Entretien avec Serge Schweitzer (1)

Un entretien avec l’économiste libéral Serge Schweitzer, à l’occasion de la parution d’un livre cosigné avec Loïc Floury.

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Serge Schweitzer (Crédits : Serge Schweitzer, tous droits réservés)

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Entretien avec Serge Schweitzer (1)

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 5 novembre 2015
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Réalisé par Benjamin Guyot, à Aix-en-Provence

Bonjour Professeur Schweitzer, nous allons commencer par rappeler qui vous êtes. La plupart de nos lecteurs de longue date le savent, ne serait-ce que parce que certains d’entre eux vous ont eu comme professeur ; toutefois, il naît tous les jours de nouveaux lecteurs à Contrepoints, et certains d’entre eux ne vous connaissent peut-être pas. Pouvez-nous nous expliquer en quelques mots qui vous êtes, votre parcours ?

Merci d’abord de venir aujourd’hui à la Faculté d’Aix, c’est-à-dire, vous le savez sans doute, l’un des bastions (du moins à la Faculté de droit et l’ex-Faculté d’économie appliquée) du libéralisme, du vrai libéralisme et non pas de la société libérale avancée [une expression de Valéry Giscard d’Estaing, NdlR].

… Comme on pourrait le dire d’un poisson.

Serge Schweitzer
Serge Schweitzer

Le fait d’avoir eu beaucoup d’étudiants atteste malheureusement de mon âge, mais inversement donne une certaine expérience. Je suis en poste à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence tout en étant économiste, ce qui n’est pas du tout indifférent pour l’objet de votre venue, mon dernier ouvrage dont nous allons parler abondamment dans un instant.

J’ai fait des études et de droit, et d’économie. Cinq ans de droit, puis des études d’économie ; j’ai même fait, par inadvertance, un DESS en finance. Puis j’ai abordé ma thèse : à l’époque, c’était la première en langue française – j’en revendique l’antériorité à défaut du talent – sous la direction du doyen Jean-Pierre Centi, j’ai commis quelques centaines de pages sur le programme de recherche autrichien en méthodologie économique.

Cela remonte évidemment à loin, plusieurs décennies, en une époque où le courant autrichien était connu dans ses anciens, la première génération, celle de 1870, Menger et les autres. Dans sa deuxième génération, un petit peu, Hayek, Mises, qui il y a quelques décennies, ne représentaient plus grand-chose, particulièrement en France : Daniel Villey étant mort en 1967, il ne restait que Jacques Rueff, Luc Bourcier de Carbon, une poignée de professeurs qui présentaient encore en cours cette deuxième génération des Autrichiens. Quant à Rothbard, Kirzner, Ayn Rand et les autres, et inclus chez ceux de nos maîtres qui avaient une sensibilité, je ne dirais pas libérale, mais hésitante devant le keynésianisme, c’étaient des auteurs complètement inconnus pour eux.

J’ai fait un double cursus, et, ce n’est peut-être pas totalement inintéressant, j’ai une véritable passion et pour l’Histoire, et pour la sociologie, que je considère comme une discipline fondamentale, du moins, quand évidemment elle obéit aux méthodes scientifiques. Vous l’avez compris, mon cœur, ma raison et mon esprit si j’en ai un, me conduisent irrésistiblement vers la sociologie à la Tocqueville, à la Weber, même à la Durkheim malgré des réticences, et vers Raymond Boudon, François Bourricaud et toute cette école. Et non pas vers Bourdieu, dont il ne faut pas mésestimer l’intelligence très vive, mais qui est un exemple tout à fait intéressant, puisque chez lui, le militantisme l’emporta rapidement sur la science.

Nous sommes donc ici pour nous entretenir de votre ouvrage, Droit et économie, un essai d’histoire analytique, dont vous êtes l’auteur avec Loïc Floury, et pour lequel vous avez des préfaciers et postfaciers tout à fait prestigieux. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire un tel ouvrage ?

D’abord, je pense que c’est l’ouvrage de la maturité, si ça ne semble pas trop prétentieux – je m’exprime mal, nulle trace ici de vanité. Je veux dire par là qu’arriver à essayer de jeter des ponts, ou d’expliquer en quoi la rupture entre le droit et l’économie, du point de vue institutionnel, du point de vue des rapports entre les économistes et les juristes, a été en France quelque chose qui a eu des conséquences extrêmement négatives, c’est la thèse que nous soutenons dans l’ouvrage. Il emprunte autant à la science juridique qu’à l’analyse économique et son titre, un peu froid je le reconnais, essaie quand même de résumer ce dont il s’agit : « Droit et économie, un essai d’histoire analytique ».

Pourquoi d’abord un essai ? Parce que le sujet en question est si riche, si complexe, comporte de si nombreuses facettes qu’en aucun cas nous ne prétendons ni épuiser le sujet, ni a fortiori avoir raison dans les pistes que nous proposons.

