toute façon aujourd’hui tout le monde peut se déclarer libéral tant qu’on empiète pas trop sur ses propres avantages. Personne n’ira voter pour un programme pour la fin du régime de retraite par répartition, la fin de la Sécurité Sociale, des accords généraux dans tout ce qui concerne l’emploi, les allocs, le quotient familial.
C’est toujours mieux que rien, si cela permet à quelques lecteurs et journalistes de se rendre compte que le libéralisme n’est pas juste une insulte équivalente à un « caca boudin » enfantin quand on est à bout d’arguments.
Faut changer les mentalités…. la génération de mes parents est foutues mais ils vont bientôt y passer.
La mienne est pas prête. Espérons pour l’avenir.
Ce n’est même pas une question qu’elle soit prête car nos générations ont d’ores et déjà été hypothéquées.