« Ricardo, reviens ! Ils sont restés keynésiens » de Jean-Marc Daniel

Un essai stimulant et passionnant sur l’économie contemporaine.

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« Ricardo, reviens ! Ils sont restés keynésiens » de Jean-Marc Daniel

Publié le 7 décembre 2015
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Par Johan Rivalland

indexCela faisait longtemps que je n’avais pas lu un aussi bon et passionnant livre d’économie.

« Une véritable réflexion de fond, nous dit l’auteur, loin des propres jugements et solutions que prétendent proposer certains avec volubilité mais sans réelle compétence ou référence au savoir économique hérité de nos grands penseurs. »

Nombreux sont, en effet, ceux que l’on va jusqu’à présenter comme des gourous de l’économie et qui se complaisent dans le catastrophisme ou les pseudo-prophéties en tous genres. L’intérêt semble, pour eux, résider essentiellement dans leur recherche de notoriété. Or, selon Jean-Marc Daniel :

« il s’agit d’une attitude sans risque. Au pire, si une forte croissance vient invalider leurs annonces de crise et de récession, ils seront simplement oubliés mais, en revanche, si une dépression sévère intervient, ils seront alors sur le devant de la scène et pourront faire valoir leur lucidité et les regrets que l’on peut avoir de ne pas les avoir écoutés. »

 

Une analyse stimulante et iconoclaste de l’économie contemporaine

Au lieu de ces analyses un peu superficielles et surfaites, on trouve ici, au contraire, une analyse à la fois historique, contemporaine, mais aussi internationale, voire par moments géopolitique, qui nous aide à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, les mécanismes économiques en vigueur, les interdépendances et la complexité des liens entre les choses, loin de toute simplification abusive.

On comprend mieux ainsi comment l’ouvrier de Shanghai travaille pour le consommateur américain, avec le Parti communiste chinois dans le rôle du contremaître, tandis qu’en Inde, où le PIB par habitant est inférieur d’un tiers à celui de la Chine, un autre choix de société a été fait, avec une croissance certes moins rapide mais de nature différente et engageant la population à plus long terme. Sans compter l’Afrique, l’Amérique latine ou l’Europe, dont les choix sont différents ; ce qui n’empêche pas l’interdépendance entre épargne, investissement, taux de change et taux d’intérêt, entre autres, mais je vous laisse en découvrir les mécanismes à la fois complexes et à même de mieux percevoir les raisons de tel ou tel fonctionnement de nos sociétés.

L’analyse de Jean-Marc Daniel est toutefois, par moments, assez iconoclaste. Ainsi, il semble assimiler (p. 81) la politique économique de Ronald Reagan (puis de G.W. Bush et B. Obama) à une politique néo-keynésienne et la courbe de Laffer à une politique de relance de la demande par la baisse des impôts, là où on a plutôt l’habitude de considérer habituellement qu’il s’agit d’une politique de l’offre, les impôts portant aussi sur les entreprises. D’où le titre, qui me surprenait, puisque je me demandais pourquoi il n’était pas plutôt question de J.-B. Say que de D. Ricardo.

Et, là aussi, le rôle de l’épargne dans l’économie est bien quelque chose qui est inhérent à la loi des débouchés de J.-B. Say (Jean-Marc Daniel évoque plutôt ici, pages 83-84, un « effet ricardien »). Il est vrai, cela dit, que Ricardo adhérait à la loi des débouchés.

Concernant G.W. Bush ou B. Obama, j’aurais tendance à penser que les déficits colossaux sont liés essentiellement, pour le premier, aux dépenses militaires d’après le 11 septembre 2001 (pour les deux mandats et non seulement pour le premier), ne validant pas l’inspiration keynésienne et, pour le second, à la crise et à un plan de relance gigantesque, authentiquement keynésien quant à lui.

Mais la démonstration est parfaitement brillante et l’auteur rend particulièrement hommage au monétarisme de Milton Friedman, insistant sur le rôle majeur de l’inflation (et la remise en cause de la courbe de Phillips) sur les émeutes de la faim, les révolutions et les renversements de pouvoirs (intéressant à la fois sur le plan historique et géopolitique, comme je l’indiquais plus haut, en référence à des révolutions très récentes).

Jean-Marc Daniel parle ainsi en fin connaisseur de l’histoire économique et du contexte particulier dans lequel telle ou telle théorie émerge, avant qu’elle ne se trouve appropriée par tel ou tel courant de pensée. De fait, c’est à une relecture de la politique économique que nous invite l’auteur…

 

La redéfinition des politiques monétaire et budgétaire

À la fois leçon de géopolitique, donc, mais aussi d’histoire économique, Jean-Marc Daniel nous explique remarquablement les ressorts de l’économie et la rénovation de celle-ci dans l’approche des politiques monétaire et budgétaire.

