Il y a 120 ans naissait Jacques Rueff : redécouvrez le

Gérard Minart sort aux éditions Odile Jacob la première biographie de Jacques Rueff : Jacques Rueff, un libéral français

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Jacques Rueff

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Il y a 120 ans naissait Jacques Rueff : redécouvrez le

Publié le 23 août 2016
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Parmi les personnalités qui ont laissé une empreinte profonde dans la politique économique du XXe siècle, Jacques Rueff (1896-1978) occupe une place singulière à la fois par l’originalité de ses analyses et par la pertinence de ses propositions. Totalement indépendant des modes intellectuelles, il n’a pas toujours eu la faveur des médias. Ses recommandations, constamment marquées par la rigueur intellectuelle, ont parfois été traitées avec prudence par les responsables politiques soucieux de leur popularité électorale à court terme. En revanche, pour ceux qui ont su prendre en compte ses propositions, un succès durable récompensa leur courage. Ce fut le cas du général de Gaulle en 1958.

Si Jacques Rueff a rédigé son autobiographie qui porte comme titre : De l’aube au crépuscule, – elle lui avait été demandée comme introduction à ses Å’uvres complètes, – cela n’interdit nullement qu’on lui consacre aujourd’hui une biographie au sens classique du terme1 . C’est ce que vient de faire Gérard Minart, ancien rédacteur en chef de La Voix du Nord, déjà auteur de plusieurs ouvrages sur des économistes libéraux, qui publie aux éditions Odile Jacob, sous le titre : Jacques Rueff, un libéral français, cette première biographie dont l’ambition est de revisiter la vie et  l’œuvre de cet ingénieur-économiste qui a fortement marqué son temps.

Les années ont passé. Les enfants qui ont vu le jour dans la dernière période de la vie de Rueff ont maintenant près de quarante ans. Après deux générations, le moment est venu de dresser un constat et de tenter un bilan.

D’autant que Jacques Rueff est toujours d’actualité.

L’homme de pensée et l’homme d’action ont résisté à l’usure du temps. Loin d’avoir vieilli, ses positions sont toujours en forte résonance avec les problèmes d’aujourd’hui, comme le rappelle fort opportunément Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, dans la préface qu’il a bien voulu rédiger pour cette biographie.

Jacques Rueff a participé à plusieurs redressements français : en 1926 au cabinet de Raymond Poincaré, en 1938 aux côtés de Paul Reynaud mais surtout en 1958 avec le général de Gaulle comme rédacteur d’un plan d’assainissement financier et de modernisation économique qui allait connaître une réussite immédiate et spectaculaire. Ce plan Rueff rétablit l’équilibre du budget, revient à la liberté des prix, dompte l’inflation, encourage l’épargne, favorise les investissements, promeut la compétitivité, permet à la France d’honorer sa signature pour son entrée à l’heure dite dans l’Europe du Marché commun, ouvre les fenêtres au vent vivifiant de la concurrence internationale, dote la Ve République naissante d’une monnaie renforcée, le Nouveau Franc, et solde les comptes désastreux de la fin de la IVe République.

La France change de cap.

Elle quitte les eaux du protectionnisme et affronte le grand large, celui d’une première mondialisation. À l’étranger on parlera de « miracle français ».

Dans ses Mémoires d’espoir, le général de Gaulle écrira que c’était là une révolution et rendra hommage à Rueff en ces termes :

« À ce théoricien consommé, à ce praticien éprouvé, rien n’échappe de ce qui concerne les finances, l’économie et la monnaie. Doctrinaire de leurs rapports, poète de leurs vicissitudes, il les veut libres. Mais, sachant de quelles emprises abusives elles se trouvent constamment menacées, il entend qu’elles soient protégées. »

Rueff aura donc été l’économiste qui aura inspiré la politique économique du général de Gaulle. En interne avec le plan de 1958 et le rapport qu’il rédigera en 1960 avec Louis Armand sur la suppression des obstacles à l’expansion économique mais aussi à l’extérieur en contestant l’hégémonie du dollar dans le fonctionnement du système monétaire international.

Pour Rueff, un redressement économique n’était pas une fin en soi mais devait constituer une plate-forme de stabilité à partir de laquelle un pays pouvait se réformer, moderniser son appareil productif, fluidifier sa politique de crédit, innover, s’adapter au monde extérieur et mettre en œuvre sur des bases ainsi assainies une véritable et surtout durable politique sociale. C’est en cela que résidait pour Rueff l’Ordre social, titre de son livre principal. Grande leçon toujours d’actualité !

