État islamique : la stratégie territoriale au fondement de sa puissance financière

L’EI poursuit une stratégie qui s’inscrit dans une réalité territoriale, à la différence du djihadisme global d’Al-Qaida.

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État islamique : la stratégie territoriale au fondement de sa puissance financière

Publié le 5 décembre 2015
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Par Edern de Barros.

L’EI se présente comme un État salafiste djihadiste sans frontière et de droit divin. Pour autant, l’EI poursuit une stratégie qui s’inscrit dans une réalité territoriale, à la différence du djihadisme global d’Al-Qaida. C’est cette stratégie d’implantation, sur les terres mésopotamienne et syrienne de l’ancien califat abbasside qu’elle prétend restaurer, qui fonde d’abord sa puissance actuelle. En outre, la politique de conquête locale s’accompagne d’une stratégie de déstabilisation des cibles plus lointaines au moyen d’attentats et de propagandes numériques. L’EI poursuit ainsi une politique de guerre totale à la fois sur le terrain local par la conquête, mais aussi à l’échelle internationale par les armes de la terreur et de la division.

Les instruments d’un État

L’assise territoriale de l’EI lui permet de déployer les instruments d’un État pour tirer des terres et des populations les ressources nécessaires à son développement. Outre le calife qui coiffe l’ensemble du système, ce dernier est secondé par deux anciens généraux irakiens qui s’occupent respectivement des opérations en territoire irakien et en territoire syrien. Un cabinet conseille al-Baghdadi à propos des décisions de l’État. Un conseil consultatif le conseille sur les affaires juridiques. Le maillage administratif du territoire repose sur une subdivision en « sept vilayets, ou provinces », représentées par des « comités locaux », dirigés par des gouverneurs, lesquels s’appuient sur des chefs locaux, et sur « les populations sunnites délaissées par le gouvernement précédent d’al-Maliki ». De cette manière, l’EI administre une population d’environ 10 millions d’habitants pour appliquer rigoureusement la charia, tout en gérant des services publics de base pour s’attirer un relatif soutien populaire, alors même que les fonctionnaires sont encore payés par les autorités irakiennes : écoles, universités, bureaux de poste, hôpitaux, transports publics.

Une nouvelle monnaie

Signe de cette volonté de conquête d’une souveraineté étatique, l’EI annonçait dans un communiqué publié en novembre 2014, la mise en place d’un nouveau système monétaire constitué uniquement de pièces métalliques, sur le modèle des califats médiévaux, frappées des inscriptions « l’État islamique »  et « le califat », accompagnées de l’indication du poids et la valeur de la monnaie : le « dinar islamique » est constitué de pièces en or de 1 et de 5 dinars, de pièces en argent de 1, 5 et 10 dirhams et de pièces en cuivre de 10 et 20 fills, dont la valeur intrinsèque correspond à la valeur du métal qui la compose. De cette manière, en indexant sa monnaie sur une valeur réelle intrinsèque, et en bannissant du même coup l’usage des billets, l’EI donne une valeur en soi à son nouvel instrument des échanges, sans taux de change possible, espérant ainsi éviter une guerre des monnaies dont serait la cible son économie. L’objectif annoncé dans le même communiqué étant in fine « de concurrencer le système monétaire tyrannique occidental  qui asservit les musulmans », pour se libérer du « mercantilisme et de l’oppression économique satanique ». Par ailleurs, l’EI a pris le contrôle sur un ensemble de banques irakiennes. Elle s’est notamment emparée des importantes réserves en liquide de la banque centrale de la ville de Mossoul, conquise en juin 2014, soit 450 millions de dollars.

Pour autant, l’EI n’est pas coupé du monde, nonobstant les embargos internationaux. Pour accéder aux marchés extérieurs et faire circuler l’argent qu’elle génère des ressources intérieures, l’organisation emploie les réseaux clandestins. En exportant à bas prix, elle mobilise les filières d’exportations clandestines pour déverser ses produits sur les marchés mondiaux : une fois ses marchandises passées en Turquie, profitant de la porosité des frontières et du laissez-faire des autorités turques, elles deviennent difficilement traçables, en particulier le pétrole mélangé à des pétroles d’autres origines. Pour contourner le blocus international sur les transactions financières qui touche le réseau de banques sous son contrôle, l’EI s’appuie sur des réseaux de paiement informel (hawala) : l’échange se fait par l’intermédiaire d’un « hawaladar », qui contacte un autre « hawaladar » pour lui demander de verser la somme au destinataire (moins une commission) en échange de la promesse de lui rembourser plus tard, court-circuitant de cette manière les réseaux bancaires institutionnels.

L’exploitation des ressources locales

82% des financements provient de l’exploitation des ressources dont l’EI dispose sur son territoire. L’organisation diversifie petit à petit son économie, et exporte en dessous du prix du marché via les réseaux trafiquants.

D’abord, les conquêtes et les prises de guerre à l’armée irakienne, suréquipée par la coalition, et à l’armée syrienne, lui fournissent l’essentiel de son armement : l’EI fait dans la récupération.

