Pénibilité au travail : l’erreur qui nous coûtera cher

La prise en compte de la pénibilité au travail est une erreur tant sur le fond que sur la forme. Voilà pourquoi.

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Pénibilité au travail : l’erreur qui nous coûtera cher

Publié le 7 janvier 2016
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Par Éric Verhaeghe.

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Un délégué syndical que j’apprécie m’a interpellé sur la question de la pénibilité et sur les postures « libérales » du patronat sur le sujet. Je ne voulais pas laisser passer cette occasion pour rétablir quelques points essentiels sur le sujet.

La pénibilité, une erreur sur le fond

Le gouvernement a accédé à une vieille demande syndicale qui est absurde : celle-ci consiste à indemniser les salariés pour l’ensemble du temps passé dans des fonctions pénibles au cours de leur carrière.

On ne dira jamais assez de mal de ce dispositif, pour quelques raisons simples à comprendre.

Première raison : il instaure une prime à la pénibilité. Alors que tous les pays industrialisés ont décidé de lutter contre la pénibilité des postes de travail par la prévention et de fortes mesures dissuasives pour les employeurs, la France a fait le choix inverse. Elle paiera une sorte de « prime de sortie » aux salariés concernés. C’est le contraire de ce qu’il faut faire.

Deuxième raison : ce dispositif délie les employeurs de toute responsabilité morale vis-à-vis des travaux pénibles en pratiquant la gestion du risque par transfert. Je paie des cotisations élevées parce que mes salariés sont exposés à des travaux pénibles, donc je n’ai plus à me soucier du problème. Cette logique de gestion du risque par transfert prévaut également pour la Sécurité sociale. Elle explique que la France dépense autant pour des soins aussi médiocres.

Troisième raison : la notion de pénibilité est un fourre-tout complexe qui évolue forcément avec le temps, et qui prêtera tôt ou tard à des revendications absurdes. Rappelons qu’en son temps la question de la pénibilité fut réglée par des départs anticipés à la retraite. Alors que la pénibilité des métiers concernés s’est fortement réduite (pour les cheminots de la SNCF ou de la RATP, par exemple), la pratique des départs anticipés est restée. Le même phénomène d’injustice se produira avec le nouveau dispositif.

La pénibilité, une erreur sur la forme

Parallèlement à ces erreurs sur le fond, le dispositif retenu par le gouvernement pose des problèmes majeurs sur la forme.

Quoi qu’en dise ses défenseurs, il est réglementairement très complexe à mettre en œuvre. La lecture du décret du 31 décembre l’a montré. Aucun chef d’entreprise ne peut le comprendre sauf à disposer d’un service juridique, ce qui exclut les TPE et les PME.

Cette complexité est inhérente à sa conception. Dès lors que le gouvernement a choisi de ne pas associer des métiers à la notion de tâche pénible, mais d’évaluer la pénibilité poste de travail par poste de travail, il condamne tous les chefs d’entreprise à une redoutable comptabilité. Celle-ci est forcément lourde à mettre en œuvre et, on peut déjà l’affirmer, sera source de nombreuses frustrations, tant le principe d’une mesure objective de la peine au travail percute le ressenti subjectif de celle-ci.

La pénibilité, les patrons et le libéralisme

Reste que l’histoire du dispositif sur la pénibilité n’est pas glorieuse pour les mouvements qui prétendent représenter les entreprises.

Lorsque François Fillon a réformé les retraites en 2003, il a en effet renvoyé aux partenaires sociaux le soin de négocier un accord réglant la question de la pénibilité. Avec malice, le MEDEF a tout fait pour torpiller cette négociation, qui s’est finalement achevé en eau de boudin en 2008. Cet abandon en rase campagne a légitimé une intervention directe de l’État sur le sujet.

Si les mouvements patronaux français étaient inspirés par une logique libérale, ils se montreraient capables d’agir par « soft law » et d’assumer leurs responsabilités. Dans le cas présent, le bon sens consistait à négocier un dispositif acceptable par les organisations syndicales et par les entreprises, sauf à s’opposer ouvertement à la réforme des retraites.

Dans la pratique, les mouvements patronaux ont cherché à se dérober à leurs obligations et ont finalement laissé la réglementation agir là où ils n’avaient rien fait. C’est l’étatisme en creux du patronat français qui a prévalu une fois de plus : celui qui consiste à ne rien faire soi-même et légitimer ainsi l’intervention supplétive de l’État.

Car la France, et c’est bien son problème, a le patronat le moins libéral du monde.

Sur le web

Lire sur Contrepoints l’article de Kevan Saab sur le compte pénibilité

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  • Plus que d’accord avec l’article, la mise en place de pénibilité est une vrai usine à gaz.
    Directeur de site et ayant à mettre en place ce dispositif, je suis effaré par ce système. il ne me semble pas que j’ai pour mission de « flinguer » des salariés au travail mais plutôt d’avoir des salariés en bonne santé pour effectuer du bon travail !
    Pour le fun : qu’est-ce qu’un geste répétitif ou un geste contraint ?
    Des livres ont été écrits sur le sujet !
    Je retiens la très intelligente ministre qui a affirmé qu’il ne s’agit que d’un clic sur un ordinateur !
    De plus les branches s’en sont lavées les mains en laissant le soin aux entreprises de gérer cela.
    Reste qu’il y a un coût direct sur les cotisations et un cout indirect pour la mise en place de ce dispositif qui ne satisfera personne, ni les entreprises, ni les salariés, et pour quels bénéfices !
    Nous verrons naître des contentieux dans quelques années, car les salariés se sentiront floués pensant que leur travail est pénible et qu’en analysant leur emploi, l’entreprise a défini une non pénibilité de cet emploi.
    Et enfin, c’est une mystification de faire croire aux salariés qu’ils pourront partir plus tôt. Dans les faits, c’est après avoir écluser tous les autres dispositifs avants (formation, aménagement de postes, etc …) qu’ils pourront envisager un départ un peu plus tôt à la retraite. Et là encore une fois qui paiera ?
    Et cerise sur le gâteau, ajoutez le casse-tête de la DSN dans les entreprises, et la coupe est pleine.
    En France, nous sommes dirigés par des corporatistes et étatistes consanguins.
    Et contrairement à ce que pensent beaucoup de français, c’est une catastrophe pour notre pays.

