Par Erwan Le Noan.
Un article de Trop Libre
Quand le ministre des Finances Joseph Caillaux est enfin parvenu à faire adopter l’impôt sur le revenu en 1914, l’économiste Paul Leroy-Beaulieu s’en est affligé, dénonçant un événement « aussi catastrophique que la révocation de l’édit de Nantes ». Un siècle plus tard, Jean-Marc Ayrault a convaincu les députés socialistes de rassembler cet impôt avec la CSG. Derrière des considérations apparemment techniques se cache un projet politique plus vaste qui ambitionne, au nom de la « justice », d’accroître le rendement de l’impôt et de prélever toujours plus les contribuables. La « grande réforme fiscale » de François Hollande revient par la petite porte et elle n’augure rien de bon.
Aux États-Unis, les candidats républicains à la Maison Blanche font preuve d’une tout autre audace. Ted Cruz, Rand Paul et Rick Santorum, défendent comme Jerry Brown (le gouverneur démocrate de Californie) ou Steve Forbes (le magnat de la presse républicain) avant eux, l’instauration d’une « flat tax » s’ils sont élus, les revenus seront imposés selon un taux unique (entre 10 et 20 % selon les candidats). La mesure a connu son heure de gloire depuis la chute du totalitarisme communiste : de la Russie aux États de la nouvelle Europe nombreux sont les pays qui ont fait le choix de ce mode de taxation. Outre Atlantique, plusieurs États appliquent déjà ce régime fiscal (Massachusetts, Michigan ou Pennsylvanie par exemple). En France, rares sont ceux qui défendent la réforme ; il faut dire que comme le rappelle la Cour des comptes dans un rapport de février, elle se heurterait au Conseil constitutionnel qui a sacralisé le caractère progressif de l’imposition des revenus.
La flat tax favorise la participation de tous les citoyens à l’effort fiscal : en France comme aux États-Unis, 1 % des contribuables (les plus riches) paient environ 40 % de l’impôt sur le revenu.
Le mérite de la flat tax est pourtant majeur. C’est d’abord un impôt simple et transparent : l’application d’un taux unique facilite la bonne compréhension des contribuables notamment parce qu’elle suppose la disparition des multiples niches fiscales. La flat tax favorise ensuite la participation de tous les citoyens à l’effort fiscal : en France comme aux États Unis, 1 % des contribuables (les plus riches) paient environ 40 % de l’impôt sur le revenu ; à l’inverse, presque la moitié contribue marginalement ou pas du tout. On est loin de l’impôt « citoyen ». Les effets économiques attendus en faveur du dynamisme et de la croissance sont massifs : en pratique l’instauration de ce régime fiscal s’accompagne d’ailleurs de mouvements de réforme d’ampleur.
Le principal intérêt de la flat tax n’est toutefois pas d’ordre technique ni même fiscal mais politique ; elle opère une double révolution démocratique.
La première révolution est d’obliger l’État à rationaliser son intervention. La logique fiscale française, partagée malheureusement par l’ensemble de l’échiquier politique, a inversé le rapport démocratique : les collectivités publiques ne définissent plus leurs moyens en fonction de ce que les citoyens consentent à leur confier, ce qui provoquerait un comportement vertueux dans la gestion de l’argent public ; elles dessinent d’abord leurs politiques comme bon leur semble, puis prélèvent autoritairement les contribuables, usant de leur pouvoir sans jamais se donner de limites. Peter Sloterdijk, auteur d’un excellent Repenser l’impôt, écrit fort justement que « le fisc est le véritable souverain de la société moderne » ; les réformes fiscales ne visent qu’à alimenter l’appétit dépensier des administrations (en 2016, les prélèvements obligatoires atteindront 44,5 % du PIB !).
La seconde révolution est de donner un souffle à la liberté de réussir, en tournant le dos à la fiscalité confiscatoire. La flat tax permet de revenir sur un totem de la « justice fiscale » qu’est la progressivité de l’impôt, principe au cœur du dogme de la redistribution autoritaire selon lequel il reviendrait à l’État de répartir les places et de sanctionner la richesse au nom de l’égalité, particulièrement lorsque l’économie ne croît plus et que les espoirs de mobilité sont inexistants. La redistribution fiscale, voilà l’horizon des sociétés qui ont renoncé au progrès économique.
