Par Julien Gonzalez
Un article de Trop Libre
Le progressisme se pare d’un nouveau dogme : l’allongement de la durée des études – couplé à une démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur – serait intrinsèquement bon pour notre société. L’objectif annoncé par François Hollande d’amener 60 % d’une classe d’âge dans le système postsecondaire est, à ce titre, ô combien symbolique.
Les tenants d’une telle politique s’appuient sur une double justification bienveillante : la promesse d’une réduction des inégalités et l’avènement d’une économie du savoir vorace en jeunes diplômés. Conséquence directe, le master est aujourd’hui le diplôme le plus délivré avec près de 140 000 nouveaux titulaires chaque année, soit davantage… que le nombre de BEP ou CAP.
Iniquité dans la répartition des diplômes
Une observation attentive du réel justifie-t-elle cette orientation ? A minima, elle devrait nous interroger. Le plus élémentaire bon sens la rend absurde. Tout d’abord, les effets de l’ouverture de l’accès à l’enseignement supérieur sur la réduction des inégalités sociales sont, au mieux, très discrets pour deux raisons : l’iniquité dans la répartition des diplômes entre groupes sociaux et la dévalorisation de ces mêmes diplômes sur le marché du travail.
Ainsi, parmi les enfants de cadres ou de professions intermédiaires âgés de 20 à 24 ans, on trouve deux fois plus d’étudiants que chez les enfants d’ouvriers, alors qu’au sein de la cohorte d’élèves entrés en 6e en 1995, 41 % des enfants de cadres ont terminé leurs études diplômés d’un master, d’un doctorat ou d’une grande école, contre 4 % pour les enfants d’ouvriers non qualifiés.
La deuxième explication tient à l’incapacité de l’économie française à absorber l’afflux de nouveaux diplômés de masters, car aux 140 000 bac+5 distribués chaque année répondent moins de 40 000 recrutements de cadres juniors. L’offre de travail étant plus de trois fois supérieure à la demande, la valeur faciale du diplôme s’effondre ; la baisse de son utilité annule donc le gain potentiel espéré par la démocratisation éducative.
Espérance bafouée
Le problème prend alors forme, c’est celui de la masse discordante, du différentiel de 100 000 jeunes diplômés pour lesquels la société doit assumer une espérance bafouée. L’espérance bafouée des 30 % d’étudiants sortis du système en 2004 avec un master et toujours pas cadres sept ans après leur entrée dans la vie active. Celle des 9 % de diplômés d’écoles de commerce ou des 12 % de titulaires de masters universitaires de 2010 encore au chômage trois ans plus tard.
La frustration est alors inéluctable, c’est l’inévitable retour de boomerang de la fausse promesse. Frustration du jeune diplômé, observant le gouffre existant entre l’espoir et le constat, entre les efforts accomplis, l’investissement – en termes de temps et de ressources financières – que représentent la poursuite d’études longues et la récompense, c’est-à -dire le statut social et la rémunération. Frustration également pour les familles dont les enfants accèdent à des niveaux de formation plus élevés, qui éprouvent successivement fierté, déception et résignation.
Concurrence déloyale
En fin de chaîne, les moins et non diplômés souffrent aussi, le déclassement des uns se répercutant sur la situation des autres, ces derniers étant victimes de la concurrence déloyale des premiers sur des postes inférieurs à leur niveau de qualification. Les plus mal lotis en matière de capital scolaire étant les ressortissants des classes populaires, la boucle est bouclée : la fuite en avant généreuse se confond en bombe à retardement sociale et générationnelle.
Mais tout cela interroge bien au-delà , c’est la question du sens de la fonction d’enseignement qui est posée. Car le doute est permis : la quantité s’obtient-elle au détriment de la qualité ? La logique des objectifs chiffrés à atteindre (les 60 % d’une classe d’âge à l’université aujourd’hui, les 80 % au baccalauréat hier) est elle-même un pousse-au-crime, le moyen le plus simple d’y parvenir demeurant l’abaissement du degré d’exigence. Il va sans dire qu’un « temps de passage » atteint selon cette méthode modérerait sérieusement le bien-fondé de la démarche… Attention à ne pas transformer l’enseignement supérieur français en un système « où il ne s’agit plus tant d’apprendre que d’être certifié par le diplôme comme ayant appris », comme le dit si justement la sociologue Marie Duru-Bellat. La configuration actuelle commence pourtant à y ressembler furieusement.