  • Article que je partage pleinement, toutefois je poserai la question de savoir pourquoi, selon l’auteur, nous avons le patronat le moins libéral. Peut-être devons nous demander si celui-ci n’est pas contraint par un carcan étatique dans lequel il essaie de s’adapter au risque de périr définitivement.

    L’absence totale de liberté conduit en effet le patronat à rechercher les moins mauvaises voies pour survivre…et ce au détriment du libéralisme.

  • Ce qui est choquant pour moi, c’est que nulle part dans le barème il est question des salariés qui font plusieurs de ces gestes par jour mais CHACUN trop peu longtemps pour être comptabilisé.
    On va peut-être créer des emplois de chronométreurs de pénibilité pour pouvoir changer les gens de poste juste avant d’arriver au temps nécessaire.

    • Donc des coûts inutiles en plus !
      Les ressources financières, on les trouves où ?
      A ce petit jeu, seuls les grandes entreprises pourront s’en sortir.
      Je pense que c’est voulu; chercher à étouffer les PME/TPE en les surchargeant de normes règlementaires impossibles à assumer humaines et financièrement pour elles.

      • Pour info je me suis livré à un petit calcul pour chiffrer le surcoût de la mutuelle salariés (prise en charge 50 % employeur) et le compte pénibilité = 1 salaire en plus soit un 13 ème mois.

        Sachant que beaucoup de TPE et PME dégagent un résultat proche voire inférieur à cette somme, de nombreuses entreprises vont avoir un résultat négatif. Si pas de fonds propres suffisants = cabane sur le chien. Et quand bien même serait elle dotée de fonds propres il est assez hallucinant de ponctionner les fonds propres pour payer des frais de fonctionnement. Les fonds propres sont là pour assurer le développement de l’entreprise en finançant partiellement au moins les investissements.

        La France gérée par des débiles conduit l’économie productrice de richesses dans les abîmes…

  • Ben oui, le travail ça fatigue et c’est parfois pénible. Mais aucun de nos gouvernants n’ayant jamais vraiment travaillé ni surtout dans un travail « pénible », que voulez vous qu’ils se fassent comme idée de la chose ?

  • Noter au passage que certains des critères de pénibilité vont avoir des impacts très larges. Ceux concernant la température vont concerner systématiquement ceux qui travaillent en extérieur à cause des jours de gel inférieur à 5° et ceux d’été supérieurs à 30° … La climatisation va aussi devenir indispensable où les bureaux vont dépasser les 30° donnant donc droit à la pénibilité. Idem pour les salariés travaillant en voiture où le bruit peut être important. On va bien rigoler avec des négociations sans fin sur des bouts de chandelles. C’est sur ce genre de champ de bataille stérile que prospèrent justement nos hommes politiques et leurs sbires.

  • Que fait-on des salariés qui n’ont comme atout que la pénibilité à offrir à l’entreprise ?
    Pour ne pas s’enliser dans l’application de cette usine à gaz on va mécaniser , robotiser tout ce qui peut l’être et se passer des salariés qui n’ont que la pénibilité à valoriser

    • Nivelle, il s’agit de la meme chose avec le revenu minimum. Les moins dotes se retrouvent encore sur le carreau, dependent de l’Etat pour survivre et creer un electorat parfait pour nos partis politiques actuelles.

      Pourtant il est simple de comprendre que la loi de l’offre et de la demande devrait regir ces metiers dits penibles sans attendre de regulations particulieres

  • #Car la France, et c’est bien son problème, a le patronat le moins libéral du monde.#

    Conclusion erronnee : la France et ses elements constitutifs ne sont pas liberaux.
    Ne demandez pas au patronat ce que le pays est incapable de concevoir.

  • Pas du tout d’accord avec cette vision (sans doute parce que je suis préventeur et pas chef d’entreprise).
    La vérité, c’est que les obligations pour les employeurs en terme de prévention des risques puis de la pénibilité remontent maintenant à 2001 avec le document unique mais que les employeurs ont toujours eu beaucoup de réticences à les mettre en oeuvre (avec une certaine complicité des pouvoirs publics pour ne pas entraver le développement des entreprises).
    Cette loi sur la prévention de la pénibilité se veut incitative: elle exige des employeurs qu’ils se penchent (enfin) sur la réalité concrète des risques professionnels au sein de leur entreprise et qu’ils entament une démarche vertueuse de prévention de ces risques. En effet, l’objectif de la loi n’est pas de faire partir les salariés exposés plus tôt à la retraite mais de réduire voire supprimer l’exposition à des tâches pénibles.
    Pour faciliter la tache des employeurs, de multiples aménagements successifs de la mise en oeuvre de la loi ont déjà eu lieu : il est temps de faire preuve de responsabilité.

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