La flat tax marque une rupture avec ces logiques de stagnation. Sans être parfaite – il faut se méfier des solutions « idéales » – , elle contribuerait à redonner pouvoir et liberté aux citoyens. Elle contraindrait le Leviathan au régime et revaloriserait la réussite matérielle en autorisant les plus belles ascensions. Pour permettre aux bonnes âmes de soulager leur conscience en même temps que leur portefeuille, elle devrait s’accompagner de la possibilité offerte de faire des dons, afin qu’aucun des intarissables défenseurs de l’impôt ne soit empêché de donner plus que l’État ne le lui demande.
La flat tax, associée à un impôt volontaire, serait une révolution démocratique. La réforme voulue par Jean-Marc Ayrault et devant laquelle le gouvernement est en train de céder ne va malheureusement pas du tout dans ce sens…
—
Retrouvez sur Contrepoints tous nos articles sur la flat tax
La flat tax revient à ajuster les actions de l’Etat à ses moyens réels et à une juste (fair) contribution des citoyens, pas l’inverse. C’est en effet une révolution démocratique. Où se trouve la majorité pour (démocratiquement) promouvoir un tel sujet?
L’argument constitutionnel ne tient sans doute pas, en France, on sait changer la consititution pour bien moins que ça.
« la majorité pour (démocratiquement) promouvoir un tel sujet »
Il est loin d’être évident que si un projet de flat tax était correctement expliqué dans les médias et même par quelques politiciens, il y aurait une majorité populaire pour s’y opposer. Il faudrait l’associer au salaire complet pour faire taire les arguments sur les faibles rémunérations et ceux « incapables de vivre avec 20% de salaire en moins qu’aujourd’hui ». Mais curieusement les oppositions sont surtout le fait de ceux qui vivent des dépenses de l’Etat, à commencer par les syndicats, les politiciens, et les journalistes…
L’article 13 de la DDHC est toujours en vigueur mais c’est comme les assurances sociales, le gouvernement s’assoit dessus quand ça l’arrange.
Bonjour Libéllule , si vous êtes là , dites -moi que pour une fois vous êtes d’accord avec mes commentaires .
Et en plus , sa flat tax sera calculée sur un salaire supérieur , car sa participation de sa mutuelle obligatoire ( une sacrée arnaque et liberticide en plus ) sera ajouté à son salaire net , ce qui fait par si sa participation est de 80 euros ( avec la prévoyance et des enfants ce ne sera pas moins pour des garanties correctes ) , en fait sa flat tax sera calculée , même à 10 % , à 1143 euros + 80 euros = 1223 euros , donc une flat tax de 122 euros mensuel pour un smic net de 1143 euros mensuel . Il lui restera donc 1021 euros…. dur dur….
je voulais » écrire » ajoutéE » .
Décidément je fais des fautes d’inattention : c’est » ajoutéE » , » salaire » , exonéréeS » , intéressantS protégeaiT …
Il est un autre avantage de l’impôt payé par tous (du moins de façon consciente): quand on verse sa contribution, on est plus porté à être attentif à l’utilisation du produit de l’impôt et moins enclin à demander toujours plus de mesures de dépenses. Ce qui est le cas quand on a le sentiment que ce sont les autres qui paient.
Plusieurs points de désaccord avec vous.
Lorsqu’on parle d’impôt sur le revenu, il faut se mettre d’accord sur ce dont on parle. Voulons-nous rester prisonnier des locutions ou voulons-nous creuser un peu plus loin ? Je m’explique : en France il existe de facto deux impôts sur le revenu, le bien nommé « impôt sur le revenu » mais également la CSG (pour simplifier je ne tiens pas compte de la CRDS) qui est aussi un impôt sur le revenu. Cela signifie donc que tout individu paie un impôt sur le revenu. Tous participe donc à l’effort fiscal.