Les idées principales qui ont soutenu l’action de Rueff durant toute son existence et qui constituent les fondements doctrinaux de sa pensée peuvent se résumer en quelques points :

Importance du droit de propriété dans l’histoire de l’humanité comme moteur de l’expansion économique. C’est l’institution juridique du droit de propriété qui a libéré l’initiative individuelle et a permis le développement des échanges, des marchés, de la monnaie ;

Nécessité de la liberté des prix. Des prix libres, sur des marchés libres, dans des sociétés libres voilà, selon lui, la condition fondamentale de l’équilibre économique et l’assurance que les facteurs de production s’adapteront en permanence, et avec efficacité et souplesse, aux vœux et aux désirs des consommateurs. Pour Rueff, le mécanisme des prix est l’essence du régime libéral ;

Possibilité, pour l’État, d’intervenir dans la vie économique, entre autres pour des raisons sociales, mais à une condition impérative : que cette intervention soit compatible avec le mécanisme des prix. Sur ce point, Rueff a profondément rénové la doctrine économique libérale, réformant le vieux libéralisme manchestérien du laissez faire-laissez passer, qui refusait a priori toute intervention de l’État, pour lui substituer un libéralisme à la française qu’il a appelé « le marché institutionnel », démarche qui inscrit la politique sociale dans un respect scrupuleux des lois de l’équilibre économique. Un marché élevé au rang d’institution, donc soutenu et fortifié par des règles juridiques de bon fonctionnement. Ces règles ayant une double finalité : d’une part assurer le libre jeu du mécanisme des prix, d’autre part protéger un tel marché de ces « immondices » que sont les règlements abusifs, les bureaucraties étouffantes, les positions de monopole, les infractions à la concurrence. Du coup, il importe de sortir l’État d’une position d’omnipotence menaçante pour les libertés afin de le ramener dans sa sphère propre qui est celle de partenaire actif de la société civile pour la protection juridique des libertés et du droit de propriété. L’impératif catégorique pour un tel État replacé à sa vraie place dans une société développée sera de gouverner peu car c’est à cette condition qu’il sera efficace. Ce en quoi Rueff s’est vivement opposé à Keynes et à son interventionnisme étatique. Bref, Rueff reconnaît un rôle à l’État mais veut lui passer la bride.

Double impératif, dans la politique gouvernementale, de l’équilibre budgétaire et de la lutte contre les déficits. Rueff a parfaitement identifié, nommé et dénoncé les principaux ennemis d’une économie saine, à savoir : l’inflation de son époque source de graves dysfonctionnements, les déficits qualifiés par lui de « « gangrène du corps social » et les pratiques malthusiennes et anticoncurrentielles génératrices de rentes inacceptables. À plusieurs reprises il avait souligné ses convergences avec la politique mise en place en Allemagne après la guerre par Ludwig Erhard. Il avait d’ailleurs préfacé la traduction française du livre de Ludwig Erhard La prospérité pour tous, ne manquant pas de souligner que ce dernier avait voulu inscrire au rang « « des droits fondamentaux du citoyen » la stabilité monétaire. De même, Rueff souscrivait à la lutte de Ludwig Erhard contre les cartels. Si bien que l’on peut écrire que le libéralisme rénové de Rueff est très proche de l’ordolibéralisme allemand. Quand il sera pendant dix ans, de 1952 à 1962, juge français à la Cour de justice des institutions européennes, Jacques Rueff sera un acteur vigilant et écouté lors de l’élaboration d’une législation communautaire visant précisément à favoriser la concurrence. Car Rueff peut être classé parmi les personnalités qui ont participé activement à la construction européenne. Il fut même un européen avant l’heure, entendons par là bien longtemps avant la mise en place de l’Europe des Six. En effet, en 1929, alors qu’il siégeait à la section financière de la Société des Nations, sollicité par Alexis Léger, à l’époque directeur de cabinet d’Aristide Briand, il avait été l’auteur d’un projet de Pacte économique qui visait à développer en Europe un régime plus libre de circulation des marchandises, des hommes et des capitaux. Pour lui, ce rapprochement économique des peuples européens devait être l’étape nécessaire et la condition première à une future coopération politique.

Enfin, ouverture sur le monde par l’abaissement des frontières douanières car le repli sur soi qui est la conséquence du protectionnisme est contraire au développement économique et stérilise l’esprit d’innovation.

Réformateur, visionnaire, acteur : tels sont les aspects principaux de la personnalité de Jacques Rueff que cette biographie se propose de souligner, d’autant que nombre de ses positions sont toujours en adéquation avec les questions actuelles, que ces questions soient nationales comme le problème des dettes publiques et des déficits budgétaires, ou européennes comme les relations avec l’Allemagne pour la construction d’une zone monétaire optimale, ou enfin mondiales comme la réforme toujours à faire du Système monétaire international.

  1. Gérard MINART, Jacques Rueff, un libéral français. Préface de Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, éditions Odile Jacob. En librairie le 6 janvier 2016.
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