Cercle vicieux
Il faut dire que le mécanisme est redoutable, une sorte de prophétie auto réalisatrice permanente. L’affirmation « plus on est diplômé, moins on a de risques d’être au chômage » demeurant exacte, les individus ont intérêt à opter pour des stratégies de poursuite d’études, ce qui vient alimenter à la fois le stock de diplômés et les cas de distorsion de concurrence sur les postes moins qualifiés, aggravant de fait la situation des non diplômés… et rendant plus que jamais nécessaire la détention d’un diplôme de l’enseignement supérieur ! C’est alors que le cercle vicieux s’enclenche, la situation incitant bien souvent les acteurs à une prise de décision in fine relativement inefficace à l’amélioration de leur propre sort.
Deuxième élément, l’afflux d’étudiants créant une forte demande de formation, un marché du supérieur se développe naturellement. Partant, les écoles et universités redoublent d’ingéniosité pour attirer les étudiants et mettent en place des politiques de développement, dans un environnement de plus en plus concurrentiel. L’établissement est alors bien souvent incité à mettre en avant des taux d’insertion et des niveaux de rémunération à la rigueur scientifique incertaine. Et nous n’évoquerons pas, par manque de données, le cas des écoles privées hors contrat et non reconnues par l’État, dont le nombre croît sensiblement année après année…
Nous faisons fausse route, mais l’empruntons avec enthousiasme. Dans le prolongement des discours annonçant l’arrivée d’un monde postindustriel et post-travail (notamment théorisé par Jeremy Rifkin), la France a opté depuis la fin des années 1990 pour un modèle de formation supérieure censé préparer les jeunes générations à intégrer une économie tertiarisée composée d’« entreprises sans usines », selon l’expression de Serge Tchuruk. Nous avons cru – ou fait mine de croire – que nous pourrions proposer à l’ensemble de notre jeunesse des postes d’encadrement.
Certes, la France a besoin de cadres dans les activités financières, le numérique ou l’énergie, mais également de soudeurs, de logisticiens, de commerciaux et d’employés. Et probablement en plus grande quantité.
Justice sociale
Les questions d’égalité des chances et de justice sociale occupent une place centrale dans la construction de notre système éducatif. Loin de sous-estimer le caractère vital de ces sujets, leur évocation systématique pour justifier les politiques de démocratisation de l’enseignement post-baccalauréat ne présage en rien de l’efficacité des choix opérés en la matière, ce que toutes les études semblent montrer. Il convient dès lors de replacer le rôle de l’enseignement supérieur dans un contexte plus large, celui de la construction sociale et professionnelle des individus, et de repenser son rôle en articulation avec l’école et la possibilité de se former au cours de sa carrière.
Le « master pour tous » fait figure d’étendard, d’emblème d’une époque ; alors que le « droit à l’éducation » de la Déclaration universelle de 1948 était synonyme d’émancipation individuelle et d’élévation des consciences, le délirant « droit au diplôme » consacre l’hypocrisie et le refus de toute contrainte. En sortir nécessitera une réforme ambitieuse de notre système d’enseignement supérieur. Il s’agira, entre autres, d’encourager la formation tout au long de la vie, de mettre fin à la sacralisation du diplôme et de valoriser la pluralité des réussites et, in fine, de faire preuve de courage politique : cela supposera alors de réguler les flux d’étudiants et d’enterrer définitivement le « master pour tous ». Cela signifiera, surtout, le choix de l’honnêteté intellectuelle et de la dure confrontation avec la réalité, au détriment du confort des raisonnements qui, sous couvert de progressisme, tutoient aujourd’hui la fainéantise et la lâcheté.
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la question est la planification….on ne voit pas de mécanisme qui permet à l’offre de s’adapter à la demande..
ceci dit
L’affirmation « plus on est diplômé, moins on a de risques d’être au chômage » demeurant exacte
ne me semble pas exacte elle ne distingue pas le fait que certains diplômes n’ont pas beaucoup d’utilité formatrice au contraire que de l’apprentissage par exemple.
