Par Gilles Agricole.
« Plus de 2 000 milliards de dettes, tu te rends compte ! » s’exclame Madame Michu. Assise à une terrasse de café, elle discute avec une amie. « L’État français est surendetté ! Moi, je mets un peu de sous de côté ; au rythme où vont les choses on n’est jamais trop prudent ! »
Les propos de Madame Michu illustrent parfaitement les limites du keynésianisme : lorsque l’État s’endette, les gens voient des ennuis et des impôts se profiler à l’horizon et sont enclins à épargner, sapant ainsi la relance par la dépense publique.
Selon la pensée économique dominante :
- les entrepreneurs ne produisent et n’embauchent que s’ils anticipent des profits ;
- dès lors, en cas de chômage, l’État peut relancer l’économie par des dépenses publiques ou des taux d’intérêt quasi nuls, faisant ainsi espérer des profits aux entrepreneurs.
Hélas, les dépenses publiques financées par des déficits créent… des déficits, donc des impôts en devenir, les taux d’intérêt quasi nuls créent des bulles spéculatives.
Comment les déficits créent… des déficits !
« Vous avez fait des plans de relance avec de l’argent qui n’existe pas » reprochait récemment un journaliste à un homme politique. Le recours aux déficits se justifierait par le concept d’effet multiplicateur. Vulgarisé par l’économiste Keynes, ce concept suggère que l’investissement public permet d’obtenir bien plus que la dépense initiale. Ainsi, si l’État dépense 1, l’effet multiplicateur lui permet d’espérer en retour sur investissement d’au moins 1,25 voire 1,5 en recette de l’État ; cette « impulsion » créée par la dépense publique (financée par déficit) serait source de croissance, de hausse des revenus, donc d’impôts supplémentaires et au final de recettes pour l’État. Dès lors, pourquoi s’abstenir ? Autant empiler les déficits et y aller gaiement.
C’est ce que l’on a fait. Résultat : plus de 2 000 milliards de dettes !
En réalité, les déficits créent… des déficits et l’effet multiplicateur n’est pas prouvé. Plusieurs études montrent en effet qu’une dépense publique de 1 n’augmente pas le PIB de 1 ou 1,25 mais de… 0,44 ! Pire, les dépenses publiques subventionnent bien souvent l’achat de produits étrangers (en stimulant les importations). N’oubliez pas que notre économie est largement ouverte sur l’extérieur. Le degré d’ouverture de la France représente près de 30% du PIB.
En 1975 comme en 1981 les plans de relance se sont soldés par un creusement du déficit du commerce extérieur. Nos déficits ont surtout relancé la croissance… de nos partenaires commerciaux ! Les Français ont acheté des produits des pays émergents ou des machines allemandes.
La relance par le déficit est inopérante. Alors comment relancer la croissance ? La baisse des taux d’intérêt fonctionne-t-elle ?
Les taux d’intérêts quasi-nuls créent des bulles spéculatives
Le gouverneur de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, déclarait récemment :
« Une période trop prolongée de taux d’intérêt réels très bas peut avoir des conséquences indésirables dans des sociétés vieillissantes où les ménages s’inquiètent de devoir mettre plus d’épargne pour leur retraite » – Les Échos, 18 mai 2015
Taux bas signifie moins de rémunération. D’où la nécessité de « davantage d’épargne ». Davantage d’épargne en France, cela veut dire davantage d’argent sur les livrets A, les contrats en euro d’assurances-vie ou l’immobilier.
- Les deux premiers placements financent la dette publique dont le taux n’a jamais été aussi bas de toute l’Histoire de France. Ce qui veut dire que les obligations souveraines françaises n’ont jamais été aussi chères ou n’ont jamais rapporté si peu.
- Quant à l’immobilier, les prix atteints sont si élevés qu’ils privent la majorité des jeunes actifs de toute perspective d’accession à la propriété.
L’immobilier et les marchés obligataires ont atteint des sommets historiques et la seule motivation des acquéreurs pour acquérir à ces prix déjà très élevés est qu’ils espèrent revendre plus cher. Ceci est la caractéristique d’une bulle.
Mais Mario Draghi aurait pu aussi ajouter qu’avec des niveaux de dettes publiques aussi élevés, chacun anticipe des hausses d’impôts ! Selon l’économiste Robert Barro, les agents économiques anticipant des hausses d’impôts épargnent : la relance s’en trouve alors neutralisée (Robert Barro, « Are Government bonds net wealth ? » Journal of political economy, 1974). Dès lors, on comprend mieux l’échec des différents plans de relance.
Les déficits conduisent aux déficits, l’épargne et donc l’investissement sont mal utilisés, la perspective de hausse d’impôts rend les gens frileux et amplifie le phénomène. À la clé, chômage et croissance en berne.
Je vous donne rendez-vous demain car nous verrons ensemble comment mettre toutes ces théories de côté et je vous montrerai une solution pratique pour mettre votre épargne à l’abri.
À demain !