On peut ensuite discuter de la légitimité ou l’illégitimité de la progressivité de l’impôt sur le revenu. Citons la DDHC de 1789 : « Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » La progressivité me semble très bien entrer dans ce cadre. Alors que la flat tax pose un problème qui devrait sauter aux yeux si on prend le temps de réfléchir deux secondes. Prenons un individu A qui ne gagne que le strict minimum à sa survie, et B qui ne dépense que 1% de ses revenus pour sa survie. Mettre en place un taux unique privera A des moyens pour survivre mais n’aura pas cet impact sur B. Comment dans ce cas peut-on parler de répartition « en raison des facultés » ? Cela viole la DDHC !
En fin de compte tout dépend de COMMENT on mesure la répartition « en raison de leurs [aux citoyens] facultés ».
je vois mal en quoi la flat tax obligerait l’Etat à « rationaliser son intervention » (locution très alambiquée qui ne veut pas dire grand chose, mais passons, je comprends à mi-mots que cela signifie réduire ses dépenses, je ne vois pas tellement le rapport avec « rationaliser » sans doute le sens de ce mot vous échappe). Flat tax ou non, les collectivités étatiques établiront leur budget comme elles l’ont toujours fait (ajuster les recettes aux dépenses en augmentant les taux, flat tax ou non). Je rappelle tout de même qu’en France les impôts les moins progressifs sont les impôts locaux… Donc je vois mal en quoi cela changerait quelque chose.
Parlons maintenant de la fiscalité confiscatoire. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? A partir de quel taux est-ce confiscatoire ? Est-ce le taux ou la somme ? Toute fiscalité n’est-elle pas confiscatoire comme le dirait Rothbard ? Je reconnais bien là le style de science po : rester dans le vague, ce qui est la caractéristique de nos politiciens, vous feriez sans doute une bonne carrière pensez-y !
Je reviens sur ce que j’ai dit. Car prétendre que la redistribution est l’horizon de nos sociétés actuelles est complètement aberrant. Vous avez dû rater quelques cours. La redistribution a été le moteur des sociétés occidentales post-45, il suffit de lire un peu les discours des libertarien ou néolibéraux (qui se prétendent en général libéraux) pour s’en apercevoir. Ils abhorrent les réformes post 45, expliquent qu’il faut en finir. Vous n’allez quand même pas prétendre qu’ils sont favorables à la redistribution ?
« elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » La progressivité me semble très bien entrer dans ce cadre.
Vous pouvez penser que la progressivité serait justifiée, mais certainement pas sur la base de ce texte. Dans le langage du XVIIIe, « en raison » signifie sans la moindre équivoque « proportionnellement à », « dans un rapport constant à ».
Vous ne semblez pas avoir compris l’article 13 de la DDHC qui interdit absolument l’impôt à taux progressif (tel qu’il est hélas pratiqué en France).
Il n’autorise qu’une contribution « proportionnelle » aux « facultés ».
La « raison » est en effet dans le langage de 1789 la « proportion ».
Et les « facultés » correspondent à la notion de « facultatif », c’est à dire ce qui va au delà de l’indispensable pour vivre.
Autrement dit, notre Constitution ne permet au nom de l’égalité qu’une contribution à taux fixe (flat tax) s’appliquant au delà d’un abattement correspondant en fait au droit à la vie.
La seule progressivité admise correspond donc à ce seuil d’exonération au delà duquel il ne saurait y avoir de progressivité des taux. Toutes nos lois des finances sont à cet égard depuis longtemps inconstitutionnelles.
J’en profite pour souligner l’erreur d’interprétation habituellement faite, et ici même, de la décision du Conseil Constitutionnel de 1993 qui approuve la progressivité de l’impôt au nom de cet article 13: il y a confusion évidente entre la progressivité normale du montant de l’impôt (qui résulte de la flat tax et du seuil d’abattement) et la progressivité du *taux* de l’impôt qui est justement interdite au nom de l’égalité.
merci pour cet éclairage
Quid de la situation économique et sociale des pays ayant adopté la Flat Tax?
Pourquoi les amoureux de la flat tax ne s’expatrient en Jamaique, dans les pays d’Europe Centrale et orientale, en Russie ou autres, ces pays ont la Flat tax: double discours?