Il faut remettre le diplôme à se place.
Avec un diplôme supérieur vous pourrez effectivement prétendre à une rémunération supérieure . Cependant vous avec beaucoup plus de chance de trouver du travail avec un CAP ( plombier-chauffagiste , électricien , boucherie , etc…. ) que si vous possédez un diplôme universitaire en économie ( management unités commerciales ou autres secteurs tertiaires ) . De plus , vous pourrez vous mettre à votre compte ( dur d’être banquier à son compte ). Mon frère , comptable de profession ,connait un plombier sur Lille qui paie lISF . J’ai un autre copain qui possède une entreprise de bâtiment : il faut voir la maison qu’il a et c’est vacances en Amérique du Sud avec sa famille tous les mois d’août . il faut arrêter de croire que CAP= pauvreté . Par contre , beaucoup de sur-diplômés ne trouvent rien , ou alors c’est payé nettement en-dessous de sa valeur . C’est pour cela qu’on les a surnommés  » génération précaire  » !Mon fils est dans ce cas , tout ce qu’il trouve , ce sont des CDD payés 1300 euros ! Je lui ai dit qu’un bon CAP vaut mieux que lui sur le marché du travail et qu’il gagnera plus , et ans sa région en plus ! il cherche donc maintenant à se reconvertir ! Quelle perte de temps et d’argent, si on avait su….
Les déconvenues n’attendent même pas 5 ans après le bac: que l’on songe aux bacheliers technologiques admis en fac suite à un tirage au sort…
Toute une partie de la jeunesse sacrifiée à l’idéologie socialiste pour laquelle le travail manuel ou concret est d’abord une aliénation et une exploitation… Il faudra sans doute du temps et beaucoup d’échecs, pour que les parents aient une vision plus réaliste, plus saine, et finalement plus humaine de la formation professionnelle. Et que les enseignants ne considèrent plus que la formation dont ils ont bénéficié est la meilleure voie pour accéder à la vie active.
Les socialistes encourages les études longues ,même si’ils elles ne débouchent sur aucun emploi , car pendant ce temps là ces jeunes ne sont pas inscrits à pôle emploi et sont donc hors statistique du chômage . C’est du maquillage du chiffre artificiel .*
Mon fils , bien diplômé , a compris , après moult démarches infructueuses , qu’il ne trouvera rien dans sa branche et veut maintenant passer un CAP de plombier-chauffagiste pour se mettre à son compte par la suite . De plus , nous voyons bien sur les sites d’offres d’emploi ( pôle emploi et beaucoup d’autres sites ) qu’il n’y a jamais aucune offre dans sa branche . Par contre , allez sur pôle emploi , le bon coin , vivastreet , keljob etc…. vous verrez le nombre incroyable d’employeurs qui recherchent et ne trouvent pas des plombiers-chauffagistes , électriciens , plaquistes , couvreurs , bouchers-charcutiers …. ils pleurent pour en trouver et sont prêts à leur offrir une bonne rémunération dès le départ . Et tout ceci dans ma province ( Nord-Pas de Calais ) .
Si j’avais su , au lieu de faire faire des études longues à mon fils qui ne débouchent sur rien , je lui aurais fait passer un bon CAP ou bac pro dès le départ . cela ferait 6 ans qu’il travaillerait déjà et aurait également déjà de l’argent de côté et son indépendance . Nous sommes dégoutés !
Veuillez m’excuser , je voulais écrire , à la première ligne ,  » encouragENT  » !
Brader les diplômes ne fait qu’aggraver la situation et faire perdre du temps et de l’argent. Le bac aujourd’hui n’a aucune valeur pour un employeur et même démontre la faiblesse pour ceux/celles qui n’ont pas obtenu une mention bien ou très bien , c’est donc contre productif. C’est un peu la même chose pour les masters : pour beaucoup d’entre eux le niveau n’apporte pas grand chose à son employabilité. Sans parler des psychologues, sociologues … pour lesquels il n’y a pas de demande. Quant aux économistes c’est encore plus dramatique compte tenu de leur programme biaisé ( toujours très keynesiano marxiste). A vouloir faire faire la même chose à tout le monde on perd sur les deux tableaux ( les intello sont moins performants et les manuels ne sont plus assez formés et motivés). Prenons exemple sur la Suisse ou la Hollande : on recherche l’excellence dans son domaine mais il y a des passerelles si on s’est trompé.
