Par Philippe Silberzahn.
Mon nouvel ouvrage Relevez le défi de l’innovation de rupture est sorti hier chez Pearson. Il est préfacé par Yves Dubreil, créateur de la Renault Twingo.
La difficulté d’innover pour les entreprises n’est pas chose nouvelle et les dizaines d’ouvrages publiés sur la question attestent que la solution est loin d’être trouvée. Dans cette riche littérature se distingue un auteur dont les travaux ont reçu une attention considérable : Clayton Christensen. Ancien entrepreneur, Christensen a rejoint l’Université de Harvard après sa thèse pour y devenir professeur et y poursuivre des recherches sur l’innovation de rupture dont il est aujourd’hui le spécialiste reconnu.
Les travaux de Clayton Christensen
Les travaux de Christensen sont fondamentaux dans notre compréhension des mécanismes de rupture et de leur impact sur les entreprises. Christensen a développé sa thèse au travers de plusieurs ouvrages, dont deux principaux : The innovator’s dilemna, paru en 1997, et The innovator’s solution paru en 2003. Basé sur le travail de doctorat de Christensen à l’Université de Harvard, The innovator’s dilemna rend compte d’une analyse minutieuse de l’évolution de plusieurs industries très différentes, disques durs, grands magasins et engins de travaux, notamment,et met en avant pour la première fois un phénomène intriguant : alors que ces industries connaissent des innovations régulières, il semble que les innovations continues favorisent les acteurs en place tandis que les innovations de rupture favorisent les nouveaux entrants et conduisent à des changements de leadership. La distinction entre innovation continue et innovation de rupture vient du fait que cette dernière introduit de nouveaux critères de performance et donc s’inscrit dans un réseau de valeur et cible des utilisateurs différents.
Le dilemme de l’innovateur
Christensen montre que face à une innovation de rupture, l’acteur en place est confronté au dilemme suivant : il ne peut pas embrasser la rupture, car comme cette dernière s’inscrit dans un réseau de valeur différent, elle n’a aucun sens pour lui. Par exemple, Western Union, leader du télégraphe au XIXème siècle, estime que le téléphone, qui vient d’être inventé, n’est pas un moyen sérieux de communication. Kodak sait que la photographie numérique va cannibaliser sa très lucrative activité de film argentique et freine donc des quatre fers. Mais sa réticence le condamne quand l’innovation réussit. Au final, Christensen montre que les acteurs en place ne se résolvent que trop tard à embrasser la rupture et finissent par disparaître. L’intérêt de cette théorie est que pour la première fois on comprend pourquoi cela se passe ainsi, et surtout que l’échec face à la rupture ne résulte pas d’un manque de connaissance ou d’une ignorance mais bel et bien d’un raisonnement rationnel qui produit un effet pervers et conduit au désastre.
Dès lors, Christensen suggère que si un acteur veut tirer parti d’une innovation de rupture, il faut éviter le conflit de modèles d’affaire et protéger l’innovation de rupture, toujours fragile à ses débuts, en la logeant dans une entité séparée.
Les travaux de Christensen éclairent fondamentalement notre compréhension de l’innovation de rupture dans l’entreprise. Ils expliquent des échecs qui sinon ne semblent avoir aucun sens, et pointent vers des solutions qui, si elles n’offrent naturellement pas de garantie de succès, permettent au moins d’éviter les plus gros écueils. Ils constituent donc une connaissance indispensable à tous ceux que l’innovation intéresse.
Difficulté d’appréhender les travaux de Christensen
Appréhender la contribution de Clayton Christensen à l’innovation de rupture est toutefois difficile pour deux raisons. D’une part, Christensen a développé sa théorie progressivement, au travers de plusieurs ouvrages, et aucun d’entre eux ne la résume complètement. D’autre part, la compréhension des travaux de Christensen pose une difficulté propre au public francophone car ses ouvrages principaux n’ont pas été traduits dans notre langue.
But de l’ouvrage
Cet ouvrage a donc pour but de remédier à cette lacune et de présenter les théories de Clayton Christensen de manière synthétique et surtout pratique. Conformément à celles-ci, la perspective adoptée ici est celle d’une entreprise existante confrontée à une rupture, la question est posée en termes stratégiques, et nous focalisons uniquement sur le défi de l’innovation de rupture. Cet ouvrage ne constitue donc pas un manuel d’innovation au sens où l’ensemble des problématiques liées à ce sujet seraient couvertes. Par ailleurs, si l’ouvrage traite principalement des travaux de Christensen, il n’en est pas à proprement parler un résumé, mais plutôt un essai sur la question de l’innovation de rupture à partir de ceux-ci. Il tire son origine de la pratique de l’innovation de l’auteur avec de grandes entreprises depuis de nombreuses années, de ses recherches, ainsi que des articles écrit sur la question sur ce blog depuis 2010.
Message-clé
Le message-clé de l’ouvrage est le suivant : l’innovation n’est pas affaire de créativité ; c’est un processus social. Elle échoue parce que les mécanismes de bonne gestion orientent mécaniquement l’investissement vers l’activité présente (le modèle d’affaire actuel) aux dépens de l’activité future. Si l’entreprise veut encourager l’innovation, elle doit mettre en œuvre des dispositifs de gestion qui corrigeront la tendance naturelle à la préférence pour le présent.
Audience
Cet ouvrage est donc destiné à tous ceux qui sont en charge de rendre leur entreprise plus innovante, au premier rang desquels bien sûr les dirigeants et membres de la direction générale, en particulier la DRH et la direction financière. L’innovation de rupture ne peut réussir sans eux et cela nécessite l’acquisition d’un vocabulaire et l’établissement d’un diagnostic communs au moyen de concepts partagés. L’ouvrage s’adresse également aux innovateurs eux-mêmes qui y trouveront une sorte de guide conceptuel pour les orienter dans leur démarche : comprendre les raisons de l’hostilité dont ils sont l’objet et dessiner des solutions. Enfin, il s’adresse aux étudiants qui seront immanquablement confrontés bientôt au dilemme de l’innovateur dans les entreprises qu’ils rejoindront ou qu’ils créeront.
- Philippe Silberzahn, Relevez le défi de l’innovation de rupture, Pearson, novembre 2015, 181 pages.
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26 euros pour agréger les études faites par un autre, le seul intérêt étant pour certains que c’est en français et condensé car il y a effectivement beaucoup de redites dans les bouquins de Christensen.