Par Johan Rivalland.

Le procès de Socrate, la condamnation d’un homme qui demeure mystérieux, puisqu’il n’a laissé aucun écrit lui-même, et suscite pourtant toujours autant de passion et d’admiration plus de 2000 ans après sa mort. Le trouble que suscite la condamnation à mort paraissant aujourd’hui incompréhensible, dans un système dit démocratique, d’un philosophe hors norme et n’ayant commis aucun crime au sens contemporain, si ce n’est se comporter en homme libre. Un questionnement qui continue de nous tarauder et nous interroger sur les ressorts de notre système de pouvoir, que l’on a l’habitude pourtant d’ériger ici comme étant “le moins mauvais des systèmes“.
Voilà le sujet dont s’empare, dans le présent ouvrage, Claude Mossé, historienne spécialiste de la Grèce antique.
Et pour tenter d’y répondre, ou du moins de mieux en comprendre les fondements, l’auteur nous propose une démarche d’analyse à la fois aiguisée et stimulante.
Le contexte historique et les institutions
Pour commencer, nous voilà plongés dans l’Athènes du cinquième siècle avant Jésus Christ, les grands événements qui caractérisent cette époque, et notamment les changements du système de pouvoir, sur lequel les guerres, et en particulier celle du Péloponnèse, vont avoir une incidence.
Le débat politique, l’influence du mouvement sophiste (dont on peut rendre grâce à l’auteur de ne pas caricaturer une fois de plus les fondements et d’en montrer la diversité), la société de l’époque, sont autant d’éléments essentiels dont on ne peut faire abstraction pour tâcher de mieux comprendre le contexte dans lequel va se dérouler le fameux procès, très caractéristique d’ailleurs de l’époque et pas si exceptionnel qu’on veut bien le croire.
Socrate, un homme libre
Puis, c’est à la découverte de Socrate, l’homme et son enseignement, le courage exceptionnel dont il fit preuve à plusieurs reprises au péril de sa vie, en homme libre qu’il était, ainsi que la recherche du regard qu’il pouvait avoir sur la démocratie, que nous emmène Claude Mossé.
Une connaissance parcellaire qui repose essentiellement sur les écrits de deux témoins : Xénophon et Platon, dont l’approche est quelque peu différente, mais dont certains points de convergence permettent d’établir un certain nombre d’états de fait que l’on peut tenir pour établis, même s’il n’est pas facile de discerner la part de l’authentique et du fantasmé lorsque la passion intervient ou que, comme chez Platon, sa propre pensée vient parfois se mélanger avec celle de l’être admiré.
Le procès
Après le contexte historique, les institutions et l’homme, voici donc le procès lui-même, replacé dans l’univers de la justice athénienne et son fonctionnement.
La présentation des accusateurs, qui n’est pas détachée du fond de l’affaire, les chefs d’accusation, qui ne sont potentiellement que des prétextes à condamner un homme qui gênait par sa liberté de ton, l’influence du politique, et donc du contexte historique étudiée auparavant. La condamnation et la mort, avec toute la réflexion que celle-ci suscitait à l’époque et la vision qu’en établit Socrate auprès de ses amis en attendant pendant un long mois que le verdict ne soit exécuté.
Et en conclusion ouverte, la portée historique de ce procès et de cette condamnation, le développement du mythe à travers les époques, ainsi que la question latente de la démocratie athénienne, et à travers elle sans doute notre propre démocratie. Sans que l’on ait de réponse. Mais avec l’ambition probable de contribuer à enrichir notre réflexion sur nos institutions.
Un ouvrage intéressant, qui donne envie d’aller encore plus loin et de se pencher plus encore sur les rapports entre démocratie et liberté. Un sujet en or, et inépuisable.
– Claude Mossé, Le procès de Socrate – Un philosophe victime de la démocratie ?, André Versaille éditions, mars 2012, 160 pages.
” la question latente de la démocratie athénienne, et à travers elle sans doute notre propre démocratie. ”
Qui a dit que la décision prise à la majorité était nécessairement la bonne… mais même mauvaise ou contestable, elle reste démocratique.
Après… on peut toujours préférer le tyran éclairé 🙂
« même mauvaise ou contestable, elle reste démocratique »
Et c’est en partie pour cela qu’il fût condamné à mort. Les chefs d’accusations étaient doubles :
– on lui reprochait d’interroger publiquement le bien fondé des Lois de la Cité, et donc de les remettre en question : ce qui pervertissait la jeunesse aux yeux des ses accusateurs
– de nier l’existence des Dieux.
Donc pour la démocratie athénienne, le principe était : « si la loi le dit, c’est que c’est juste ! » Les athéniens avaient plutôt une approche positiviste que jusnaturaliste du droit. 😉
« on peut toujours préférer le tyran éclairé »
Un monarque n’est pas nécessairement un despote. 😉
Et dans son ouvrage La République, Platon fait dire dans la bouche de Socrate que la démocratie engendre la tyrannie.