Un essai d’histoire ? Parce que dans la première partie, nous avons essayé, avec mon très jeune coéquipier et ami Loïc Floury, de raconter cent cinquante ans de relations entre le droit et l’économie : nous synthétiserons le chemin qui a été poursuivi et qui a abouti à une rupture extrêmement dommageable à l’aune de toute une série de critères.

Cet essai d’histoire est aussi un essai d’histoire analytique. Chemin faisant, en effet, nous essayons de nous interroger sur ce qu’est réellement l’analyse économique, mais aussi, à l’heure où le positivisme juridique fait les dégâts que nous savons, quelle est l’essence du droit.

Dans une deuxième partie, nous essayons de contrer ce pessimisme initial pour montrer comment nous sommes dans une occurrence, une fenêtre de tir, un moment où nous pouvons passer du divorce au rapprochement. Quelle est l’allure du pont qui peut rapprocher le droit et l’économie ? Et bien cette occurrence, cette chance à saisir, s’appelle l’analyse économique du droit (que nous appellerons désormais AED), pourvu qu’on la démystifie. C’est-à-dire en particulier que nos collègues juristes ne vivent pas sur ces on-dit. L’AED serait le règne de l’argent, le droit serait jugé à l’aune du critère de l’utilitarisme, bref, il y a un nuage (pour parler en statisticien), un nuage de fantasmes autour de l’AED.

Et dans cette deuxième partie, nous avons essayé de présenter l’AED sans sacrifier en rien les derniers contenus et les dernières avancées, tout en la rendant accessible aux juristes, en évitant toute modélisation et toute formalisation mathématique. Ce qui tombe relativement bien : les Autrichiens ayant une réticence non négligeable non pas envers les mathématiques en elles-mêmes, mais dans l’idée que les mathématiques permettraient de rendre compte de la dynamique de l’action humaine alors qu’elle est un outil qui rend sans doute bien compte de la statique en un instant donné. Autrement dit, la modélisation est très utile pour faire un modèle d’équilibre général, mais pour décrire l’homme en train d’agir dans une dialectique, dans un processus dynamique sans fin – essai, erreur, correction, etc. – qui est tout simplement la trame de la vie humaine.

Cet essai est écrit à quatre mains, avec Loïc Floury. Qui est donc votre coauteur ?

J’ai écrit cet ouvrage qui se veut ambitieux – est-ce qu’il atteint sa cible, le lecteur en jugera – avec un étudiant en cinquième année, qui était déjà mon coéquipier en quatrième année pour l’ouvrage précédent Théorie de la révolte fiscale : Enjeux et Interprétations – Ou pourquoi la révolte fiscale n’aura pas lieu ; les mois qui viennent de passer nous ont d’ailleurs donné raison. Au passage, nous indiquons à vos lecteurs que je ne dis pas du tout que la révolte n’aura pas lieu : nous affirmons et persistons que la révolte fiscale n’aura pas lieu. L’exemple des Bonnets Rouges nous montre ainsi comment acheter la soumission fiscale à coup de subventions, contreparties et débouchés des prélèvements obligatoires.

Revenons tout de suite à nos moutons. En l’occurrence, vous dire à quel point, à l’Institut Catholique d’Études Supérieures (ICES) en Vendée, dans la filière « Droit-Économie » que j’ai fondée il y a huit ans grâce aux autorités de l’ICES de l’époque, j’ai eu un certain nombre d’étudiants qui pendant trois années font un cursus totalement équilibré. 50% de science économique, 50% de droit : c’est le cas du jeune Loïc Floury. Ceci pour redire quelque chose que je dis clairement dès l’introduction : la première partie est entièrement de ma responsabilité, la deuxième partie est entièrement de la responsabilité de Loïc, même si évidemment, l’ancien, ici ou là, s’est permis quelques suggestions et que de toute façon le jeune assume le travail de l’ancien et inversement.

À suivre.

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  • Serge Schweitzer est un économiste extrêmement intéressant et pédagogue. Cet essai permet de comprendre une analyse du droit et de l’économie à travers une approche originale et fort plaisante. Les deux parties sont toutes aussi bien rédigées, bravo !

  • Très heureux de voir une interview de ce très grand économiste que j’apprécie tout particulièrement. Serge Schweitzer est un homme qui m’a beaucoup appris et qui mérite le prix Nobel pas comme Piketty.

  • Un réel économiste qui ne juge pas,mais qui regarde et analyse le monde à travers un oeil purement économique.Très bon article

  • M. Schweitzer nous montre encore une fois dans cet essai qu’il est une des plus grandes figures du libéralisme à l’heure actuelle en France. En tant qu’un de ses étudiants, il m’a beaucoup appris et pas qu’en économie.
    J’espère que ses idées vont continuer à se répandre.

  • Un bel article, très réussi ! Serge Schweitzer est un économiste qui gagne à être connu. En plus de sa grande connaissance dans le domaine, il a une culture très développée ce qui rend son article attractif et instructif.