S’il reste vrai que « l’inflation d’aujourd’hui est le chômage de demain », on comprend ainsi mieux le rôle réel de la politique monétaire, qui est de faire en sorte que le financement bancaire soit efficace et conduise à des investissements productifs.

Dès lors, la nouvelle macroéconomie classique vise à ce que la banque centrale ait plus une action dissuasive que punitive (comme dans les années Volcker, qui nous ont débarrassé de l’inflation au prix d’une forte élévation du chômage et d’une croissance lente). Plutôt que de lutter contre l’inflation, une politique monétaire efficace doit ainsi, selon l’auteur, susciter des anticipations telles que l’inflation n’apparaisse pas.

La nouvelle articulation avec la politique budgétaire aboutit alors à ce qu’au lieu de servir à lutter contre le chômage, cette dernière ait pour but d’amortir le cycle, contribuant ainsi à lutter contre l’inflation en réduisant la dette et en limitant le déficit extérieur.

La politique monétaire, elle, a désormais pour but de générer de la croissance potentielle à long terme en améliorant non la quantité mais la qualité de l’offre (règle de Taylor).

En résumé, contrairement à la vision keynésienne de « pompier de la politique économique », selon Jean-Marc Daniel la banque centrale n’est pas là pour calmer la surchauffe mais pour superviser le financement de la croissance, c’est-à-dire la construction de l’édifice économique. Et la politique budgétaire n’est pas là pour inonder de dépenses publiques une économie en panne de demande, mais pour consolider l’édifice économique et éviter qu’un enchaînement récessif ne l’emporte.

La politique économique, en changeant de champ d’action, devient alors plus compliquée. Il convient désormais de distinguer un déficit public conjoncturel et un déficit structurel des finances publiques, dont la détérioration de long terme est évidente et qu’il faut combattre, pour faire en sorte qu’il soit nul (d’où la définition de règles telles que la fameuse « règle d’or »).

L’État devient ainsi un acteur de la croissance à long terme, mais pas par ses dépenses, pas plus que par ses propos incantatoires sur l’innovation, mais bel et bien par la pression permanente sur le système productif dont il assure la réalité concrète en promouvant la concurrence.

Pour illustrer ses propos, Jean-Marc Daniel se réfère à l’analogie faite par l’économiste français de l’entre-deux-guerres Albert Aftalion entre la situation économique d’un pays et celle du chauffage dans une pièce :

« Quand il fait froid, on ferme la fenêtre puis on enfourne le charbon dans le poêle. Comme le charbon met un certain temps avant de donner pleinement sa chaleur, on a tendance à en mettre trop. Résultat, au bout d’un moment, la chaleur devient excessive si bien qu’on arrête de mettre du charbon dans le poêle et on ouvre la fenêtre. Dans cette métaphore de poêle d’Aftalion, la température est la production, la politique monétaire est la fenêtre et la politique budgétaire le seau à charbon. Ouvrir la fenêtre permet de lutter contre « la surchauffe », c’est-à-dire l’inflation, mais si on a bien construit la fenêtre et si on a bien isolé la pièce, on évite la période de froid, on limite le cycle et les versements mal gérés de charbon. Une fenêtre de bonne qualité est un appareil productif efficace, qui incorpore sans cesse du progrès technique. La politique monétaire joue sur le financement de l’économie en atteignant sa pleine efficacité quand ce financement est de qualité. »

 

Les dangers du protectionnisme

Il montre ensuite en quoi le protectionnisme est dangereux. Des rappels très instructifs, à l’heure où beaucoup de politiques français s’en réclament. En particulier (p.131), lorsqu’il nous permet de nous remémorer la différence essentielle entre le protectionnisme « éducateur » (basé sur les secteurs d’avenir) de Friedrich List au XIXe siècle (voir Histoire vivante de la pensée économique : Des crises et des hommes) et celui de nos contemporains, protectionnisme « défenseur des pays riches », souvent destiné à assurer la survie de secteurs en déclin.

Rappel essentiel encore, lorsqu’il nous explique en quoi recourir au protectionnisme consiste à abaisser le pouvoir d’achat de la population, dans la mesure où ceux qui paient les droits de douane ne sont pas les concurrents étrangers de nos entreprises mais les consommateurs européens. Il en va de même des dévaluations (dont la sortie de l’euro pour les grecs évoquée par certains) ou encore de la TVA sociale, tous instruments keynésiens traditionnels contre lesquels Jean-Marc Daniel nous met en garde.

Pour finir, dans un dernier chapitre, Jean-Marc Daniel nous donne son analyse de la crise économique actuelle en France et les solutions qu’il propose pour y remédier.

Les critiques des politiques menées par les différents gouvernements sont sans concession, y compris celle des gouvernements Sarkozy, ou avant lui Chirac. Une vraie réflexion de fond, pas du tout soumise aux impératifs politiques, mais qui s’inscrit bien plutôt dans la durée.

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