L’une des principales ressources de l’EI est l’impôt. Les populations sunnites sont soumises à une taxe aumônière imposée par la charia (le zakât),  tandis que les gens du livre (les Ahl-kitâb), notamment les chrétiens d’Orient, sont sommés de quitter le territoire ou d’accepter la Jizia et le kharâj (sur leur bien foncier) contre un pacte de protection, ou plutôt un pacte de non-agression qui relève à cet égard de pratiques mafieuses. L’EI prélève également des droits de passages sur les axes commerciaux.

Les conquêtes ont permis l’accès à des mines de phosphates et des zones d’extraction d’hydrocarbures vendus à l’état brut sur les marchés internationaux à bas prix via la Turquie ou raffinés dans des usines, qui sont notamment les cibles des bombardements de la coalition. Les conquêtes ont permis également le contrôle de plaines agricoles, dans le nord de la Syrie entre Manbij et Rakka, important lieu de production de céréale et de coton : les djihadistes se sont ainsi emparé d’environ 40% de la production de blé et d’orge irakienne. La production et le trafic de captagon, drogue consommée par les djihadistes au combat, serait une source de revenus très rentable. Elle serait entre autres vendue en très grande quantité aux consommateurs saoudiens à des fins récréatives : en octobre 2015, le prince Abdel Mohsen Ibn Walid Ibn Abdelaziz a été arrêté à l’aéroport de Beyrouth avec deux tonnes de captagon, réparties dans 40 valises.

Le trafic d’antiquités est une autre source de revenus importante pour l’organisation. Si l’idée qu’il faut faire table rase des traces préislamiques sur les territoires occupés n’est pas négligeable, l’EI a conscience de la richesse archéologique mésopotamienne, et des ressources qu’il peut en tirer dans leur trafic. La destruction d’une partie des monuments de la cité antique de Palmyre, célébrée notamment par Volney dans Les ruines, s’inscrit aussi dans la stratégie de communication de l’EI. Il s’agit à la fois d’afficher au monde le projet fondamentaliste de l’organisation, de choquer les esprits, et d’augmenter la valeur des œuvres sur le marché par la raréfaction provoquée ou feinte. Pour autant, il s’agit en partie d’une politique d’affichage par la mise en scène de la destruction de répliques en plâtre de certaines œuvres, dont ils conservent les originaux, et destinées à la contrebande.

Les enlèvements et les demandes de rançon fournissent une source de revenu important : l’EI marchande la libération d’individus ou de population capturés. Mais c’est aussi une arme diplomatique dans ses relations extérieures. La mise en scène spectaculaire de l’exécution des otages, ou encore la réduction en esclavage de population (turkmènes chiite, yézidis, chrétiens assyriens surtout) participent à la stratégie de la terreur aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Enfin, les donations étrangères sont une autre forme de financement. Ce sont pour la plupart des donateurs privés en Arabie saoudite, au Qatar ou au Koweït, partisans du califat de l’EI. Le rôle de l’Arabie saoudite est particulièrement complexe à démêler. Après la Seconde guerre mondiale, le régime saoudien devient un allier stratégique des États-Unis d’Amérique, notamment depuis la signature en février 1945 du Pacte de Quincy, valable pour une durée de 60 ans, et renouvelé par George Bush en 2005. Ce dernier assure « les intérêts vitaux » des États-Unis d’Amérique, à savoir un accès locatif des compagnies concessionnaires américaines pour l’exploitation et l’approvisionnement en ressources énergétiques, en échange de la protection militaire de la famille, la défense du leadership de son royaume wahhabite et la non-ingérence dans la politique intérieure. Or cette alliance américano-saoudienne accentue les tensions internes au régime oligarchique, déjà présente depuis l’alliance entre les Anglais et les Saouds à la suite du démantèlement de l’Empire Ottoman : en effet, d’un côté le régime saoudien se revendique du salafisme dans sa version wahhabite, prônant une vision fondamentaliste et rigoriste du Coran, et de l’autre, il apparaît auprès d’une frange de la population radicalisée du royaume comme un protectorat américain rongé par l’hubris, qui trahit les valeurs de l’islam. Enfin, la Guerre d’Afghanistan de 1979 à 1989, et le soutien américain aux moudjahidines contre l’occupation soviétique, ont participé à l’essor du djihadisme, notamment dans les territoires arabes sous tutelle américaine. Dans ces conditions, le Royaume saoudien, et plus généralement les « pétromonarchies » du Golf alliées aux États-Unis d’Amérique, sont devenues des terreaux pour l’émergence d’un salafisme djihadiste anti-impérialiste, né du wahhabisme. Ousama Ben Laden est lui-même saoudien, comme la plupart des terroristes du 11 septembre, pour lesquels l’ennemi est aussi le régime de la famille Saoud qu’ils jugent compromis avec les américains et avec les infidèles.

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  • Pas grand chose de neuf mais une bonne synthèse.
    Il est clair que « couper les routes » des exportations vers la Turquie, entre autres, est une bonne stratégie de guerre, peu de victimes humaines et un ravage sur certaines ressources qui comptent.

  • Stratégie qui montre ses limites avec les bombardement sur les files de camion citernes. L’EI est en phase stationnaire en Irak et Syrie d’ où sa volonté de renforcer son implantation en Egypte, Libye, etc..

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