Quand on parle de philosophes antiques, il convient de se méfier. Aujourd’hui, on imagine un intellectuel détaché du monde et brasseur d’idées, ou encore un professeur.
Les philosophes antiques étaient d’abord des citoyens de leur Cité-Etat, et donc des soldats et, quand ils se retrouvaient pour confronter leurs idées, c’était parce qu’ils faisaient partie d’une ambassade où encore parce qu’ils se rendaient dans un lieu sacré (Delphes) où à l’occasion d’une trève (les Jeux).
Il faut imaginer Socrate comme un vieil officier retraité des “marines” (semper fi) athéniennes, courageux et tenace au combat, aimant discuter de tout avec ses amis et ses jeunes disciples dont l’aristocrate Platon, qui avait comme ancêtres les derniers rois d’Athènes et Solon, le fondateur de la république athénienne.
Platon eut comme disciple un jeune macédonien de la Cour de Pydna où son père était le médecin du roi Philippe, dont le nom était Aristote.
Plus tard, revenu à Athènes, Aristote devint le premier philosophe enseignant professionnel après avoir ouvert son “Lycée”, véritable université avec ses professeurs payés.
Mais il convient de se rappeler les circonstances antérieures au procès et à la condamnation de Socrate. Sparte avait vaincu Athènes qui avait du capituler et abattre ses remparts. La république fut abolie et Sparte imposa un nouveau régime qui lui était favorable, celui que l’Histoire appelle le régime de “Trente Tyrans”.
C’est durant cette période que Socrate fut contraint de boire la cigüe, comme d’autres avant et après lui.
Ce rappel pour couper court à des interprétations anachroniques
http://www.histoire-fr.com/epoque_classique_6.htm
“”La république fut abolie et Sparte imposa un nouveau régime qui lui était favorable, celui que l’Histoire appelle le régime de « Trente Tyrans ».””
Il y a dans l’Histoire deux époques des “Trente Tyrans”. La vraie et celle qui donna, par analogie son nom à la seconde est celle d’Athènes.
La seconde est la période agitée de l’empire romain entre 253 et 270 où les généraux se disputent le trône impérial et qu’on connaît également sous le nom “d’anarchie militaire”
“L’Histoire Auguste” a ainsi dénombré 32 Caesars mais seulement 17 sont surs et confirmés par des émissions monétaires.
Les lettrés romains étaient bilingues, comprenant et écrivant le latin et le grec, la mode étant d’envoyer les enfants romains de l’aristocratie étudier en Grèce, et c’est certainement en référence aux Trente Tyrans d’Athènes qu’ils ont ainsi appelés les Caesars usurpateurs de la période d’anarchie militaire, la plupart disparus de mort violente après un règne très court.
« Aujourd’hui, on imagine un intellectuel détaché du monde et brasseur d’idées, ou encore un professeur. »
Qui est ce « on » ?
« Il faut imaginer Socrate comme un vieil officier retraité des « marines » (semper fi) athéniennes, courageux et tenace au combat, aimant discuter de tout avec ses amis et ses jeunes disciples dont l’aristocrate Platon, qui avait comme ancêtres les derniers rois d’Athènes et Solon, le fondateur de la république athénienne. »
Assurément, et les fonctions tant militaires que politiques qu’il occupa dans sa vie ont sans doute eu un rôle dans le résultat du vote sur sa culpabilité : selon l’Apologie de Platon, cela c’est joué à 30 voix sur 500. Bien que ses accusateurs Mélétos, Anytos et Lycon réclamaient la peine de mort contre lui, le jury aurait sans doute acceptait l’exil. Mais la peine que Socrate proposa contre lui-même (une amende de 30 mines), et le discours qu’il prononça pour se justifier, poussa ce dernier à le condamner à mort.
Je ne vois où vous voulez en venir dans le lien Socrate-Platon-Aristote, et la fondation du Lycée par ce dernier. Que ni Socrate, ni Platon n’étaient des professeurs payés ? Qui l’a mis en doute ? Quoique l’on peut voir l’Académie fondée par Platon comme l’ancêtre du Lycée fondé par Aristote.
« La république fut abolie et Sparte imposa un nouveau régime qui lui était favorable, celui que l’Histoire appelle le régime de « Trente Tyrans ». »
Si Lysandre institue les « Trente Tyrans » en -404 suite à la défaite face à Sparte, la démocratie est rétablie en -403 et le procès a lieu en -399.
« Ce rappel pour couper court à des interprétations anachroniques »
Lesquelles ? Les principes et les idées ne seraient-ils pas immuables et éternels ? Fondés de toute éternité dans la commune raison humaine, cette dernière ne doit-elle pas emprunter le chemin de la réminiscence pour les retrouver ? Ne doit-elle pas sortir de la caverne pour ne plus voir que leurs ombres, mais les admirer dans leur entière pureté ? Si dans ces dernières formulations se trouvent sans doute un mélange de la pensée de Socrate à celle de Platon, ne peut-on voir dans ce procès les prémisses de l’interrogation jusnaturaliste face au positivisme et la tradition ?