Les études sont un investissement. Comme tout investissement, elles peuvent être payantes ou non, risquées ou non, etc.
Réduire la problématique à « les études ne servent à rien » ou à « sans études, point de salut » me parait très réducteur. De la même manière, les expériences personnelles ne me semblent pas valoir tripette.
Statistiquement parlant, plus vous êtes diplômé, mieux vous êtes payé. On me répondra : « oui, mais les artisans … ». Les artisans sont des entrepreneurs et non des salariés. On ne peut comparer un artisan et un employé. L’un prend des risques, l’autre non.
Dès lors, comparez les salaires médians (plus parlant que moyens) d’un artisan plombier à son compte et d’un cardiologue dans le privé … Comparez les salaires d’un maçon employé à celui d’un chef de projet employé. Vous verrez bien les différences.
Nul besoin d’études pour gagner sa vie. Tout est question d’offres et de demandes. Néanmoins, plus de gens sont capables de devenir maçon que neurochirurgien. D’où les salaires plus haut des neurochirurgiens.
Vous n’avez pas tort mais on peut nuancer encore:
« Nul besoin d’études… » : il y a études et études: celles qui font partie d’une cursus officiel, et toutes les formations qui vous donnent des compétences ciblées et concrètes: un « manuel » avec des compétences même limitées en comptabilité, droit social ou commerce craindra moins de créer son entreprise; la pratique d’une de deux ou de trois langues étrangères vous ouvrira des portes dans bien des métiers.
D’autre part, on sait qu’il n’y a pas assez de proximité entre l’enseignement et la vie réelle, que ce soit dans l’apprentissage ou la formation permanente, ce qui facilite la montée dans l’échelle sociale, même à l’intérieur des entreprises, comme en Allemagne, mais parfois aussi dans la recherche universitaire.
Oui , tous les cas de figure sont possibles Prés de chez moi, dans le Nord , je connais quelqu’un , issus d’une famille modeste , qui s’est installé comme magnétiseur c’est une activité légale ) depuis une trentaine d’année Je le connais , il n’a aucun diplôme , rien ! Pourtant vous verriez la maison qu’il a ( ce n’est pas un héritage )! Elle est spacieuse , avec du terrain à perte de vue, c’est une maison d’architecte Je peux même vous dire que ce n’est plus une maison , c’est un château !
Tout cela pour vous dire qu’in y a tellement d’activités , de professions auxquelles on ne pense pas….et si vous avez un don quelconque , nul besoin de diplôme !
Maintenant c’est sûr aussi que ce n’est pas en restant salarié que vous vous enrichirez…. pour commencer à être en classe sociale aisée ( je dis bien aisée , pas les classes moyennes ) , il faut être à son compte .
Regardez sur les sites de statistique ce que signifie être aisé une fois les revenus du ménage moins les impôts directs ce montant étant encore divisé par les unités de consommation , et vous verrez ce qu’est que faire partie des classes aisées et à partir de quels revenus on en fait partie ….impossible en étant salarié !
Les longues études qui « paient » : Les grandes écoles, l’ENA etc.
Pour les autres ,il faut être excellent et ou avoir un réseau…
Personnellement j’ai fait des études(longues) en théorie de l’art .
N’étant pas de gauche, en ce domaine aucune chance à l’université …
Je le savais. J’ai fait des études pour le « savoir »… J’ajoute que suis d’origine très modeste. Mes études,un luxe, financées en travaillant. Après j’ai fait autre chose. Je ne regrette rien . Simplement j’aurais eu plus d’opportunité aux USA .
Un vrai « savoir » devrai permettre ,dans un contexte plus libéral, de rebondir d’entreprendre, de s’épanouir , d’oser… Difficile d’oser en URSS , délicat en soft soviétisme français, dans une Europe qui ressemble de plus en plus à ce qu’en prédisait Boukovski .
… »car aux 140 000 bac+5 distribués chaque année répondent moins de 40 000 recrutements de cadres juniors. L’offre de travail étant plus de trois fois supérieure à la demande, »….
quid?