  • Article très intéressant sur cet ouvrage fabuleux et captivant qui nous montre les relations entretenues entre le droit et l’économie politique. Serge Schweitzer est un économiste brillant qui sait en apprendre beaucoup à ses élèves comme à ses lecteurs.

  • Pour avoir suivis ce double cursus en droit-économie sous l’ère du professeur Schweitzer je ne peux que soutenir cet ouvrage. Effectivement l’analyse économique du droit est une grille d’analyse extrêmement puissante et pertinente! De plus l’enseignement porté par Le professeur Schweitzer (et le Professeur Jacques Garello) exclue les projections et visions idéologiques et fait place à une démarche scientifique et pédagogique (démarche qui devrait normalement être adopté par tout chercheur …)! Merci cher professeur pour l’honnêteté intellectuelle qui vous anime! A très bientôt

  • Merci pour cet ouvrage. On m’avait conseillé ce livre, je n’ai pas été déçu. Il m’a permit d’acquérir les connaissances nécessaires et utiles dans le domaine de l’analyse économique du droit.
    Je le recommande donc fortement aux étudiants soucieux d’approfondir leurs savoirs en la matière.

  • Interview très pertinante qui démontre bien l’étroit lien entre le droit et les sciences économiques. Serge Sweitzer nous démontre bien par son livre son génie qu’il a su mettre en valeur à travers cette merveilleuse colaboration avec M.Floury.
    Économiste formidablement inéressant !

  • Un économiste investit d’une grand force pédagogique et d’une qualité de persuasion que je juge rare, tout autant que son approche de la réalité extrêmement pertinante. il a prit son temps pour mieux le marquer.

  • « Le sang des économistes doit circuler dans les veines du juriste et inversement. (…) Dans l’ordre de la nature, les hybrides donnent rarement d’heureux résultats. A l’inverse, dans l’ordre scientifique de nos disciplines, la fertilisation des croisements et transfusions doit au contraire doper et enrichir les deux visages d’une même discipline, celle de l’agir humain ». (Droit et économie : un essai d’histoire analytique, PUAM).

    L’introduction de ce très intéressant ouvrage précise d’emblée quelques points d’importance en plus de retracer l’état des lieux de l’analyse économique du droit (AED) et de démystifier la nécessité d’une AED modélisée, en réalité ravagée par les mathématiques (comme beaucoup de travaux en général en économie…) qui n’a de sérieux que sa forme. Quoi de plus explicite, en effet, que la véritable littérature et l’économie littéraire ? C’est précisément ce que fait cet ouvrage en expliquant la matière de façon claire, concise et simple – et non simpliste – la rendant intelligible et attrayante, même pour un néophyte.

    De plus, la matière comme l’ouvrage mettent un point d’honneur à souligner l’importance du jumelage du droit et de l’économie. Lorsque j’étudiais au lycée, j’appréciais l’enseignement de cette dernière bien qu’il lui manqua quelque chose, une substance, une connexion avec la réalité constituée de notre passé, de notre présent et de notre environnement général. C’est au moment où j’ai intégré la classe préparatoire du professeur Schweitzer que j’ai appréhendé, compris et fortement apprécié la cruciale nécessité d’entrecroiser ces disciplines puisque sa façon de donner cours s’ancrait parfaitement dans leur actualité. Étudier l’histoire économique de la France de 1945 à nos jours, c’était aussi parler de droit et d’histoire.

    C’est également, entre autres, l’interaction des disciplines qui va donner du sens à la science et va affiner la description de la réalité de l’action humaine. En clair, envisager les rapports humains sous l’angle strictement marchand, c’est ne la visualiser qu’à travers un angle et oublier 90% des aspects du monde qui nous entoure. Faire de l’économie, c’est étudier l’action humaine ou, comme le disait Ludwig Von Mises, la façon dont les hommes perçoivent, décident et agissent. Et même si celui-là battait en brèche la méthodologie des historicistes allemands, le contexte institutionnel, juridique et économique qui environne leurs actions conserve à un autre niveau, je pense, une importance manifeste.

    Enfin, il y aurait de nombreuses choses à dire sur ce livre si riche et sur cette matière, l’AED, encore trop peu connue et enseignée en France. C’est pourquoi je ne saurais que recommander cet ouvrage qui, s’il intéressera surement juristes, économistes et historiens, donnera un bel aperçu de la praxéologie et de l’AED à toute personne désireuse d’en connaître davantage sur le sujet. « Même Saint-Thomas d’Aquin, dans sa somme théologique, semble procéder à pareils raisonnements en s’interrogeant sur l’impact des règles juridiques et/ou morales sur l’économique »….

    Bravo encore aux auteurs. On attend le prochain.

  • Merci beaucoup pour cet article des plus intéressants. M. Schweitzer attise notre intérêt pour l’AED, il a une culture très vaste, est une personne très enrichissante et avec une touche d’humour agréable.
    J’espère que sa renommée va continuer à croître.

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