Par Corinne Deloy.
Un article de Trop Libre
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Pour la première fois de son histoire, plus de deux semaines après les élections parlementaires, l’Espagne n’a toujours pas de Premier ministre et il est aujourd’hui impossible de dire si le parlement nouvellement élu permettra de former un gouvernement.
Le Parti populaire (PP), formation du Premier ministre sortant Mariano Rajoy, est arrivé en tête du scrutin du 20 décembre dernier. Avec 28,7% des suffrages, le parti a obtenu 123 sièges au Congrès des députés, chambre basse du parlement espagnol, 63 de moins cependant par rapport aux élections de 2011. Le Parti socialiste ouvrier (PSOE) a recueilli 22% des voix et remporté 90 sièges de députés (- 20).
Les deux partis ont devancé la formation d’extrême gauche Podemos (Nous pouvons) de Pablo Iglesias, qui a fait mieux que ne le prévoyaient les enquêtes d’opinion et a obtenu 19% des suffrages et 63 sièges de députés, et Ciudadanos (C’s), parti centriste d’Alberto Rivera, qui a recueilli 13,9% des voix et remporté 40 sièges au Congrès des députés.
Premier constat : les élections parlementaires du 20 décembre ont profondément bouleversé l’équilibre des forces à l’œuvre sur la scène politique espagnole dominée depuis 1982 par le bipartisme (Parti populaire/Parti socialiste ouvrier). Les deux principales formations espagnoles ont enregistré les résultats les plus faibles de toute leur histoire. Ensemble, elles ne rassemblent que la moitié des Espagnols (50%) pour près des trois quarts en 2011 (73,4%) et 83,8% en 2008.
« Le Parti populaire et le Parti socialiste ouvrier ont fini par patrimonialiser les institutions : c’est cela le poison du bipartisme. Les conservateurs sont largement associés aux inégalités, à la précarité et au manque d’attention aux citoyens ; quant aux socialistes, dominés par les baronnies, ils sont englués dans un vide idéologique et à bout de souffle. En 2011, les indignés criaient : « Vous ne nous représentez pas ! » Reste aujourd’hui aux partis hégémoniques à payer les conséquences de leur cécité » analyse le philosophe Josep Ramoneda. « Jusqu’alors, on pensait autour de l’axe gauche-droite. Or les nouvelles formations, difficilement catalogables, introduisent un autre fossé » souligne de son côté le politologue de l’université Complutense de Madrid, Enrique Gil-Calvo.
Quel gouvernement ?
Au vu des résultats des élections parlementaires, trois solutions peuvent être envisagées. La première prend la forme d’une coalition qui regrouperait le Parti populaire et Ciudadanos. Outre que celle-ci ne rassemblerait que 163 sièges (soit 13 de moins que la majorité absolue du parlement), le parti d’Alberto Rivera a indiqué, dès l’annonce des résultats, qu’il refuserait de participer à un gouvernement avec la formation du Premier ministre sortant.
Deuxième solution : une coalition unissant le Parti socialiste ouvrier à Podemos, à l’image de ce qui s’est passé au Portugal en novembre dernier où le socialiste Antonio Costa a formé un gouvernement minoritaire qui bénéficie du soutien (sans participation) de deux formations de la gauche radicale. L’alliance Parti socialiste ouvrier/Podemos regrouperait seulement 153 sièges et devrait donc trouver d’autres alliés pour être majoritaire. Les deux partis de gauche pourraient envisager de s’appuyer sur des formations régionalistes qui ensemble ont obtenu 26 élus au Congrès des députés mais un tel gouvernement serait cependant trop fragile pour se maintenir et gouverner un pays en grande difficulté économique. En outre, 17 de ces 26 sièges sont revenus à deux partis catalans favorables à l’indépendance de leur région (Gauche républicaine de Catalogne, ERC, et Démocratie et liberté (DiL)) alors que le Parti socialiste ouvrier est opposé à toute sécession de la Catalogne, Podemos étant quant à lui partisan d’un référendum régional sur la question.
Enfin, si une grande coalition rassemblant populaires et socialistes est possible au vu des résultats du scrutin du 20 décembre (les deux principales formations espagnoles disposeraient de la majorité absolue au parlement), les relations conflictuelles existant entre le parti de Mariano Rajoy et celui de Pedro Sanchez excluent un tel rapprochement.
Vers un nouveau scrutin ?
Les négociations pour tenter de former le futur gouvernement espagnol ne font donc que commencer. La Constitution du royaume ibérique ne fixe aucune date butoir aux politiques pour une telle entreprise. Pour être élu chef du gouvernement, un candidat doit rassembler sur son nom la majorité absolue des parlementaires lors du premier tour de scrutin, puis, lors du deuxième, une majorité simple, soit davantage de suffrages en sa faveur que de voix contre lui. Nombreux cependant sont les analystes politiques à envisager l’échec des négociations et l’organisation de nouvelles élections parlementaires au printemps prochain. Le nouveau Congrès des députés siégera pour la première fois le 13 janvier.
Les élections parlementaires espagnoles ont clos une année de scrutins en Europe du Sud où trois États membres – Grèce, Portugal et Espagne – gravement touchés par la crise économique et pour deux d’entre eux, récipiendaires de l’aide internationale, ont renouvelé leur parlement. De nombreux analystes avaient anticipé une poussée de la gauche radicale dans ces pays ; elle a bien eu lieu, de façon nette en Espagne et en Grèce, où la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA) emmenée par Alexis Tsipras a conquis le pouvoir, beaucoup plus relative au Portugal, qui est toutefois aujourd’hui dirigé par un gouvernement socialiste soutenu par deux partis de la gauche radicale.
Au-delà de ces résultats, les élections de l’année 2015 dans ces pays ont encore renforcé un phénomène que l’on peut observer depuis plusieurs années : scrutin après scrutin, les partis de gouvernement ne cessent de reculer et le clivage gauche/droite de perdre de son acuité dans les États membres de l’Union européenne au profit de celui qui oppose les citoyens actifs, confiants dans leurs capacités à conserver leur place au sein d’un monde globalisé et qui souscrivent à une société ouverte à ceux qui, effrayés de ne pas y trouver leur place (ou craignant de ne pas en avoir), la rejettent.
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