En réalité la majorité des études sur le multiplicateur budgétaire relatif aux dépenses publiques convergent pour mettre en évidence son existence mais également un effet multiplicateur assez élevé entre 0,9 et 2,6. On pourra lire entre autres : http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2012/wp12190.pdf
,http://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/17447.html
http://www.nber.org/papers/w16311
http://artsci.wustl.edu/~gradconf/Papers%202010/Papers%202010/panovska.pdf
http://www.newschool.edu/scepa/publications/workingpapers/2010/Semmler%20Mittnik%20WP%202010_8.pdf
http://ideas.repec.org/p/zbw/bubdp1/201103.html
http://ideas.repec.org/a/aea/aejmac/v4y2012i1p22-68.html
http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/european_economy/2012/pdf/ee-2012-4.pdf
http://www.oecd.org/economy/economicoutlookanalysisandforecasts/42421337.pdf
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1475-5890.2010.00114.x/abstract
http://ideas.repec.org/p/zbw/bubdp1/201103.html
http://artsci.wustl.edu/~gradconf/Papers%202010/Papers%202010/panovska.pdf (ici la conclusion est que le multiplicateur associé aux dépenses est plus élevé que celui associé aux impôts uniquement en période de faible activité).
Concernant l’endettement de la France, rappelons quelques points trop souvent omis. Il provient à 80% de l’Etat (le reste provenant de la sécu et des collectivités locales). Or si on regarde la tendance depuis plus de 30 ans, on s’aperçoit que les dépenses de l’Etat relativement au PIB sont restées stables (on même eu tendance à légèrement diminué mais c’est peu significatif). Par contre, lorsqu’on regarde les impôts, on s’aperçoit que ceux-ci ont diminué bien davantage et cela de manière significative. Je laisse au lecteur le soin de conclure.
Enfin, concernant le théorème d’équivalence ricardienne énoncé par Barro (qui est le type même d’économiste orthodoxe), il oublie deux choses fondamentales qui ébranlent sa conclusion : d’abord il oublie que les Etats se débarrassent de leur dette rarement par des hausses d’impôts mais surtout grâce à l’inflation, ce qui devrait conduire un agent rationnel à éviter d’épargner puisque l’inflation sera néfaste à son épargne. Secondement, il oublie que l’endettement (public ou privé d’ailleurs) est nécessaire à la croissance économique. Si on suppose que les agents économiques connaissent ces deux vérités historico-économiques, le théorème de Barro a du plomb dans l’aile.
Bonjour,
avez vous une source pour « Plusieurs études montrent en effet qu’une dépense publique de 1 n’augmente pas le PIB de 1 ou 1,25 mais de… 0,44 ! » ?
Merci
Aqtarus,
Lisez :
« NEW KEYNESIAN V OLD KEYNESIAN GOVERNMENT SPENDING MULTIPLIER » JOURNAL OF ECONOMIC DYNANMICS AND CONTROL, MARS, vol. 34, n° 3, p. 281-295
Gilles AGRICOLE
Merci,
avez vous un lien internet svp?
A mon avis l’épargne est plutôt bonne quand elle est canalisée vers les bons investissements qui produiront des richesses supplémentaires ensuite. En revanche si cette épargne est utilisée pour financer des dépenses de fonctionnement (c’est à dire de la consommation de biens produits) de l’état ou des dépenses de redistribution qui sont aussi in fine des dépenses de fonctionnement de bénéficiaires, alors la société ne fait que manger par avance une part de production future qui restera stagnante faute d’investissement.
Ben entendu si l’épargnant n’anticipe pas une spoliation future de son épargne (par l’impôt ou par des taux de rémunération de plus en plus faibles voire négatifs), il essaiera d’arbitrer de façon raisonnable entre consommation présente et consommation future (i.e. investissement). Donc si l’on veut retrouver le chemin de la croissance, il faut modérer les dépenses financées par l’impôt ou l’endettement public. La relance par l’état doit être homéopathique (juste pour lisser les accidents temporaires) et uniquement via de vrais investissements judicieusement choisis.
Il faut par ailleurs noter que l’excès d’épargne alors que les actifs correspondants sont stagnants en volume, ne peut que conduire à des bulles comme c’est typiquement le cas en immobilier. Le ratio valeur monétaire de l’épargne/ actifs physiques correspondants peut fortement croitre (bulle) alors que les actifs physiques ne changent pas si le total des épargnes monétaire croit.
Quand on ne la canalise pas, l’épargne se dirige toute seule vers les « bons » investissements. Quand on la canalise, les investissements qui sont ainsi sûrs de la recevoir deviennent mauvais, simplement parce que rester bon demanderait des efforts inutiles.
Ce que je considère comme mauvaise destination de l’épargne c’est la dette publique (les OAT quasi imposées par la réglementation aux assureurs, caisses de retraite…). Je pensais que c’était clair dans mon texte. Quand aux autres destinations possibles, je suis partisan de laisser faire le marché en rendant la fiscalité aussi neutre que possible. Par exemple en supprimant tous les impôts et taxes en dehors de la tva (ne vous réjouissez pas trop vite, cela suppose que son taux soit augmenté !)